L'occupation historique des
camionneurs à
Washington
Quelle est la suite des choses pour les camionneurs et l'industrie du camionnage?
- Normand Chouinard -
Plus
de trois mois se sont écoulés depuis le début de
la pandémie et
beaucoup d'eau a coulé sous les ponts en ce qui
concerne les
travailleurs du transport routier aux États-Unis
et au Canada. En
mettant de l'avant des revendications immédiates
pour des conditions de
travail salubres et sécuritaires pour l'exécution
de leur travail dès
le début du confinement, ils ont montré qu'ils
veulent avoir leur mot à
dire sur leur vie et sur leur métier. Les
revendications des
camionneurs pour garantir un protocole sanitaire
effectif pour le
transport routier durant la pandémie ont été
animées par un grand
sentiment de solidarité et d'unité du mouvement
des camionneurs pour
l'affirmation de leurs droits et pour la
reconnaissance de leur métier.
Cette résistance active des travailleurs du
transport routier a même
obligé certains membres de l'élite dirigeante à
réagir. Ces membres de
l'élite se sont mis à clamer que nous sommes un
service essentiel et
que le travail des camionneurs est important pour
garantir la chaîne
d'approvisionnement. Les travailleurs du transport
routier se sont
sentis fiers et dignes que leur rôle dans
l'économie soit finalement
reconnu à sa juste valeur. Ceci a donné confiance
que les choses
pouvaient changer en leur faveur.
Lorsque les prix du transport se sont mis à
dégringoler
pendant le gros du confinement, un vaste mouvement
de résistance
organisé s'est affirmé aux États-Unis pour
empêcher que le fardeau de
la crise soit mis sur le dos des camionneurs
indépendants et
indirectement sur l'ensemble des chauffeurs. Dans
plusieurs États
américains, des rassemblements ont eu lieu pour
exiger de nouveaux
arrangements, notamment une réglementation pour
légiférer sur le
pourcentage perçu par les grands courtiers en
transport sur le prix
offert pour un voyage par camion lourd. Ce
mouvement s'est cristallisé
par l'occupation devant la Maison-Blanche de plus
de 350
camionneurs de partout aux États-Unis, toutes
origines nationales
confondues, pendant 21 jours.
D'autres occupations semblables ont eu lieu
près
des différents capitoles dans d'autres États.
Pendant cette période
de 21 jours, les camionneurs présents ont
appris à s'organiser
pour que tous aient de la nourriture et se sentent
en sécurité. Des BBQ
étaient organisés sur les trottoirs et des
équipements sanitaires
avaient été loués. Il y avait des allées et venues
de plusieurs camions
provenant d'un peu partout aux États-Unis.
Certains restaient une
journée, deux jours, une semaine, d'autres sont
demeurés sur place
pendant les 21 jours de l'occupation. Bref,
une atmosphère de
camaraderie comme on n'en pas vue depuis longtemps
parmi les
travailleurs du transport routier y régnait.
Occupation de 21 jours des camionneurs devant
la Maison-Blanche au
mois de mai 2020
La principale demande des camionneurs était
d'avoir une
rencontre avec des membres du gouvernement central
pour discuter de la
question du déséquilibre dans la répartition des
revenus dans
l'industrie du camionnage. Les chauffeurs présents
étaient très actifs
pour se faire entendre, se promenant dans la
capitale des États-Unis en
klaxonnant, en discutant avec les gens, etc. Ils
ont même, à une
occasion, perturbé une conférence de presse
quotidienne du président
Trump sur la situation de la COVID-19 en
klaxonnant pour attirer
l'attention des politiciens et journalistes
présents. Trump, comme à
son habitude, a utilisé cette occasion pour se
faire valoir en disant
que les klaxons étaient en son appui et que les
camionneurs partout aux
États-Unis étaient de son côté. Il a totalement
esquivé la lutte que
mènent les camionneurs pour leurs droits. Quelques
jours plus tard,
l'administration Trump organisait à grands coups
de fanfare une
conférence de presse dans laquelle il y avait un
grand camion
de 53 pieds de la compagnie FedEx et où Trump
a remercié les
camionneurs pour le travail qu'ils faisaient
durant cette période.
Encore une fois, rien de concret sur les
revendications des camionneurs
réunis à une centaine de mètres de la
Maison-Blanche.
Puis
vint le jour ou « deux représentants » des
camionneurs dont l'un
d'eux s'affichait ouvertement comme un «
Trumpster » ont été
autorisés à rencontrer des membres de
l'administration Trump. La
rencontre s'est soldée par la promesse d'une
révision du règlement
sur les heures de conduite, mais absolument rien
sur la question de
réglementer le pourcentage des courtiers en
transport. Là-dessus, ils
se sont fait dire que le gouvernement ne peut pas
légiférer parce que
les États-Unis sont un pays de libre marché et que
ce sont les lois du
libre marché qui fixent les prix. Les deux «
représentants » sont
sortis de la rencontre en clamant qu'une bataille
avait été gagnée,
exaltant le Président Trump et disant qu'ils
remerciaient « Dieu »
qu'enfin les camionneurs avaient un président qui
est de leur côté. Un
« deal » derrière les portes closes de la
Maison-Blanche venait
d'être scellé. C'est dans un sentiment d'amertume
et d'insatisfaction,
un sentiment que quelque chose leur a échappé, que
l'occupation des
camionneurs a pris fin, et que ceux-ci, peu à peu,
sont retournés chez
eux.
Les semaines qui ont suivi cette mobilisation
historique
pour les travailleurs du transport routier
américains n'ont vu aucune
remontée des taux dans la fixation des prix ni
aucune modification dans
le pourcentage perçu par les courtiers. Des
centaines de milliers de
camionneurs indépendants sont encore pris à la
gorge par des prix trop
bas qui mettent leur situation financière en
péril.
Cette situation, bien que difficile et
compliquée,
n'empêche pas les camionneurs de poursuivre la
lutte. Le problème
n'ayant pas été résolu, ils exigent toujours une
solution. La
discussion se poursuit via les réseaux sociaux et
d'autres médias créés
par eux, notamment les camionneurs d'origines
pendjabie,
latino-américaine et autres.
La
suite des choses on la connaît. Le mouvement de
résistance organisée
contre le racisme d'État aux États-Unis s'est
affirmé et est devenu un
enjeu politique central, non seulement pour le
peuple américain, mais
pour les peuples du monde entier. Dans les
premiers jours suivant la
mort de Georges Floyd, les médias monopolisés ont
créé une fausse
impression sur des incidents lors desquels des
camionneurs ont été pris
au milieu de manifestations, déclarant que des
camionneurs avaient été
attaqués par des « émeutiers ».
Récemment, des propositions surgies d'on ne sait
où sur
le droit des camionneurs de porter une arme pour
se protéger contre
d'éventuelles agressions ont fait le tour des
États-Unis et se sont
même retrouvées sur les sites de camionneurs au
Canada.
Le mouvement des travailleurs du transport
routier aux
États-Unis ne se laissera pas diviser par des
provocations aussi
grossières. Les camionneurs font face à la
discrimination raciale et
économique au sein de l'industrie du camionnage
qui les met en
compétition les uns avec les autres. En
particulier, les camionneurs
immigrants de toutes origines font les frais
d'être de la main-d'oeuvre
bon marché pour les grandes compagnies de
transport et les grands
monopoles manufacturiers et de distribution, et
sont soumis
quotidiennement au racisme organisé de l'État. Ils
sont partie
intégrante de la bataille pour mettre fin à cet
état d'apartheid au
sein de la classe ouvrière qui vise à les diviser
et à abaisser
constamment leurs conditions de travail.
Mais dans le contexte actuel de diversion,
d'infamie et
de mensonges et de coups montés des cercles
dirigeants impérialistes
contre le mouvement, la tâche la plus complexe est
de garder le cap sur
les demandes initiales pour la défense des
intérêts fondamentaux des
camionneurs. Des arrangements permanents qui vont
garantir la stabilité
de l'industrie du camionnage et respecter
intégralement les droits des
camionneurs sont toujours à l'ordre du jour. Ils
doivent poursuivre sur
la voie indépendante qu'ils ont empruntée et ne
jamais devenir une
réserve politique électorale pour une clique ou
une autre des élites
dirigeantes qui se déchirent pour accaparer le
pouvoir suprême et les
entraîner dans leurs querelles.
L'esprit d'unité, de solidarité et du sens de
l'organisation durement acquis durant ces
dernières semaines est le
nouveau jalon pour l'établissement d'arrangements
politiques qui leur
sont favorables dans l'industrie du camionnage.
Cet esprit doit être
défendu fermement dans la situation actuelle.
(Photos : FO, C. Lee, R.
Hernandez, FTQ)
Cet article est paru dans
Numéro 47 - Numéro 47 - 7 juillet 2020
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camionneurs à
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