Quelque chose de pourri dans les serres de l'Ontario - et ce ne sont pas les tomates

Au lieu d'affirmer les droits des travailleurs infectés par le coronavirus et de leur permettre de se rétablir pleinement afin de ne pas risquer d'infecter d'autres personnes, le gouvernement de l'Ontario, en collaboration directe avec certains des plus grands exploitants de serres et sans donner aucune voix aux travailleurs, a décidé d'autoriser les travailleurs qui ont été déclarés positifs pour la COVID-19 à travailler dans les champs et les serres tant qu'ils ne présentent pas ou ne déclarent pas de symptômes.

En d'autres termes, c'est aux travailleurs qu'on impose de choisir entre déclarer les symptômes et travailler. Cela équivaut à avoir le « choix » de nourrir ou non sa famille, car les congés de maladie payés ne sont pas obligatoires en Ontario ou dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers du gouvernement fédéral. L'année dernière, ce programme a amené au Canada environ 25 000 travailleurs du Mexique et un nombre moindre de la Jamaïque et d'autres pays des Caraïbes en vertu de contrats entre le gouvernement canadien et les gouvernements de ces pays. Puis il y a les travailleurs qui sont identifiés comme ayant été en contact étroit avec ces travailleurs qui présentent des symptômes, qui seront dans bien des cas forcés de faire le même « choix ». Un nombre non négligeable de travailleurs de cette industrie travaillent au noir, car ils sont sans-papiers (au moins 2000 d'entre eux entreraient dans cette catégorie dans le comté d'Essex) ou pour d'autres raisons. Parfois, ces travailleurs à situation précaire se déplacent entre les lieux de travail affectés par des recruteurs à différentes opérations en tant que « travailleurs contractuels » à court terme. Cela a déjà probablement contribué à la propagation du virus et à la mort de Rogelio Muñoz Santos, 24 ans, l'un des trois travailleurs migrants mexicains décédés de la COVID-19 en Ontario. Présumer que cette pratique va maintenant disparaître parce qu'elle n'est plus « autorisée », c'est se leurrer. Il y a quelque chose qui pourrit dans les serres de l'Ontario et tout cela est fait pour le cacher.

Les grandes entreprises agroalimentaires qui opèrent dans le comté d'Essex réalisent leurs profits en traitant les travailleurs migrants comme s'ils étaient sacrifiables, exploitant leur vulnérabilité économique due au fait que l'économie dans leur pays d'origine, en particulier l'agriculture, est détruite par la mondialisation néolibérale et les accords de « libre-échange » comme l'ALÉNA et l'ACÉUM.

Au lieu d'affirmer les droits des travailleurs, les gouvernements semblent résolus à maintenir les profits de ces entreprises agroalimentaires au détriment des travailleurs en utilisant des lois qui empêchent ces derniers de s'organiser. Ils s'assurent que les salaires sont maintenus au minimum par des contrats négociés avec les gouvernements du Mexique et de douze pays caraïbéens par lesquels ces derniers s'engagent à fournir des travailleurs agricoles saisonniers pendant une période pouvant aller jusqu'à huit mois par an et à des salaires maintenus au minimum.

Le fait qu'une grande partie de la production de cette région du sud-ouest de l'Ontario soit destinée aux marchés des États-Unis montre qu'il y a un grave problème avec la direction actuelle de l'économie canadienne[1]. La production alimentaire n'est pas orientée vers la sécurité alimentaire des Canadiens, bien que l'industrie soit jugée « indispensable » à l'approvisionnement alimentaire du Canada. Les producteurs ont mené un lobbying de haut niveau pour obtenir ce statut pour l'industrie afin qu'ils puissent obtenir les travailleurs dont ils ont besoin malgré la fermeture de la frontière aux voyages internationaux. Il s'agit de maintenir rentables les grandes entreprises industrielles multimillionnaires, certaines multinationales, et certainement pas des exploitations familiales comme certains aiment le prétendre, dans un secteur extrêmement compétitif. Cela se fait en limitant les réclamations des travailleurs et aux dépens du bien-être des êtres humains qui génèrent les profits de l'industrie par la transformation de la nature en une énorme richesse dans les grandes serres modernes.

La collaboration des différents niveaux de gouvernement avec cet arrangement inhumain montre que les gouvernements fonctionnent comme une extension de ces grandes entreprises et c'est pourquoi ils considèrent les réclamations des travailleurs comme un problème.

Pourquoi l'industrie agricole doit-elle fonctionner sur une base aussi inhumaine ? Pourquoi les gouvernements forcent-ils les travailleurs infectés à continuer de travailler ? Qu'est-ce que cela nous dit sur l'objectif de la production alimentaire du Canada ? Ou sur la sécurité de cette production alimentaire ? Quel est le but de l'économie quand la vie des travailleurs est sacrifiable, mais que le profit maximum est essentiel ?

Les exploitations de serres dans le sud-ouest de l'Ontario font partie de l'économie nord-américaine intégrée. Elles fournissent des produits frais de toutes sortes aux États-Unis et génèrent des profits pour leurs propriétaires par le maintien à bas niveau des salaires et des conditions de travail des travailleurs locaux et étrangers, par l'accès à l'eau des Grands Lacs et par des subventions et services gouvernementaux de toutes sortes.

Les réalités dévoilées pendant la pandémie confirment qu'une nouvelle direction est nécessaire. La production alimentaire devrait être organisée de manière à répondre aux besoins des Canadiens en matière d'aliments sains et au droit des travailleurs, peu importe d'où ils viennent, de gagner leur vie selon un standard canadien.

Ironiquement, le 1er juillet marque l'entrée en vigueur du nouvel ALÉNA (ACÉUM). Durant les négociations sur la nouvelle mouture de l'accord, le gouvernement canadien et son équipe ont beaucoup insisté pour que le Mexique rehausse ses normes en matière de travail et de droits humains. Les faits montrent que le Canada n'est pas en position de faire la leçon au Mexique.

Note

1. Le Financial Post rapportait en avril 2020 que, selon Statistique Canada, les exportations représentaient 65 % de la valeur totale de la production canadienne de légumes de serre en 2016, l'année la plus récente pour laquelle les chiffres sont disponibles.

(Sources : Windsor Star, CBC, CTV. Photos : FO, Justice for Migrant Workers)


Cet article est paru dans

Numéro 46 - Numéro 46 - 2 juillet 2020

Lien de l'article:
Quelque chose de pourri dans les serres de l'Ontario - et ce ne sont pas les tomates - Margaret Villamizar


    

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