Démantèlement du système d'éducation postsecondaire avec l'aide de la firme McKinsey & Company
-
Dougal MacDonald -
Le 11 juin, le premier ministre de
l'Alberta, Jason Kenney, a annoncé que son
gouvernement avait signé un contrat de 3,7
millions de dollars avec McKinsey Calgary, filiale
d'une société géante mondiale de conseil en
gestion aux États-Unis, pour revoir le système
d'enseignement postsecondaire de la province.
McKinsey & Company, ou « la firme », est
la plus grande société de conseil en gestion au
monde ; bon nombre de ses employés sont
devenus PDG de grandes sociétés ou de hauts
fonctionnaires. L'ancien associé directeur de
McKinsey, Dominic Barton, est maintenant
ambassadeur du Canada en Chine. L'ancien employé
Robert Greenhill est devenu président de l'Agence
canadienne de développement international (ACDI).
À première
vue, la sélection de McKinsey par le Parti
conservateur uni (PCU) pour passer en revue
l'enseignement postsecondaire semble étrange.
Selon le biographe de McKinsey, Duff McDonald, la
firme « fournit des services de conseil en
stratégie et en gestion, tels que des conseils sur
une acquisition, l'élaboration d'un plan de
restructuration d'une force de vente, la création
d'une nouvelle stratégie commerciale ou des
conseils sur la réduction des effectifs ». De
toute évidence, aucun de ces services ne concerne
l'éducation. Cependant, ils ne contredisent
certainement pas la campagne néolibérale en cours
pour financer et privatiser l'enseignement
postsecondaire et en faire le valet de
l'industrie.
Aucun des quatre partenaires de McKinsey Calgary
ne revendique une expertise en éducation
postsecondaire. En fait, trois d'entre eux citent
comme principal domaine d'expertise leurs services
rendus à l'industrie pétrolière et gazière, tandis
que l'autre se concentre sur l'accompagnement
professionnel de cadres. Il est difficile de voir
en quoi cela les qualifie pour passer en revue
l'enseignement postsecondaire. Mais il ne faut pas
se surprendre puisque l'actuel ministre de
l'Enseignement supérieur est parvenu à son poste
en fournissant des conseils en communication au
secteur privé. Sa seule expérience d'enseignement
postsecondaire est dans des établissements
d'études commerciales qui n'ont pas de raison
d'être associées aux universités, car elles
traitent le monde des affaires de manière non
critique.
Cela ne veut pas dire que McKinsey & Company
n'a jamais produit de rapports sur l'éducation
postsecondaire. Par exemple, en 2012, elle a
publié une étude intitulée « Refonte 101 : Un
nouvel ordre du jour pour les dirigeants des
universités et du système d'enseignement
postsecondaire ? » Aucune des
recommandations du rapport n'est une surprise. Le
rapport ne fait que recycler les divagations
habituelles des gouvernements réactionnaires comme
celles de plus de partenariats avec l'industrie,
les services donnés en sous-traitance, la
réduction des avantages sociaux des employés,
l'élimination des activités « non
essentielles » et la consolidation des cours.
Le rapport ne dit rien sur les conditions
d'apprentissage des élèves ou les conditions
d'enseignement des instructeurs et comment elles
peuvent être améliorées. Il traite l'éducation
comme une entreprise qui doit être gérée plus «
efficacement », ce qui correspond à peu près
à la façon dont McKinsey traitera l'enseignement
postsecondaire de l'Alberta.
La deuxième raison pour laquelle le choix de
McKinsey semble étrange est qu'un certain nombre
d'entreprises qu'elle a conseillées ont par la
suite connu certaines des plus grandes faillites
commerciales de ces dernières décennies. Cela
comprend l'effondrement d'Enron, la chute du
fabricant de médicaments Valeant, l'échec du fonds
spéculatif Galleon et diverses transactions
louches liées aux frères Gupta d'Afrique du Sud.
En outre, McKinsey a formulé des recommandations
controversées pour certains clients douteux,
notamment l'Agence fédérale du service de contrôle
de l'immigration et des douanes des États-Unis
(ICE) sous l'administration Trump, l'Arabie
saoudite et le fabricant américain de médicaments
Purdue Pharma. Les conseils de McKinsey à Purdue
ont porté sur la façon de stimuler les ventes
d'opioïdes. Purdue fait désormais face à 12
milliards de dollars de poursuites pour avoir
provoqué et entretenu la crise des opioïdes.
Le PCU semble avoir
une relation assez privilégiée avec McKinsey.
Le 1er mai 2019, il a embauché David
Knight Legg, ancien employé de McKinsey, en tant
que conseiller en chef pour les affaires
commerciales et financières. Celui-ci a accompagné
le premier ministre Kenney lors de plusieurs
voyages à l'étranger pour promouvoir les
investissements. Le 5 juin, le ministre de
l'Enseignement supérieur du PCU, Demetrios
Nicolaides, a publiquement cité un rapport de la
firme McKinsey publié en 2015 et intitulé La
jeunesse en transition, qui conclut que
seulement 34 % des employeurs
et 44 % des étudiants pensaient qu'ils
étaient préparés à affronter le marché du travail.
Cela correspond parfaitement à l'ordre du jour du
PCU qui est de lier plus étroitement l'éducation à
l'offre de formation gratuite aux monopoles.
Depuis son élection en 2018, le PCU a mis en
place un certain nombre de « refontes » pour
tenter d'amener les Albertains à appuyer ses
politiques. Chaque fois, il a veillé à ce que ceux
qui mènent la mascarade parviennent à ses
conclusions prédéterminées et l'examen de McKinsey
ne fera pas exception. Une grande partie sera
probablement des banalités néolibérales. Si
l'examen comprend une véritable consultation de la
population de l'Alberta, tout ce qui contredit les
conclusions prédéterminées sera ignoré. Le PCU
dira alors que les experts et le public appuient
l'examen et ses conclusions.
L'aspect le plus révoltant de l'examen de
l'enseignement postsecondaire sera peut-être la
façon dont les administrateurs des échelons
supérieurs de divers établissements
postsecondaires de l'Alberta accueilleront sans
hésitation les « constatations », quelles
qu'elles soient. Cela a été le modèle jusqu'à
présent, même lorsque les compressions du PCU dans
le financement de l'enseignement postsecondaire
ont entraîné des pertes d'emplois, des gels
d'embauche, des annulations de programmes, une
augmentation des frais de scolarité, l'abandon de
bibliothèques, etc. Cette destruction est acceptée
de façon complaisante par les administrateurs au
sommet des établissements postsecondaires qui
répètent les dogmes tels que : « Nous devons
nous adapter aux réalités fiscales
actuelles ». Bien sûr, l'une des raisons pour
lesquelles les administrateurs ont cédé aux
campagnes anti-éducation du PCU est qu'en août
2019, le PCU a remplacé les présidents actuels des
conseils d'administration de nombreuses
institutions d'enseignement postsecondaires par
ses propres agents, principalement du secteur de
l'énergie.
L'examen du PCU de 3,7 millions de dollars
laisse entendre qu'il y a un grand mystère sur ce
qui doit être fait en ce qui concerne l'éducation
postsecondaire en Alberta, mais il n'y a pas de
mystère. Pour commencer, voici quatre étapes qui,
selon plusieurs, devraient être prises dès que
possible. Premièrement, le droit à l'éducation
doit être légiféré. Deuxièmement, le financement
de l'éducation doit être considérablement accru.
Troisièmement, les frais de scolarité doivent être
gelés, puis diminués et finalement éliminés.
Quatrièmement, la pratique consistant à exploiter
le corps professoral en embauchant selon un statut
« saisonnier », sans sécurité d'emploi, sans
avantages sociaux et avec des salaires
insuffisants, doit cesser. Ces quatre étapes à
elles seules contribueraient grandement à
revigorer l'enseignement postsecondaire en Alberta
afin qu'il puisse mieux s'acquitter de sa vraie
mission, qui est de contribuer à l'avancement de
la société en servant l'intérêt public.
Cet article est paru dans
Numéro 45 - Numéro 45 - 30 juin 2020
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