Sérieuses préoccupations des
travailleurs
alors que les chantiers
de construction rouvrent au Québec
Entrevue avec Simon Lévesque, responsable de la santé et de la sécurité à la FTQ-Construction
Forum ouvrier : Le 28
avril
dernier, le gouvernement Legault a décrété la
réouverture des chantiers
de construction et des entreprises manufacturières
pour le 11 mai.
Est-ce que tous les chantiers de construction sont
ouverts en ce moment
à l'échelle du Québec ?
Simon Lévesque : Oui. Tous
les
secteurs de la construction sont ouverts depuis
le 11 mai. Tous
les chantiers sont donc rouverts eux aussi, sauf
quelques-uns qui ont
décidé de ne pas rouvrir tout de suite, ou qui
peut-être ne rouvriront
plus, pour des raisons économiques probablement.
FO : Qu'est-ce qui ressort de
cette
première semaine de réouverture ?
SL : Mon
impression c'est
qu'au milieu de cette reprise, il y a une pression
qui est faite par
les employeurs de vouloir retravailler comme
avant, bien que la
situation demande des changements dans la façon de
travailler. On
observe par exemple chez les employeurs une
préoccupation de se
protéger de la COVID-19, une protection légale je
dirais, plutôt qu'une
protection qui se fait par la prévention.
Par exemple, nous avons un guide pour la COVID-19
pour
les chantiers de construction, qui comprend plein
de choses à respecter.
Entre autres choses, il y a la validation de
l'état de
santé des travailleurs lorsqu'ils arrivent sur le
chantier. L'employeur
doit valider quotidiennement l'état de santé de
chacun de ses
travailleurs, lors de son arrivée sur le chantier,
en lui posant les
questions suivantes : a-t-il des symptômes de
la COVID-19, est-il
en contact avec une personne atteinte de la
COVID-19, et revient-il
d'un voyage à l'extérieur du pays depuis moins de
deux semaines ?
S'il répond oui à une des questions, le
travailleur doit retourner et
rester chez lui. Évidemment, la question de savoir
s'ils ont voyagé,
lorsque ce sont toujours les mêmes travailleurs
qui se présentent sur
le chantier, elle n'a pas vraiment à être posée à
chaque jour après la
première journée. Ce qu'on a observé, c'est que
des employeurs, une
semaine après la réouverture de tous les secteurs,
disent déjà qu'ils
en ont assez de faire cette validation. Ils ont
incorporé la validation
dans un formulaire qu'ils font cocher tous les
matins par les
travailleurs, ou dans une petite application sur
laquelle on peut
cliquer. Ils peuvent compiler les réponses et dire
que oui ils ont posé
les questions. Mais est-ce qu'ils ont pris le
temps de parler avec les
travailleurs ? Ils n'ont pas de temps à
perdre avec cela. C'est
fait surtout pour se protéger légalement plutôt
que d'engager le
dialogue social avec les travailleurs. À mon avis,
si on ne retrouve
pas le dialogue social à l'occasion d'une crise
comme celle-là, on ne
le retrouvera jamais.
Il y a aussi, surtout avec le discours actuel du
premier
ministre Legault sur l'importance des masques pour
freiner la COVID-19,
une tentation qu'on ressent chez les employeurs de
trouver un
équipement de protection qui va permettre qu'on
travaille comme avant,
avec masque et visière par exemple. Nous sommes en
discussion là-dessus
avec la CNESST et la Santé publique.
À mon avis, la
question du masque sur les
chantiers est une arme à deux tranchants parce que
l'accent est mis sur
l'équipement plutôt que sur les méthodes de
travail. Nous, on maintient
qu'il faut continuer de travailler pour réaliser
la distanciation de
deux mètres, qu'il faut planifier les travaux pour
qu'il y ait un
maximum de prévention sur les chantiers, qu'on
doit travailler sur les
méthodes de travail, même si on obtient des
masques et des visières.
Sur les chantiers, on a pris du retard, on veut
rattraper ces retards et ces délais, on doit
retrouver la rentabilité,
on accélère la cadence. Les employeurs disent que
ça va coûter plus
cher de trouver des méthodes de travail plus
sécuritaires. C'est
reparti très vite avec du monde partout, alors que
les syndicats n'ont
pas les mécanismes de prévention en place pour
être partout et
efficaces dans tous les milieux.
Autrement dit, une impression qui est très forte
avec
cette première semaine de reprise des chantiers,
c'est l'inquiétude. Ce
sera tout un défi de passer à travers cette crise
en assurant que le
travail est fait de façon sécuritaire.
Cet article est paru dans
Numéro 35 - Numéro 35 - 19 mai 2020
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