De nouveaux assauts néolibéraux
contre l'éducation
La ministre de l'Éducation de l'Alberta étend le diktat du gouvernement sur les commissions scolaires locales
- Kevan Hunter -
À la suite d'une étude du cabinet de consultants
multinational Grant Thornton LLP, la ministre de
l'Alberta Adriana LaGrange a signé un arrêté
ministériel concernant les opérations de la
Commission scolaire de Calgary (CSC) le 21
mai. Cet arrêté établit 19 conditions que la
Commission doit respecter avant le 30
novembre sans quoi la ministre démantèlera la
commission scolaire élue et nommera des
commissaires qui obéiront docilement au diktat du
gouvernement.
L'étude a été
parrainée par la ministre de l'Éducation en
novembre 2019 pour punir la CSC d'avoir
ouvertement parlé des conséquences des compressions
du gouvernement au financement de l'éducation. Alors
que cette année la CSC avait ultimement obtenu
l'autorisation de puiser dans ses fonds
d'infrastructure et d'entretien pour conserver son
personnel, elle s'attendait à devoir supprimer 300
postes d'enseignants au beau milieu de l'année
scolaire en raison du budget annoncé par le
gouvernement albertain.
En ciblant la CSC par ces mesures, la ministre de
l'Éducation veut envoyer un message à toutes les
autres commissions scolaires de la province sur la
façon dont le gouvernement compte fonctionner et
comment elles doivent se mettre au pas ou en subir
les conséquences.
Ce qui se passe dans l'éducation publique à
Calgary est une préoccupation pour tous les
Canadiens, car elle illustre comment l'offensive
antisociale est menée par les cercles dirigeants
pour miner l'éducation publique et élargir
l'espace pour la privatisation et la destruction
encore plus grande du système public.
Le mandat confié à Grant Thornton par le
gouvernement était d'examiner « la gestion des
coûts financiers et de gouvernance » en
ciblant les questions telles « le coût de
prestation des services » et « les centres
spécifiques de dépenses » qui comprennent,
entre autres, « les niveaux de personnel et la
rémunération qui leur est liée ». Grant Thornton
se présente comme un conseiller des gouvernements
municipaux et d'autres niveaux de gouvernement sur
la « viabilité financière », ce qui en bon
français veut dire conseiller les gouvernements
sur quelles compressions effectuer.
L'étude est au service de la prise en charge de
l'éducation publique par des intérêts privés. Le
point de départ n'est pas que tous les enfants
vivant en Alberta ont le droit à l'éducation et
que nous devons déterminer comment garantir ce
droit. Plutôt, la perspective est que le
financement de l'éducation est un fardeau et une
perte pour la société et les autres secteurs de
l'économie.
Le rapport se veut une série d'observations sur
ce que seraient les points positifs et les points
négatifs des finances de la CSC. Du côté négatif,
la CSC avait signé un bail à long terme pour son
centre administratif avant que les prix du pétrole
ne chutent et, par conséquent, elle déboursera des
sommes beaucoup plus élevées que le taux actuel du
marché. Du côté positif, toujours selon Grant
Thornton LLP, la « CSC est présentement au haut de
l'échelle en termes d'efficience, comparativement
à d'autres juridictions scolaires en ce qui
concerne les coûts du personnel
d'entretien ». La CSC se vante du fait
qu'elle assigne à chaque préposé à
l'entretien 2 361 mètres carrés, en
moyenne, à nettoyer. Aucune enquête n'est faite à
savoir si ceci est adéquat ni même réaliste dans
des conditions normales. Le rapport ne reconnaît
même pas que, dans les conditions de la pandémie
mondiale, les écoles ne peuvent pas être rouvertes
de façon sécuritaire sans augmenter de façon
considérable le niveau et la fréquence du
nettoyage.
La CSC est critiquée parce qu'elle n'avait pas
suffisamment d'argent dans son compte de réserves
d'opération « dans un moment d'incertitude
financière à la suite de l'élection d'un nouveau
gouvernement ». En d'autres mots, le
gouvernement peut fixer le financement de
l'éducation comme bon lui semble, n'aurait aucune
responsabilité sociale d'assurer un financement
conforme aux besoins des élèves, des enseignants
et des travailleurs de l'éducation et la CSC
serait fautive parce qu'elle ne serait pas prête à
faire face à la situation.
Voici le résumé que fait le rapport de ses
conclusions :
« Dans l'ensemble, les conclusions révèlent une
organisation qui a connu sa part de tourmente au
niveau de la gouvernance en faisant passer le
processus avant la fonctionnalité et en raison
d'une vision à court terme de la viabilité
financière. Cela étant dit, au niveau opérationnel
de la gestion financière nous avons trouvé
plusieurs exemples de solides processus et
contrôles financiers ainsi que d'autres aspects
sur lesquels nous avons fait des recommandations
pour les améliorer. »
La ministre a choisi les recommandations du
rapport qui faisaient son affaire pour brosser le
portrait désiré d'une institution publique
défaillante qui a perdu son chemin et a besoin de
l'intervention du gouvernement pour se remettre
sur les rails. Le contenu du rapport est déformé
pour que celui-ci semble être plus critique envers
la CSC qu'il ne l'est en réalité.
Comme la CSC a supposément « mis l'accent sur les
questions liées au processus interne et sur
l'interprétation de la politique plutôt que sur
les questions stratégiques à l'ordre du
jour », la solution est d'apporter différents
amendements aux politiques de prévisions
opérationnelles, d'avoir un formateur en matière
de gouvernance approuvé par la ministre et
d'améliorer le programme de gestion de risques.
Le jargon
d'affaires est renversant, mais un élément se
démarque : la gestion de risques. Les
conditions requises pour que les étudiants
puissent s'épanouir et que les enseignants et les
travailleurs de l'éducation puissent répondre à
ces besoins et défendre leurs droits sont perçues
comme autant de boulets par les riches parce
qu'elles réduisent le montant de valeur sociale
reproduite (richesse) qu'ils peuvent exproprier et
réclamer comme profit privé. Pour les riches, le
système d'éducation est la source de travailleurs
dont ils ont besoin et qui possèdent les
qualifications précises qu'ils requièrent. Les
intérêts privés exigent aussi le contrôle sur
tout, de la construction des écoles (partenariats
publics-privés), à la planification des
programmes, en passant par l'enseignement
supérieur où ils veulent contrôler la recherche.
Nous devons garantir le droit à l'éducation
parce que la société a besoin d'enseignants, de
travailleurs de l'éducation, d'écoles, de collèges
et d'universités à l'esprit éclairé pour aider à
élever nos enfants et à ouvrir une voie au progrès
de la société. Nous avons besoin d'un système
d'éducation qui reconnaît que garantir ce droit
signifie qu'il faut veiller aux besoins de tous
les étudiants et fournir les programmes
pertinents. Plus particulièrement, les enfants
autochtones, dont la langue première n'est ni
l'anglais ni le français, et les enfants ayant des
besoins particuliers, doivent pouvoir bénéficier
de tout ce dont ils ont besoin pour s'épanouir.
Mais le gouvernement Kenney a un ordre du jour
différent. Son objectif est de servir les intérêts
privés de ceux qui contrôlent l'économie qui
constituent l'oligarchie financière et, en
Alberta, plus spécifiquement les oligarques de
l'énergie et leurs financiers. Tout ce qui ne sert
pas cet intérêt est sacrifiable.
Entre autres, la ministre LaGrange a avisé la CSC
qu'elle doit « fixer des mesures de performance
qui peuvent servir à évaluer la qualité des
programmes et quelle information est requise pour
contrôler l'efficacité éducationnelle et en termes
de coûts des programmes supplémentaires ».
Ce qu'on laisse entendre, c'est que la CSC doit
se recentrer sur son « activité principale »
d'éduquer les étudiants dans le contexte d'une
école régulière. Dans le cadre du système
d'éducation public de Calgary, il y a de nombreux
programmes alternatifs, comme les programmes
d'immersion, d'apprentissage axé sur les arts,
l'éducation axée sur les sciences, des classes
pour les étudiantes enceintes et les nouvelles
mères, et des programmes de sensibilisation pour
les élèves à risque qui ne réussissent pas dans
les écoles traditionnelles. Avec ces programmes
viennent des dépenses supplémentaires liées au
transport des étudiants sur de longues distances
ou, dans certains cas, pour les élèves ayant des
besoins particuliers, ce qui requiert des classes
avec moins d'étudiants.
Le fait de restreindre la portée de l'éducation
publique est conforme aux objectifs de la Loi 15,
Choice in Education Act, qui a été adoptée
le 24 juin par l'Assemblée législative de
l'Alberta. La Loi 15 centralise davantage le
processus d'approbation des écoles à charte entre
les mains du ministre de l'Éducation et élargit
les critères sur lesquels les écoles à charte
peuvent être approuvées. La Loi supprime également
l'obligation que la commission scolaire soit
invitée à organiser un programme alternatif avant
qu'il puisse être établi comme une école à charte.
C'est aussi conforme à la politique du Parti
conservateur uni de « financement par étudiant
équitable en fonction du choix d'école ».
L'Alberta finance déjà les écoles privées à 70 %
du système public et Kenney a clairement dit qu'il
est favorable à l'expansion d'écoles privées et à
charte. Forcer la CSC à se recentrer sur ses «
affaires principales » plutôt que sur les «
programmes supplémentaires » peut servir à
éliminer des programmes qui ne répondent pas aux
besoins de l'oligarchie financière, comme les
écoles alternatives. C'est un processus en vertu
duquel les étudiants les plus vulnérables seraient
abandonnés, ce qui ne semble pas être une grande
préoccupation pour le gouvernement ni pour la
ministre de l'Éducation ni pour le
gouvernement de l'Alberta.
La CSC est avisée
qu'elle doit « soutenir la salle de classe de
façon plus directe (c'est-à-dire, avec des
enseignants « réguliers » et moins de
spécialistes, de dirigeants, d'administration,
etc.). Rediriger les ressources aux « premières
lignes » est devenu un mantra dans le
contexte de l'offensive antisociale. Cela déforme
la réalité parce que la plupart des enseignants
qui sont des dirigeants désignés enseignent à
temps plein ou presque, et les quelques
spécialistes qui existent fournissent aussi des
services essentiels aux étudiants et aux
enseignants.
D'autres mesures de « gestion financière »
envisagées sont d'éliminer tous les services de
transport scolaire aux étudiants vivant dans un
rayon de moins de 2,4 km de l'école et
d'augmenter les frais de transport.
Comme le fait valoir l'organisation Appuyez nos
étudiants, la ministre de l'Éducation devrait
avoir comme priorité en ce moment la réouverture
des écoles en toute sécurité. En fait, en ce
moment, les écoles ont besoin de plus de
ressources, pas de moins de ressources. Les
étudiants souffrent déjà de la façon arbitraire
dont la décision de fermer les écoles et de mettre
à pied un grand nombre de travailleurs de
l'éducation a été prise. Le refus de consulter les
enseignants et de faire en sorte qu'ils
participent aux prises de décision cause des
dommages aux étudiants et au système d'éducation.
Le gouvernement n'a pas assumé sa responsabilité
sociale de financer adéquatement l'éducation, et
lorsqu'il y a des failles dans le système, il
cherche à infliger le coup de grâce. Alors que
tout le monde se concentre sur la façon de
surmonter la crise, le gouvernement a saisi
l'occasion pour promouvoir un ordre du jour de
privatisation. C'est un comportement éhonté.
Entretemps, ce sont les enseignants et les
travailleurs de l'éducation qui assument leur
responsabilité sociale puisque le gouvernement
refuse de le faire. Lorsque les écoles ont été
fermées, les enseignants et les travailleurs de
l'éducation n'ont pas attendu qu'on leur dise quoi
faire. Ils se sont immédiatement mis en action
pour veiller au bien-être des étudiants et
développer ensemble comment l'apprentissage en
ligne devait se faire. C'est dans cet esprit
qu'ils continueront de défendre l'éducation
publique.
Cet article est paru dans
Numéro 45 - Numéro 45 - 30 juin 2020
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