Les indicateurs de performance: une autre idée zombie
- George Allen -
Comme des zombies qui sortent de leur cercueil,
les indicateurs de performance (IP) sont de
nouveau un enjeu brûlant parmi les représentants
du gouvernement albertain et les administrateurs
des établissements d'enseignement postsecondaire
(EPS). Le 20 janvier, le ministre de
l'Éducation supérieure, Demetrios Nicolaides, a
annoncé que les IP seraient mis en place en
Alberta à partir du 1er avril et seraient
utilisés pour déterminer le financement des
universités, des collèges et des écoles de
formation technique. Le 27 mars, Nicolaides a
reculé par rapport à sa déclaration originale et a
dit que les IP seraient reportés à la fin de mai
en raison des problèmes créés par la pandémie de
la COVID-19, mais a affirmé que l'idée serait
bientôt réactivée.
L'idée néolibérale des IP, qui tire son origine
du monde des affaires, tente de lier « les
coûts » de production d'un bien en
particulier à l'intention fondamentale de réduire
les coûts. C'est pour cela que la montée des IP
est toujours accompagnée d'incessantes
compressions budgétaires dans le système
d'éducation public. Dans le domaine de
l'enseignement postsecondaire, les IP les plus
fréquents sont liés au nombre d'étudiants
inscrits, au taux de diplomation et au taux
d'embauche des diplômés. Mais dès le départ, il y
a deux choses fautives avec l'idée des IP. En
premier lieu, l'éducation est un investissement et
non un coût. Deuxièmement, l'éducation n'est pas
une marchandise ; c'est un bien public qui
doit être constamment élargi pour engendrer
l'amélioration continue de la société.
Les IP existent depuis longtemps, mais ce n'est
pas fortuit qu'ils soient devenus à la mode durant
l'époque Reagan/Thatcher comme un aspect du
mouvement néolibéral de transformer les
universités en des places d'affaires, le tout avec
des structures de la base au sommet qui favorisent
le secteur des entreprises. Des détails mineurs
tels que la gouvernance collégiale (qui est
maintenant réduite à celle d'un rituel dans la
plupart des institutions d'EPS) et la liberté
académique (qui est maintenant attaquée sous
différents prétextes, tels que le « manque de
civilité ») ont été qualifiés d'entraves à
pouvoir « faire des affaires », de manière
similaire aux droits des travailleurs et à la
réglementation environnementale. Comme l'a déjà
déclaré de manière infâme Thatcher : « Il n'y a
pas de société ; il n'y a que les
marchés ». Alors la perspective néolibérale
est que le soi-disant libre marché devrait
gouverner les IP, et les gérants d'affaires
devraient faire fonctionner les établissements
d'enseignement postsecondaire avec cela en tête.
Dans le passé, les IP ont atteint des sommets
d'absurdité. C'est surtout ainsi en raison des
tentatives de tout réduire à des chiffres. Dans
les années 1980, en Nouvelle-Zélande, le
gouvernement a fait la proposition ridicule « coût
par pied carré » comme un véritable
indicateur de l'efficacité des institutions d'EPS.
D'autres gouvernements ont suggéré de traiter les
diplômés comme un « produit » du personnel,
de la bibliothèque, de l'informatique et des
autres coûts nécessaires à « leur »
production. Une troisième approche consiste à lier
la « performance » directement aux seuls taux
d'embauche des diplômés, comme si cela était même
possible dans l'économie à la demande
d'aujourd'hui, alors que beaucoup sont des
travailleurs à temps partiel sans sécurité, même
dans les établissements d'enseignement
postsecondaire.
Des tentatives
maladroites d'appliquer « l'approche
numérique » à l'évaluation de l'efficacité
des EPS montrent encore et encore qu'il est
presque impossible de mesurer ce que les
établissements d'enseignement postsecondaire font
ou devraient faire. Les taux de diplomation
peuvent être mesurables. Mais comment, par
exemple, attribuer un chiffre à la contribution
sociale, à la pensée critique, à la créativité, à
la tolérance, aux compétences en résolution de
problèmes, au leadership, à la sagesse, à l'accès
pour les groupes marginaux, à la diversité du
personnel enseignant, etc. ? Les chercheurs
ont passé des décennies à essayer de clarifier ce
que sont ces choses, sans parler de la façon de
les mesurer. Les IP ignorent donc simplement ces
facteurs importants. Les gouvernements et les
administrateurs qui font leurs appels d'offres, en
faisant la promotion des IP, affirment
essentiellement que ce qui ne peut pas être
quantifié n'a pas de valeur et peut donc être
ignoré. Peut-être devraient-ils écouter de plus
près la célèbre maxime d'Einstein : « Ce qui
compte ne peut pas toujours être compté et ce qui
peut être compté ne compte pas forcément. »
Un autre point est que les éléments qui doivent
être « mesurés » par les IP ne sont souvent
même pas sous le contrôle de l'université ni de
son personnel enseignant. Par exemple, lorsqu'un
gouvernement réduit ses budgets de fonctionnement,
la réponse de l'université ne peut être que de
s'opposer aux compressions ou de plier l'échine et
de trouver des moyens d'éliminer du personnel et
des programmes pour respecter les nouvelles
directives budgétaires, sans tenir compte du fait
que le personnel est le producteur de toute la
valeur. Malheureusement, la deuxième alternative
est celle que les établissements postsecondaires
de l'Alberta ont choisie. Pas une seule
institution d'EPS n'a résisté aux compressions du
gouvernement du PCU ou à la prescription des IP.
Bien sûr, le fait qu'en août dernier le PCU ait
remplacé les présidents actuels des conseils
d'administration des établissements d'enseignement
postsecondaire par leurs propres représentants de
l'industrie a contribué à miner la résistance
interne.
Il est illusoire de penser que les IP garantiront
en quelque sorte la « reddition de
comptes » ou produiront «
l'excellence » en matière d'EPS. L'idée est
une insulte aux éducateurs, aux étudiants et au
personnel de soutien ainsi qu'une fausse
représentation des véritables objectifs de
l'éducation. L'éducation n'est pas une entreprise
et ne doit pas non plus être un simple valet de
l'industrie. Les chiffres des IP ne fourniront
aucune indication si l'objectif est vraiment
d'améliorer nos établissements d'enseignement
postsecondaire.
Cependant, l'autre point est qu'il est tout aussi
possible que les IP puissent produire exactement
la conclusion opposée à celle des réducteurs de
coûts. Si c'est le cas, ils pourraient être
utilisés pour montrer que ce dont les universités
ont réellement besoin, ce ne sont pas des
compressions, mais davantage de financement, une
législation affirmant le droit à l'éducation, plus
des professeurs avec un statut permanent et des
avantages sociaux, un équipement plus nombreux et
de meilleure qualité ainsi que le gel, la
diminution et éventuellement l'élimination de tous
les frais de scolarité.
Cet article est paru dans
Numéro 45 - Numéro 45 - 30 juin 2020
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