Justice pour les travailleurs
migrants!
Le plan déshumanisant du gouvernement de l'Ontario pour les travailleurs agricoles migrants
Plus de 1 000 travailleurs agricoles,
la plupart des travailleurs migrants, ont été
déclarés positifs à la COVID-19 en Ontario. Plus
de 700 d'entre eux ont été associés à des
endroits de travail à Leamington et à Kingsville.
Pendant la dernière fin de semaine, 191
nouveaux cas ont été confirmés par le bureau de
Santé publique de Windsor-Essex, provenant tous
d'une même exploitation agricole. Même si les
autorités de la santé publique n'ont pas divulgué
le nom de l'entreprise, le Windsor Star rapporte
qu'un représentant du syndicat des Travailleurs
unis de l'alimentation et du commerce a dit qu'il
s'agit de Nature Fresh Farms à Leamington.
Nouvelle orientation de santé publique du
gouvernement : l'isolement au travail au lieu
de l'autoconfinement
Le 24 juin, un jour
après avoir reproché aux « fermiers » leur manque
de coopération pour faire passer des tests à leurs
travailleurs pour la COVID-19, le premier ministre
Doug Ford a effectué un virage à 180 degrés. En 24
heures, il a remplacé par des éloges les blâmes et
les appels aux « fermiers » du comté d'Essex à
faire ce qu'il faut. Maintenant il les félicite de
leur effort pour faire tester un plus grand nombre
de leurs travailleurs afin de déterminer l'étendue
de l'éclosion parmi les travailleurs agricoles
pour la maintenir sous contrôle et l'empêcher de
se propager dans la communauté.
Dans une autre volte-face, Ford a annoncé que les
comtés de Windsor et Essex, à l'exception de
Leamington et de Kingsville, seront autorisés à
passer à l'Étape 2 du déconfinement. C'est
est un revirement complet par rapport à la
position qu'il avait défendue la veille, soit que
l'ensemble de la région allait demeurer à
l'Étape 1, le seul endroit dans la province
faisant l'objet d'un tel niveau de restrictions.
Plusieurs petits hommes d'affaires avaient
protesté, pointant du doigt avec colère les
propriétaires des grosses serres qui pouvaient
maintenir leurs activités en pleine période
d'éclosions tout en ne faisant pas tester leurs
travailleurs, tandis qu'eux étaient forcés de
maintenir leurs petits commerces et restaurants
fermés et risquaient de perdre leur commerce.
Qu'est-ce qui a changé ? Il est devenu clair
qu'une entente avait été conclue lorsque Ford a
annoncé le Plan en trois points de son
gouvernement pour enrayer la propagation
dans les exploitations agricoles et au sein de la
communauté de Windsor-Essex. Le premier point
prévoit un dépistage élargi dans les entreprises
agroalimentaires et dans la communauté. Le
deuxième est une tentative de rassurer les gens
qu'aucun travailleur ne perdra son emploi s'il
doit prendre un « congé non payé » en raison
de la COVID-19, que les travailleurs pourront
avoir accès aux indemnités d'accidents du travail,
et peut-être même aux prestations de
l'assurance-emploi ou à la Prestation canadienne
d'urgence (PCU). Il est même mentionné que « les
travailleurs temporaires étrangers ont droit aux
mêmes prestations et aux mêmes protections que
tout autre travailleur en Ontario », comme
les protections prévues à la Loi de 2000
sur les normes d'emploi.
Aucune mention n'est
faite des nombreuses exemptions qui touchent les
travailleurs agricoles, et encore plus les
travailleurs agricoles migrants, en ce qui
concerne les normes de l'emploi et les lois du
travail de l'Ontario. Cette situation les laisse
essentiellement à la merci de leurs employeurs,
sans la possibilité de se syndiquer ou de négocier
collectivement afin d'avoir leur mot à dire sur
leurs conditions de travail (et, selon le cas, sur
leurs conditions de vie déplorables).
Le point trois révèle l'essence de l'entente que
le gouvernement a conclue avec les propriétaires
afin de les gagner à faire plus de dépistage au
lieu de continuer d'y résister. Une nouvelle
directive de la santé publique est introduite pour
le secteur qui « permet » aux travailleurs
qui ont reçu un résultat positif au test de la
COVID-19 mais qui sont asymptomatiques, de
continuer à travailler « moyennant le respect des
mesures de santé publique sur le lieu de travail,
afin de minimiser le risque de transmission aux
autres ». Ford a laissé entendre que les
nouvelles règles permettraient aux travailleurs
déclarés positifs mais asymptomatiques de
continuer à travailler, regroupés entre eux, à
l'extérieur, et mangeant et dormant à l'écart des
autres travailleurs[1].
La nouvelle orientation semble donner à un
travailleur infecté qui ne démontre pas et ne
déclare pas de symptômes l'option de
s'autoconfiner plutôt que de continuer à
travailler (« s'isoler au travail ») si tel
est son « choix ». Ce « choix » n'existe
pas pour les travailleurs migrants qui sont venus
gagner leur vie ici pour subvenir aux besoins de
leur famille dans leur pays. S'ils sont absents au
travail, même s'ils sont malades, la plupart
d'entre eux ne seront pas payés. La vie de ces
travailleurs est mise en péril par le gouvernement
de l'Ontario en collusion avec les objectifs
intéressés des propriétaires des entreprises
agroalimentaires.
Ce qu'on ne dit pas non plus, c'est qu'une partie
importante des travailleurs étrangers temporaires
qui travaillent dans les champs, les serres et les
entreprises d'emballage de légumes du comté
d'Essex sont des travailleurs sans papier. Ils
sont payés comptant en dessous de la table,
souvent par le biais d'un recruteur ou d'un agent
qui les loue à des entreprises et en tire un
profit pour lui-même.
Ces travailleurs qui oeuvrent dans des conditions
clandestines n'ont pas accès aux programmes de
soutien du revenu et aux protections qui, selon le
gouvernement, sont disponibles à tous les
travailleurs migrants s'ils doivent, ou «
choisissent », de s'autoconfiner au lieu de
continuer à travailler s'ils sont déclarés
positifs.
Les réactions au nouveau plan du gouvernement
Le nouveau plan du
gouvernement a été immédiatement louangé par les
propriétaires de l'industrie qui ont de toute
évidence joué un rôle dans son élaboration. Un
d'entre eux est Peter Quiring, le
président-directeur général de Nature Fresh Farms
à Leamington, qui a été identifié officieusement
comme le site d'une éclosion majeure de la
COVID-19. Selon Quiring, environ 360 «
travailleurs invités » font partie de son
personnel d'environ 670 travailleurs. Il a
qualifié de « fantastique » le nouveau plan
de mesures du gouvernement. « J'ai personnellement
travaillé avec Doug Ford et la Santé publique de
l'Ontario sur ce plan, comme l'ont fait plusieurs
autres comme moi », a-t-il dit. « Nous aimons
vraiment les conclusions auxquelles nous sommes
arrivés. Nous pensons que les choses vont bien se
passer. »
Quiring a dit qu'isoler les travailleurs
asymptomatiques sur les fermes et « le fait que
nous pouvons les maintenir au travail » sont
la partie la plus importante du nouveau plan. Il a
ajouté qu'il n'est pas inquiet que les
travailleurs asymptomatiques transmettent la
COVID-19 à d'autres employés parce que « nous
pratiquons la distanciation ».
Nature Fresh Farms est le plus gros producteur de
poivrons de l'Amérique du Nord. Il expédie sept
millions de kilos de produits par année.
Les défenseurs des travailleurs migrants ont
réagi eux aussi très rapidement. Syed Hussan, le
directeur général de l'Alliance des travailleurs
migrants pour le changement, a dénoncé le
gouvernement et les propriétaires des entreprises
agroalimentaires pour leur traitement des migrants
comme étant sacrifiables, et a qualifié leur plan
de « déshumanisant » et de «
débilitant ». Il a dit : « Vous ne
permettriez pas qu'on traite votre père, votre
fils, votre frère, votre mère, votre soeur ou
votre fille de cette façon », et a ajouté que
« l'Ontario a réagi à la mort de trois
travailleurs agricoles en signant l'arrêt de mort
de plusieurs autres travailleurs migrants ».
Le porte-parole de Justice pour les travailleurs
migrants (J4MW), Chris Ramsaroop, a réclamé que
l'industrie agroalimentaire cesse immédiatement la
production, tant que des mesures sanitaires et de
sécurité adéquates ne seront pas mises en oeuvre,
en disant que les intérêts des travailleurs
doivent avoir la priorité absolue sur les profits
d'une industrie milliardaire.
Les médecins et d'autres experts de la santé ont
répondu avec incrédulité à cette nouvelle
orientation inhumaine et au charabia non
scientifique qu'utilise le gouvernement ontarien
pour la justifier. Le 30 juin, un groupe
d'experts ont publié sur Internet une lettre
ouverte au médecin hygiéniste en chef de
l'Ontario, lui demandant d'utiliser ses pouvoirs
en vertu de la Loi sur la protection et la
promotion de la santé et d'abroger cette
mesure. Ils ont lancé l'appel à d'autres
professionnels de la santé à signer et partager la
lettre. On peut la lire en cliquant ici.
Le 30 juin, le médecin hygiéniste en chef de
Windsor-Essex, le Dr Wajid Ahmed, a dit qu'il n'a
autorisé aucun des centaines de travailleurs qui
ont été déclarés positifs et dont les cas ont été
examinés, à retourner au travail, qu'ils soient
asymptomatiques ou non. Il a dit qu'il y avait à
ce moment-là entre 400 et 450
travailleurs migrants en autoconfinement et a
ajouté que les fermes doivent agir de manière
proactive en isolant immédiatement tout
travailleur dont le test s'est avéré positif et en
testant toute personne avec qui le travailleur a
été en contact étroit.
Puis, le 1er juillet, en plus d'annoncer
sept nouveaux cas dans le secteur agricole, le
bureau de la santé a publié une mise à jour en ce
qui concerne les éclosions dans une exploitation
non nommée qu'on présume être Nature Fresh Farms,
où 191 nouveaux cas ont été identifiés
pendant la fin de semaine. On y lit :
Compte tenu de l'étendue de cette éclosion, de
la possibilité d'une propagation de la COVID-19,
et du risque continu à la santé et la sécurité
des travailleurs, le médecin hygiéniste en chef,
le Dr Wajid Ahmed, a émis une ordonnance en
vertu de la Loi sur la protection et la
promotion de la santé, qui entre en
vigueur le 1er juillet. L'ordonnance
prescrit que le propriétaire/exploitant de la
ferme doit maintenir l'isolement des
travailleurs et leur interdire de travailler
jusqu'à ce qu'une nouvelle directive soit émise.
[...]
La santé et la sécurité de tous les
travailleurs sont notre première priorité. Nous
devons faire cesser la transmission de la
COVID-19 dans cette ferme et dans notre secteur
agricole. Tous les travailleurs affectés doivent
être isolés et leur santé et sécurité
surveillées avant que tout retour au travail
soit même discuté.
Un représentant de la santé publique a dit plus
tard que l'ordre de s'isoler s'applique à tous les
travailleurs de cet endroit, et non uniquement à
ceux qui ont été déclarés positifs, ce qui ferme
cette exploitation pour le moment.
Note
1. La nouvelle
directive du gouvernement donne la responsabilité
au bureau local de santé publique d'orienter les
travailleurs considérés asymptomatiques dont le
test s'est avéré positif. Elle prévoit que ces
travailleurs doivent s'autoconfiner ou « s'isoler
au travail » si le bureau de santé le juge
approprié, pendant 14 jours. Si des symptômes
se développent, ces travailleurs devraient
s'autoconfiner pendant 14 jours à partir du
moment où le symptôme est apparu. Les contacts
proches des travailleurs asymptomatiques qui n'ont
pas été testés peuvent eux aussi s'autoconfiner ou
s'isoler au travail si le bureau de santé le
considère approprié.
Cet article est paru dans
Numéro 46 - Numéro 46 - 2 juillet 2020
Lien de l'article:
Justice pour les travailleurs
migrants!: Le plan déshumanisant du gouvernement de l'Ontario pour les travailleurs agricoles migrants
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