Benoît Taillefer, vice-président en santé et sécurité au travail du Syndicat des travailleurs et travailleuses du CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal
Forum ouvrier : À ton avis,
quels
sont les principaux problèmes en ce moment avec la
crise de la pandémie
qui sévit dans le système de santé, et de manière
particulièrement
forte dans les CHSLD ?
Benoît
Taillefer : Il y a plusieurs
problèmes. Il y a le
problème de la bureaucratie et au niveau
administratif. Depuis que nous
sommes devenus un CIUSSS (Centre intégré
universitaire de santé et
services sociaux), le centre est devenu une grosse
bureaucratie et une
grosse administration. Il y a un directeur général
et un directeur
adjoint pour gérer les 26 sites qui font
partie du CIUSSS, dont
cinq hôpitaux. C'est trop. Quand j'ai commencé à
travailler dans le
réseau de la santé, il y avait un directeur
général pour un
établissement. C'était plus facile à gérer. Ce
sont les libéraux, avec
le gouvernement Charest en 2005 et le
gouvernement Couillard et
son ministre de la santé, Gaétan Barrette,
en 2015, qui ont décidé
de mettre en place et de poursuivre leur réforme
en disant qu'en créant
des établissements géants, il y aurait plus de
corridors de
communications et de soins. Tout cela est
peut-être vrai sur papier,
mais en pratique, les résultats sont à l'opposé.
C'est trop gros à
gérer, il y a trop d'administration et trop de
bureaucratie. Tu poses
des questions aux personnes responsables, souvent
tu n'as pas de
réponse, ou alors elles sont inadéquates. La
personne responsable te
dit qu'elle n'est pas au courant du problème, et
la bureaucratie est
telle que souvent elle ne va pas chercher à
obtenir la réponse et à te
revenir pour que le problème soit réglé.
L'autre
problème qui vient
avec la bureaucratie c'est le manque de
communications entre les
instances, notamment entre le syndicat et la
direction. Cela fait deux
mois que la pandémie dure. Moi, je ne cherche pas
de coupable, je
cherche des solutions, mais on n'obtient pas de
réponse à des questions
rudimentaires.
Par exemple, dans notre CIUSSS, nous avons des
militaires qui nous donnent un coup de main. Je
n'ai pas d'objection à
cela. Ce ne sont pas des préposés aux
bénéficiaires, ce sont des
militaires. Pourtant, on dit aux gens qui sont
expérimentés,
spécialisés, qui travaillent dans les zones
chaudes [des zones où les
résidents sont infectés par la COVID-19] ,d'aller
travailler dans les
zones froides [des zones sans infection]. Et cela, à
l'intérieur d'un
même quart de travail. C'est une chose à ne jamais
faire. On les
remplace par des militaires qui n'ont pas
d'expérience et qui viennent
travailler à leur place dans les zones chaudes.
Nous sommes dans l'extrême incohérence. La seule
circonstance où cette mesure serait acceptable
c'est dans une situation
de bris de services, une zone où il n'y a pas de
préposés et où il
faut absolument trouver quelqu'un. Dans un même
quart de travail, on
est supposé rester là où on est. On essaie
d'éviter que les gens
bougent pour éviter la propagation du virus. Si
j'adresse la question
aux instances responsables, la réponse est que ce
n'est pas grave ou
alors on n'est pas au courant.
Le deuxième grand problème, c'est le manque de
préparation, notamment le manque d'équipements de
protection
individuelle. On n'en a pas suffisamment. On
savait qu'un jour on
ferait face à une pandémie, on n'a pas organisé
pour une éventuelle
pandémie, pour développer les réserves
nécessaires. Moi je suis préposé
aux bénéficiaires et je sais qu'il faut bâtir des
réserves dans notre
matériel. Les bureaucraties néolibérales n'ont pas
bien prévu les
choses. On a donc beaucoup d'éclosion de cas de
COVID-19 dans les
CHSLD. Il y a des CHSLD dans notre CIUSSS où les
morts de résidents se
comptent par dizaines. Nous sommes un des CIUSSS
où il y a eu le plus
de morts.
En tant que vice-président en santé et sécurité
du
syndicat, je m'assure de travailler avec les
inspecteurs de la CNESST
(Commission des normes, de l'équité, de la santé
et de la sécurité du
travail) pour que les inspections soient faites
correctement, pour
dénoncer les situations qui ne se règlent pas,
pour m'assurer qu'il y a
un suivi, sinon je rapporte la situation à la
CNESST.
Nous avons connu un décès d'une travailleuse dans
un des
CHSLD du CIUSSS. Une travailleuse de 41 ans,
très dévouée, très
appréciée de ses collègues. Nous demandons la
tenue d'une enquête sur
son décès. Elle avait développé les symptômes de
la COVID-19, avait été
retirée du travail pour cela, et elle est morte la
journée où elle
devait passer un deuxième test pour la COVID. Nous
soupçonnons très
fortement qu'elle est morte de la COVID.
Pour freiner la pandémie, il faut mettre les
choses bien
en place, s'assurer que les règles de sécurité
soient bien suivies. Il
faut appliquer les directives de la Santé publique
correctement. Il ne
faut pas manquer d'ÉPI.
Il faut reprendre le dessus dans les CHSLD.
S'assurer
que quand une personne décède, il y a une
désinfection complète de la
chambre avant qu'une autre personne soit
admise. Il faut assurer
une désinfection fondamentale de tous les CHSLD.
C'est difficile parce
qu'il y a tellement de gens en attente pour venir
dans les CHSLD.
On doit penser à des solutions auxquelles on n'a
pas
pensé encore. Est-ce que les résidents pourraient
porter des
masques ? Pas en tout temps, mais quand il y
a une interaction
entre un membre du personnel et la personne
hébergée. On peut déjà
entendre la réponse, qu'il n'y a pas assez de
masques. À mon avis, si
la volonté politique est là, on peut résoudre ces
problèmes-là.
FO : Tu veux ajouter quelque
chose
en conclusion ?
BT : Je pense que s'il y a
quelque
chose de positif qui ressort de cette crise, c'est
qu'elle a permis de
mettre en lumière les travailleurs de l'ombre, qui
sont sous-payés,
sous-valorisés, qui sont au front et qui risquent
leur vie. Il faut les
valoriser monétairement bien sûr, mais pas
seulement monétairement. Ils
doivent avoir de bonnes conditions de travail, une
reconnaissance
psychologique aussi. Il faut reconnaître ces
métiers-là qui sont au bas
de l'échelle, comme les préposés aux
bénéficiaires.
C'est important aussi de prendre la parole
publiquement
sur ce qui se passe. Cette crise est une crise
sanitaire publique. Il y
a des pressions de la part des employeurs pour
nous forcer au silence.
On ne peut pas être silencieux. Nous sommes les
premiers intervenants.
Nous devons faire avancer les choses pour nos gens
qui sont à risque et
pour le public. Bien sûr, il faut être objectif,
rechercher des
solutions. La population doit savoir ce qui se
passe dans le secteur.
Cet article est paru dans
Numéro 37 - Numéro 37 - 28 mai 2020
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Benoît Taillefer, vice-président en santé et sécurité au travail du Syndicat des travailleurs et travailleuses du CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal
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