Entrevue avec François Patry, président de la Fraternité nationale des charpentiers-menuisiers, Section locale 9 de la FTQ-Construction

Forum ouvrier : Quelle est ton opinion sur la décision du gouvernement du Québec de procéder à une réouverture partielle des chantiers domiciliaires ?

Francois Patry : Au local 9, nous avons toujours été en faveur de l'ouverture des chantiers. Ce qu'on veut, c'est s'assurer que les employeurs respectent les conditions qui sont nécessaires à l'ouverture des chantiers. Cela veut dire la salubrité, d'avoir des toilettes convenables et propres, des endroits où on mange, d'avoir l'espace nécessaire pour maintenir le deux mètres de distance, d'avoir une organisation du travail qui nous permet de travailler de façon sécuritaire. Cela nous prend aussi les équipements qui nous permettent de travailler à deux mètres les uns des autres. Dans le document qui a été produit pour la réouverture, on parle de transporter les travailleurs à deux par camion. Deux par camion, cela ne respecte pas le deux mètres de distance.

Si toutes les mesures de sécurité sont respectées, nous sommes d'accord avec la reprise des travaux. Notre problème est que les règles de sécurité n'étaient pas respectées avant la fermeture des travaux. Alors comment vont-ils faire maintenant, qu'est-ce qu'il y a de changé pour que maintenant, les conditions de sécurité soient respectées ? Il n'y a rien qui nous dit que cela va être le cas.

Malheureusement, l'expérience que j'ai, en 30 ans de santé et sécurité dans la construction, c'est que les employeurs ne mettent pas l'énergie nécessaire pour faire de la prévention. Ils n'ont pas cette habitude-là. Même dans un contexte comme celui que nous vivons présentement, je présume qu'ils ne vont pas changer leur manière de faire. Cependant, il faut donner la chance au coureur, mais on va être présents sur les chantiers pour nous assurer qu'ils respectent les règles.

C'est clair que c'est par des gestes concrets sur les chantiers, dans le milieu de travail lui-même, qu'on change les situations. Ce n'est pas suffisant de dire que j'ai un beau code du travail ou un beau règlement sur la santé et sécurité au travail, la question c'est d'appliquer ce règlement de santé et sécurité. La FTQ-Construction et le local 9 ont toujours dénoncé ce fait que, pour les employeurs de la construction, la prévention sur les chantiers de construction est le dernier de leurs soucis. Quand ils l'appliquent, c'est toujours selon le minimum qui est prévu par le Code de sécurité pour les travaux de construction. On s'est battu pendant 15 ans sur les chantiers pour avoir des toilettes qui respectaient un minimum de salubrité, on a dû se battre et on se bat encore pour en avoir.

Nous comprenons qu'il y a des personnes qui ont acheté des maisons, des condos, qu'ils attendent pour juillet, et que ça va être l'enfer s'ils ne les obtiennent pas. Mais il ne faut pas, parce qu'on veut relancer l'économie et que les employeurs ne respectent pas leurs obligations et ne sont pas des employeurs responsables, que nous, les travailleurs de la construction, devenions les agents de la propagation d'une nouvelle montée des cas de COVID-19 .

FO : Que penses-tu du Guide COVID-19 - Chantiers de construction, qui a été émis par le Comité de la CNESST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail) pour guider la réouverture des chantiers ?

FP : Ce guide me dit qu'on n'a pas changé grand-chose. On n'a rien changé dans le Code de sécurité pour les travaux de construction. On a rajouté certaines choses : demander au travailleur s'il a eu des symptômes, s'il fait de la fièvre, s'il revient d'un voyage à l'extérieur du pays. On a rajouté que l'employeur doit faire tout ce qui est possible pour faire respecter la distance de deux mètres. C'est tout.

En ce qui concerne les toilettes, le guide reprend exactement ce qu'on a dans le code. Pour les chantiers de 25 travailleurs et moins, les toilettes n'auront toujours pas besoin d'avoir de l'eau courante à la réouverture des chantiers. Selon le code, sur les chantiers de construction, pour avoir droit à une roulotte pour aller manger, cela prend au moins dix travailleurs qui travaillent pendant plus de sept jours. C'est la même chose dans le guide. Le document qu'ils ont pondu n'amène aucun changement dans le Code de sécurité pour les travaux de construction.

On a été obligé de négocier dans le passé que les toilettes avec chasse, avec un lavabo et de l'eau pour se laver, ce serait réservé pour les chantiers de 25 travailleurs et plus. Parce que les employeurs ne voulaient rien savoir. Parce qu'au comité de révision du code, si on veut avancer il faut avoir l'unanimité, sinon rien n'avance. C'est de la négociation continuelle et c'est pour cela que cela nous a pris 15 ans pour en arriver à une réglementation. Comment se fait-il qu'en pleine situation de décret d'urgence sanitaire, le gouvernement utilise son pouvoir pour forcer les gens à rester à la maison et s'abstenir de se rassembler, ce que nous acceptons et mettons en pratique parce que nous comprenons la situation, mais il ne peut même pas décider que pour les chantiers de 25 travailleurs et moins, vous allez avoir les mêmes toilettes, les mêmes installations sanitaires que sur les chantiers de 25 travailleurs et plus ?

Dans le document, ils ont mis des choses comme quoi les travailleurs doivent se laver les mains.

Ils disent que les employeurs doivent prendre leurs responsabilités pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, mais ils disent aussi que si le travailleur se sent mal, il ne peut pas mettre sa santé en danger ni celle de la population. Cela veut dire que si l'employeur ne respecte pas ses obligations, cela retombe sur les épaules des travailleurs qui doivent prendre la décision de s'en aller ou n'importe quelle décision.

Le guide ne va pas assez loin. Cependant on va travailler avec cela pour débuter, mais on va revendiquer toujours plus. Sur les chantiers de 25 travailleurs et moins, on va s'assurer qu'il y ait constamment de l'eau et quelque chose pour se laver les mains. Il n'est pas question qu'on accepte du dégraisseur ou du désinfectant. Les travailleurs de la construction ont les mains tachées et sales, qu'est-ce qu'ils vont faire avec du Purell ? Cela ne correspond pas du tout à notre situation.

FO : Comment vois-tu l'intervention des travailleurs et des syndicats de la construction dans la période qui vient ?

FP : Au local 9, nous avons 23 représentants à travers le Québec. Les 23 vont être présents sur les chantiers pour mettre l'accent sur les mesures qui vont être prises pour faire en sorte que nous ne soyons pas les agents de propagation de la COVID-19.

Nous sommes en train de nous organiser pour développer une stratégie d'intervention pour nous assurer que les travailleurs peuvent travailler en toute sécurité, avec des règles qui feront en sorte qu'ils ne contracteront pas la COVID-19 au travail et que s'ils l'attrapent malencontreusement, ils ne seront pas un agent de la propagation de la maladie.

Les travailleurs veulent gagner leur vie. Ils veulent faire avancer la société. Mais cela ne doit pas se faire aux dépens de leurs conditions de travail. Déjà, nous travaillons dans un milieu de travail dangereux où on ne prend pas les mesures de prévention nécessaire.

Notre rôle est de nous assurer que les mesures de sécurité sont prises, que tout va bien se dérouler pour tout le monde. Nous voulons produire pour faire en sorte que les consommateurs reçoivent leurs maisons, leurs condos pour la date requise. Nous voulons le faire, nous faisons partie de cette société-là, mais pas au détriment de la sécurité des travailleurs de la construction.


Cet article est paru dans

Numéro 21 - 16 avril 2020

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Entrevue avec François Patry, président de la Fraternité nationale des charpentiers-menuisiers, Section locale 9 de la FTQ-Construction


    

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