À la défense des travailleurs agricoles saisonniers en Colombie-Britannique
- Entretien avec Perla G.
Villegas-Diaz -
Les organisateurs des travailleurs migrants à
Kelowna en Colombie-Britannique, le 17 juin
2019
Forum ouvrier s'est entretenu avec Perla G.
Villegas-Diaz, une activiste et une chercheuse
avec Radical Action With Migrants in Agriculture
(RAMA). Elle-même est originaire du Mexique.
Elle est au Canada avec sa famille pour étudier
en développement international au Collège
d'Okanagan.
Forum ouvrier : Parlez-nous de
votre travail avec les travailleurs agricoles
saisonniers.
Perla G. Villegas-Diaz : Je
suis venue au Canada il y a presque trois ans. Je
suis avocate au Mexique. J'ai travaillé
pendant 15 ans pour un tribunal fédéral des
droits humains et au cours de mes études ici, j'ai
appris à connaître la situation des travailleurs
agricoles migrants dans cette communauté et
l'année dernière, j'ai accepté un emploi comme
adjointe à la recherche à RAMA. En toute
honnêteté, je ne connaissais rien du tout des
conditions des travailleurs qui viennent au Canada
chaque année pour travailler sur les fermes.
Lorsque vous vivez au Mexique, vous pensez que les
personnes qui vont au Canada ou aux États-Unis
font « la vie rêvée ». L'année dernière, j'ai
rencontré plusieurs travailleurs et je me souviens
particulièrement de deux d'entre eux qui m'ont
dit : « Pouvez-vous vous imaginer travailler
plus de 10 heures par jour sans avoir le
droit d'aller à la toilette ou de boire de l'eau,
même lorsque la température atteint 38
degrés ? » Ils vivent dans des
conditions exigües.
FO : Y a-t-il eu des
changements cette année en raison de la
COVID-19 ? Est-ce que de nouvelles mesures
sont proposées pour améliorer les conditions de
travail pour protéger les travailleurs ?
PV :
Non, la situation est exactement la même. Nous
pensions qu'il allait y avoir des améliorations
parce que le gouvernement avait dit que les
employeurs devaient assurer de meilleures
conditions sanitaires, des accommodations non
exigües et la distanciation sociale. Lorsque j'ai
commencé à visiter les travailleurs agricoles
engagés dans le Programme des travailleurs
agricoles saisonniers (PTAS) avant le pic de la
COVID-19, j'ai réalisé que les employeurs
appliquaient les mêmes mesures.
J'ai reçu un appel d'un travailleur du Mexique
me demandant quelles étaient les conditions de
vie, comment il allait être hébergé, comment
l'employeur allait agir envers lui. J'ai donc
décidé de parler avec son employeur et on m'a
répondu de lui dire que nous allons nous occuper
de lui, nous avons une roulotte dans laquelle il
peut vivre, il sera dans les meilleures conditions
en fait d'eau potable et d'électricité. Mais non.
Le gouvernement n'a pas parlé de roulottes, mais
plutôt de mettre les travailleurs en quarantaine
dans des hôtels ou dans des maisons. J'ai parlé
avec plusieurs employeurs et ils n'avaient
clairement pas l'intention de s'occuper des
travailleurs. Je pense que c'est la raison pour
laquelle le gouvernement de la
Colombie-Britannique a décidé de s'occuper de la
quarantaine de quatorze jours dans les hôtels près
de l'aéroport de Vancouver à l'arrivée des
travailleurs, avant qu'ils ne soient autorisés à
aller à Kelowna, parce qu'il s'est rendu compte
que les employeurs ne respectaient pas les
règlements.
FO : Est-ce qu'il y a moins de
travailleurs migrants cette année ?
PV : Je sais qu'il y a moins
de gens du Mexique et de la Jamaïque. La majorité
des travailleurs qui viennent en
Colombie-Britannique sont du Mexique, près de
70 %, je crois, et les autres, de la
Jamaïque, et probablement 5 % du
Guatemala.
FO : Que fait RAMA ?
PV : RAMA a été créé il y a
dix ans par Amy Cohen et Elise Hjalmarson. Nous
aidons les travailleurs migrants de plusieurs
façons. Par exemple, nous offrons des cours
d'anglais, nous organisons des matchs de soccer et
d'autres événements sociaux. S'ils sont en
situation d'urgence, nous les transportons chez le
médecin. Nous faisons la traduction pour eux.
S'ils ont des problèmes avec leurs employeurs ou
leurs superviseurs, nous offrons des services
d'interprétation et de traduction. Nous voulons
socialiser avec eux pour qu'ils se sentent inclus
dans la société canadienne parce que toutes les
fermes ici sont éloignées de la ville et les
travailleurs y sont très isolés. Nous faisons
aussi en sorte que les gens de l'Okanagan soient
conscients de leur présence dans la communauté, du
rôle qu'ils jouent dans la production alimentaire
et de leurs conditions de travail. Nous offrons
aussi de l'aide juridique.
FO : Comment les travailleurs
sont-ils recrutés ?
PV :
Depuis 1974, il y a une entente de principe
entre le Mexique et le Canada. L'employeur doit
compléter une étude d'impact sur le marché du
travail, après quoi ce document est envoyé au
bureau du travail au Mexique et là, ils ont une
longue liste de travailleurs qu'ils fournissent
aux employeurs canadiens. C'est une démarche qui
se fait entre le consulat mexicain à Vancouver et
les employeurs de la Colombie-Britannique. Il y a
beaucoup de discrimination. Les employeurs ne
veulent pas de femmes, donc ils ne choisissent pas
de femmes sur la liste. Ils essaient aussi
d'obtenir les mêmes travailleurs chaque année, ce
qui fait que les nouvelles personnes ont peu de
chances d'être choisies. Les employeurs peuvent
aussi refuser d'accepter un travailleur qui a été
« difficile », c'est-à-dire, qui a porté
plainte auprès de WorkSafeBC, la commission des
accidents du travail, ou élevé la voix contre les
conditions de vie ou de travail. Ce qui veut dire
que les travailleurs ne disent rien, même au
consulat, de crainte de perdre leur emploi. C'est
une sorte de punition.
Il y a deux jours, j'ai parlé avec un travailleur
qui m'a dit « il y a deux ans, j'ai eu un accident
et je me suis blessé sérieusement au dos et j'en
ai parlé au consulat. Mon employeur s'est bien
occupé de moi, mais le consulat a dit à
l'employeur que je devais retourner au
Mexique ». Alors même que l'employeur
s'inquiétait du travailleur, le consulat a décidé
de le renvoyer au Mexique et dès son arrivée au
Mexique le consulat a dit au travailleur : «
maintenant que tu es au Mexique, tu n'auras aucun
médicament, aucun traitement, ton épouse peut
s'occuper de toi. » Le consulat a ensuite
annulé sa demande de travail au Canada pendant
deux ans. Maintenant il est de retour au Canada,
mais il a décidé de ne pas parler de rien à qui
que ce soit. Il m'a dit, si j'ai un accident, je
devrai me soigner moi-même et que Dieu me vienne
en aide.
FO : Comment la COVID-19
a-t-elle rendu la situation plus compliquée ?
PV : Les travailleurs du
Programme des travailleurs agricoles saisonniers
(PTAS) n'ont pas le droit de se syndiquer et on
leur refuse les droits de base qu'ont les
travailleurs canadiens. Il y a de nombreux
exemples de mauvaises conditions de travail.
L'année dernière, nous avons visité une ferme où
l'employeur logeait 15 travailleurs dans une
petite pièce de 4 mètres carrés. Un
travailleur m'a dit qu'il doit marcher près d'un
kilomètre pour aller aux toilettes et que pendant
ce temps-là, il n'est pas payé. Il a dit que la
toilette n'a pas été nettoyée depuis un an. Donc
la COVID-19 rend les choses plus compliquées en
raison des conditions pénibles et parce que les
travailleurs subissent des blessures respiratoires
et cutanées parce qu'ils sont constamment exposés
aux pesticides et aux irritants face auxquels ils
n'ont aucune protection. Ce qui a changé, c'est
qu'ils sont encore plus surveillés qu'avant parce
que leurs employeurs ne veulent pas que quiconque
ait connaissance de leurs conditions, ce qui les
isole encore plus.
Dans une ferme qui comprend une centaine de
travailleurs, des travailleurs nous ont dit :
« Ne venez pas ici, ne vous approchez pas parce
que si l'employeur nous voit parler avec quelqu'un
qui n'est pas de la ferme nous allons être punis
en étant placés en quarantaine pendant deux
semaines sans être payés. Ne nous téléphonez pas
souvent non plus, car si un des superviseurs
apprend que je vous parle, je vais être
puni. » Aussi, les travailleurs du PTAS ne
sont pas admissibles au statut de citoyen ou de
résident permanent.
Les travailleurs agricoles sont considérés comme
étant essentiels à la production alimentaire au
Canada parce qu'ils sont prêts à faire le dur
travail, mais ils sont indésirables en tant que
résidents permanents. Une de mes amies travaille
au Canada depuis 26 ans, elle vient ici pour
travailler de 7 à 8 mois par année,
après quoi elle retourne au Mexique. Mais elle est
toujours indésirable en tant que résidente
permanente. Ce n'est pas acceptable et RAMA appuie
la revendication du statut de résident permanent
pour les travailleurs agricoles saisonniers.
Cet article est paru dans
Numéro 46 - Numéro 46 - 2 juillet 2020
Lien de l'article:
À la défense des travailleurs agricoles saisonniers en Colombie-Britannique - Entretien avec Perla G.
Villegas-Diaz
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