Entrevue avec Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN)

Journée d'action de la FSSS-CSN contre les arrêtés ministériels devant des hôpitaux de la Montérégie, le 15 juin 2020

Forum ouvrier : L'arrêté ministériel du 4 juillet du nouveau ministre de la Santé et des services sociaux permet de nouveau que les dispositions des conventions collectives des travaillleurs soient annulées afin de changer unilatéralement les conditions de travail, cette fois-ci en ce qui concerne l'encadrement des nouveaux préposés aux bénéficiaires. Quelle est la position de la Fédération de la santé et des services sociaux à ce sujet ?

Jeff Begley : C'est très décevant. Encore une fois le gouvernement n'en fait qu'à sa tête. Il n'y a rien dans cet arrêté qui va éliminer la surcharge des personnes qui devront encadrer les nouveaux et nouvelles préposé(e)s aux bénéficiaires. Il y a 10 000 personnes qui, jusqu'à présent, ont eu trois semaines de formation, c'est-à-dire 120 heures. En ce moment, les préposés issus de cette formation font moitié stage, moitié formation, et ce, jusqu'au 15 septembre. Normalement, lorsqu'un préposé arrive au travail, il a eu une formation de 870 heures. Ce qu'on nous dit de la formation donnée en ce moment, c'est qu'elle est beaucoup axée sur la COVID, ce qui en soit est très bien. Par contre, on a des indications que dans certains endroits, par exemple, on ne donne aucune formation sur le déplacement sécuritaire des patients. Pour les préposés aux bénéficiaires, surtout ceux des CHSLD où beaucoup de patients ne sont pas mobiles, c'est un vrai problème. C'est majeur, car ces déplacements sont au coeur du travail qu'ils doivent faire.

L'arrêté a été publié hier [dimanche 5 juillet]. Samedi, la FSSS-CSN était à la table avec le ministère de la Santé, à notre demande, au sujet des préposés aux bénéficiaires. Nous leur avons dit qu'il y avait des préoccupations concernant la surcharge parce que les préposés déjà en place ont leurs tâches habituelles et en plus, ils devront former et encadrer les nouveaux arrivants. Le ministère nous a répondu que ce sont les enseignants qui sont responsables de l'encadrement. Mais ces enseignants ne seront pas sur place ! Le ministère a ajouté que tout ce à quoi il s'attend des préposés d'expérience, ce n'est pas qu'ils encadrent ou enseignent aux nouveaux, mais qu'ils « observent » les nouveaux. Imaginez un nouveau préposé qui n'a pas appris comment déplacer des patients de façon sécuritaire et qu'un ancien lui dise : vas-y, essaie, et moi, je ne fais que t'observer. C'est mettre en danger la sécurité du patient et celle du nouvel employé, car il ne maîtrise pas la technique. Alors bien sûr que le collègue d'expérience devra l'aider à faire correctement ces gestes essentiels ! C'est donc un non-sens de penser qu'en plus de leurs tâches habituelles, on demande aux préposés d'encadrer les nouveaux employés pour 5 $ par jour, peu importe le nombre de nouveaux préposés dont ils sont responsables.

FO : Quelle serait la façon d'accueillir de façon sécuritaire et professionnelle ces nouveaux employés ?

JB : Il faudrait dégager le préposé ou le travailleur de la santé d'expérience d'une partie de sa tâche afin qu'il puisse guider et encadrer les nouveaux. Même après avoir suivi un cours, les premières fois qu'une personne pose un geste comme celui de déplacer une personne, elle a besoin d'assistance pour le faire de façon adéquate. C'est pourquoi nous sommes préoccupés par la surcharge de travail qu'auront les préposés déjà en place, qui sont dans un grand état de fatigue et dont les vacances sont réduites, pour certains de moitié.

L'autre chose qui nous préoccupe dans le nouvel arrêté est qu'il dit que c'est l'employeur qui choisit les personnes qui auront la responsabilité d'observer un ou plusieurs nouveaux. Nous disons que ça devrait être tout d'abord des volontaires selon l'ancienneté. Il faut que ce soit des volontaires. Pas des personnes à qui l'employeur va dire : toi, tu es bonne, je veux que tu fasses cela. J'ose espérer qu'il y a des employeurs qui vont choisir de prendre des volontaires, mais l'arrêté ne l'exige pas.

Je réitère qu'il n'y a pas de problème à ce type de formation seulement si on dégage le préposé d'expérience, l'infirmière auxiliaire ou l'infirmière d'une partie de sa tâche afin qu'on s'assure de bien former les nouveaux, et surtout pour les aider à mettre en pratique ce qu'ils ont appris et les gestes qu'ils doivent poser. C'est tout à fait normal de ne pas tout maîtriser quand on arrive à notre endroit de travail. C'est avec l'aide des travailleurs d'expérience qu'ils gagnent en confiance.

Quand le gouvernement a fait la première annonce [d'une formation accélérée pour attirer de nouveaux préposés aux bénéficiaires], on avait dit au gouvernement : « On embarque. Si tu veux t'asseoir avec nous, on va s'assurer ensemble que ça se passe bien en regardant les conditions nécessaires pour que les choses soient bien faites. » Un mois plus tard, il n'y a toujours pas d'échange. Le ministère impose, il ne fait que nous informer des décisions qu'il a prises.

FO : C'est frappant combien les syndicats et les ententes négociées sont ciblés avec les arrêtés ministériels et avec le projet de loi 61 sur la relance de l'économie

JB : Oui, au nom de l'urgence sanitaire, le gouvernement s'est donné le droit d'imposer. On comprend que dans des situations extrêmes, un gouvernement peut se donner ce type de droit pour ne pas se trouver en rupture de services. Mais ce n'est pas utilisé avec parcimonie. Les mesures qu'il impose sont très larges et touchent la vaste majorité des travailleurs.

Ce qui apparaît évident, c'est que la cible du gouvernement sont les syndicats. Et ça lui permet de dire : « Moi, j'ai tout bien fait sans les syndicats, ils ne sont pas nécessaires. » Le nouveau ministre de la Santé, Christian Dubé, nous a dit tout récemment qu'il considérait les syndicats comme des partenaires importants et qu'il voulait travailler avec nous. Alors on a dit que c'était parfait, que nous étions prêts et qu'il y avait deux choses urgentes : l'arrivée massive de nouveaux préposés aux bénéficiaires et la santé et la sécurité en cas d'une deuxième vague de la COVID-19. Mais aucune suite n'a été donnée à ce que le ministre nous a dit.

C'est une prise de pouvoir de la part du gouvernement. Cela exprime un refus de parler avec les syndicats.

Et ceci se produit alors que nous sommes très préoccupés par une deuxième vague de la COVID-19 qui pourrait se produire bientôt.

Là encore, zéro discussion avec le gouvernement. C'est la vie des gens qui est en danger. Et même si quelqu'un n'en meurt pas, nous avons l'exemple de préposés ayant eu la COVID qui demeurent avec des séquelles importantes un mois, un mois et demi après. Nous avons plus d'un témoignage là-dessus. Ils n'ont toujours pas retrouvé leur forme optimale.

C'est mon interprétation que la pandémie et l'économie sont utilisées comme prétexte pour s'en prendre aux syndicats. Les membres sont exaspérés par tous ces arrêtés qui leur imposent leurs conditions de travail.

Il faut que ça change.

(Photos: FSSS-CSN)


Cet article est paru dans

Numéro 49 - Numéro 49 - 16 juillet 2020

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