Les défis de l'enseignement postsecondaire en Ontario

- Steve Rutchinski -

Des défis importants existent dans tout le secteur de l'enseignement postsecondaire à l'approche de la session d'automne 2020-2021 alors que la pandémie de la COVID-19 continue. Le façonnement de l'enseignement postsecondaire au cours de décennies de régression et d'offensive antisociale a laissé à l'ensemble du système peu d'options: soit un changement de direction au service du progrès de la société canadienne, soit encore davantage de crises et de chaos.

Le directeur général de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université (ACPPU), David Robinson, a récemment fait le point que « la pandémie de la COVID-19 a nettement mis en relief les failles présentes depuis longtemps au sein de nos universités et collèges. La dépendance croissante de nos établissements au financement privé, l'exploitation de la main-d' uvre précaire et le virage vers les programmes d'études et les projets de recherche répondant aux besoins du marché ont fait en sorte que nous sommes mal préparés à faire face à la crise actuelle[1] ».

« Au cours des 30 dernières années, écrit-il, les gouvernements de différentes allégeances politiques ont progressivement refilé aux étudiants le coût de l'éducation postsecondaire et graduellement diminué le financement public. Cette transition a été d'une ampleur stupéfiante. Alors qu'en 1990 un peu plus de 80 % des fonds de fonctionnement des universités provenaient de subventions gouvernementales, ce chiffre avait plongé en 2018 à environ 47 %. » Le résultat, fait-il remarquer, est que « nos établissements sont devenus financièrement dépendants des droits de scolarité et notamment, des frais scandaleusement élevés imposés aux étudiants internationaux. Les établissements qui en sont venus à compter sur ces frais pour soutenir leurs opérations risquent d'être confrontés à une chute dévastatrice de ces revenus si la pandémie doit se poursuivre dans la prochaine année académique ».

Entre 2008 et 2018, il y a eu une baisse de 11 % du financement provincial par étudiant à temps plein. Au total, 53 % du financement universitaire provient des frais de scolarité. Les universités dépendent en moyenne des frais de scolarité des étudiants étrangers pour 20 % de leurs revenus. En 2018, plus de 500 000 étudiants internationaux ont étudié au Canada, rapportant plus de 6 milliards de dollars en frais de scolarité[2].

Piller les étudiants étrangers pour qu'ils poursuivent des études postsecondaires est une autre expression du racisme organisé par l'État au Canada, tout comme la traite des êtres humains perpétrée dans le cadre de programmes de travailleurs migrants parrainés par le gouvernement qui refuse à ces travailleurs « invités » le statut de résident canadien.

Les universités et les collèges ont été encouragés par le gouvernement fédéral, en particulier depuis la crise économique de 2008, à résoudre leurs difficultés financières en augmentant les frais de scolarité et en recrutant des étudiants étrangers. Alors que les banques et les oligarques financiers ont été renfloués et que la société était aux prises avec le fardeau de la dette, le coût de l'enseignement postsecondaire a été de plus en plus transféré aux étudiants et à leur famille sous la forme de frais de scolarité et de dettes plus élevés. Cela a également entraîné une augmentation de la taille des classes pour les étudiants et une explosion de l'enseignement contractuel précaire pour les professeurs.

La plupart des gens dans le secteur de l'éducation postsecondaire - des étudiants aux professeurs en passant par le personnel administratif, d'entretien, de service et de nettoyage - s'inquiètent de la perspective d'une nouvelle série de compressions dans le financement de l'éducation publique par divers niveaux de gouvernement une fois que les mesures de financement d'urgence dues à la COVID-19 prendront fin. Selon le magazine en ligne University Affairs, le Manitoba et l'Alberta ont demandé aux établissements d'enseignement supérieur d'élaborer des scénarios de réduction budgétaire pouvant aller jusqu'à 30 % et, dans ce sens, certaines universités licencient déjà du personnel non universitaire à court terme[3].

Les universités de tout le pays semblent élaborer leurs plans avec peu ou pas de participation des membres du milieu universitaire. L'Union des associations des professeurs des universités de l'Ontario (OCUFA) s'est opposée à cette situation lors d'une récente consultation tenue avec le Conseil consultatif du ministère des Collèges et Universités, sous les auspices du Comité ontarien de l'emploi et de la relance. Le mémoire de l'OCUFA souligne que « Depuis mars, les membres du personnel académique se sont consacrés à traverser le trimestre tout en prenant le plus grand soin possible de leur famille et de leur communauté. Sur le campus, les membres ont dû en l'espace de 24 heures se mettre à faire de l'enseignement à distance d'urgence (ERT) » qui a été définie par les administrations universitaires comme une décision temporaire. C'est un changement qui a créé une myriade de défis pour le corps professoral.

L'OCUFA poursuit: « Il semble que les programmes d'enseignement à distance ne seront probablement pas aussi temporaires que nous l'espérions tous. Bien que certaines recherches et opérations sur le campus puissent reprendre d'ici le début du semestre d'automne, la plupart des universités ont officiellement annoncé que la majeure partie de la session d'automne se fera à distance ... Il est également prévu que, là où la distanciation physique est possible, certains projets de recherche reprendront également sur les campus. Cette dépendance à l'ERT crée de nouveaux défis et exacerbe certaines des tensions que le corps professoral a connues lors de la transition vers l'enseignement à distance. À cette tension s'ajoute le fait que la plupart des universités ne consultent les professeurs que superficiellement ou pas du tout au sujet de ces défis imminents. Si nous voulons réussir à dispenser un enseignement postsecondaire durant cette pandémie, il est primordial que la gouvernance collégiale et les droits de la négociation collective des professeurs soient respectés[4]. »

Les étudiants, les professeurs et le personnel - ceux qui sont les plus touchés par les conditions dans les établissements postsecondaires - ont été essentiellement marginalisés, sans avoir leur mot à dire sur la sécurité ou la qualité de leurs conditions de travail et d'apprentissage. On ne peut pas permettre que se perpétue la situation où d'autres prennent des décisions qui peuvent affecter négativement leur vie et que leur seul rôle est de réagir une fois que la décision est prise. Les membres de la communauté universitaire doivent continuer à faire entendre leurs voix et adopter des positions proactives afin de déterminer leurs conditions de travail et d'apprentissage et la direction même de l'enseignement postsecondaire.

Notes

1. « L'éducation postsecondaire post-pandémie », David Robinson, Bulletin de l'ACPPU, mai-juin 2020.

2. « Containing the Impact of COVID-19 on Higher Education », par Michael A. O'Neill, policyoptions.irpp.org

3. Ibid

4. « COVID019 and the Academy », mémoire d'énoncé de politique de l'OCUFA.


Cet article est paru dans

Numéro 45 - Numéro 45 - 30 juin 2020

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