Fermeture temporaire de l'usine agroalimentaire d'Olymel
à Yamachiche au Québec

Les travailleurs doivent avoir le mot final dans les décisions qui concernent leur santé

Le danger que la COVID-19 se répande dans les grands centres de production industrielle considérés comme essentiels est déjà devenu une réalité pour plusieurs usines agroalimentaires. C'est le cas entre autres des usines québécoises d'Olymel à Yamachiche, Saint-Esprit et F. Ménard à Ange Gardien, spécialisées dans l'abattage de porc à grande échelle ou encore celle d'Exceldor à Saint-Bruno, spécialisée dans la sur-transformation des produits de la volaille, ou celle de Viande du Breton à Rivière-du-Loup, un abattoir de porc, pour ne nommer que celles-là. Dans le cas de l'usine d'Olymel à Yamachiche où travaillent près de 1000 personnes, on rapporte que plus de 100 personnes ont été déclarées positives au COVID-19 en quelques jours. La haute direction de la compagnie s'est vue contrainte de cesser ses opérations dès le début de l'épidémie dans l'usine, soit quatre jours après qu'un premier employé ait reçu un résultat positif le 25 mars. Le porte-parole de l'entreprise soutient que toutes les recommandations de la Santé publique ont été suivies à la lettre concernant les procédures sécuritaires dans les chaînes de production de l'usine. Olymel se défend également en prétendant que ses employés ont pu contracter le virus à l'extérieur de l'usine. L'usine devrait graduellement reprendre ses activités le 14 avril sous la supervision de la santé publique, après avoir complété une quarantaine de 15 jours.

Le syndicat des employés de l'usine, la section locale 1991P des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC), et son délégué syndical en chef, Janick Vallières, affirment au contraire que beaucoup plus de précautions auraient pu être prises. Le syndicat soutient que l'entreprise ne fait que suivre le minimum recommandé par la Santé publique. L'exécutif syndical avait proposé des mesures supplémentaires pour améliorer la distanciation sociale et les mesures sanitaires, mais il considère la réponse de la direction comme étant décevante. Entre autres mesures, le syndicat a proposé d'interrompre la navette transportant des travailleurs de Montréal vers l'usine. Il faut savoir que dans ces grandes usines de production agroalimentaire situées généralement en région, une grande partie des travailleurs proviennent des grands centres, en particulier Montréal et Québec, et sont amenés via un service d'autobus fourni par l'entreprise. Ces autobus bondés de travailleurs ne permettent pas la distanciation sociale appropriée. Le syndicat a donc proposé d'interrompre ce service pour éviter la contagion communautaire à l'intérieur de l'usine.

Le syndicat a également proposé d'étendre la production sur sept jours. « Habituellement, on produit sur deux quarts de travail sur cinq jours. On proposait de mettre 500 travailleurs du lundi au jeudi et 500 travailleurs du vendredi au dimanche. En étalant la production sur sept jours, on aurait eu moins de travailleurs au même moment afin de permettre la distanciation sociale. Notre demande n'a pas été analysée », a dit Janick Vallières.

Le syndicat déplore également un manque de transparence de la compagnie. Selon Janick, le lien de confiance est brisé et il aurait aimé plus d'information sur les personnes infectées, leur département de travail et leur quart de travail, pour être plus en mesure de mener des enquêtes appropriées.

Rejoint par Forum ouvrier, Martin Maurice, président du syndicat des travailleurs et travailleuses d'Olymel à Vallée Jonction, affilié à la CSN, abonde dans le même sens. Son syndicat a proposé également plusieurs mesures de distanciation sociale sur les lignes de production et la compagnie n'a rien fait à ce sujet. Le syndicat avait également proposé de prendre la température de chaque employé, mais Olymel a également ignoré cette demande. Il avait aussi proposé des mesures précises pour les cafétérias et les couloirs de l'usine et bien d'autres mesures de distanciation. Martin Maurice dit être en contact constant avec la Santé publique régionale et la haute direction de l'usine. Mais il déplore que malgré de beaux protocoles bien écrits, les mesures ne sont pas appliquées ou sont mal appliquées. La position du syndicat est claire, selon Martin. Les travailleurs veulent poursuivre la production en autant que les autorités de l'entreprise appliquent à la lettre les mesures strictes qui sont nécessaires pour garantir leur sécurité.

La direction de la compagnie et son porte-parole estiment avoir fait tout le nécessaire pour endiguer l'épidémie. « Quand on a vu qu'on avait neuf cas, on a fermé l'usine avec la collaboration de la Santé publique. On vit une crise sanitaire importante », a déclaré le porte-parole de l'entreprise. Questionné sur d'autres cas positifs dans les usines d'Olymel, dont celle nouvellement acquise de F.Ménard à Ange Gardien dans la région de Granby, le porte-parole a précisé que « l'entreprise va continuer d'évaluer la situation de jour en jour et prendra d'autres mesures si la situation l'exige ». Il a aussi dit qu'Olymel a embauché deux experts médicaux pour la guider dans ses décisions et l'aider à mieux faire face à la pandémie.

Ces nombreux cas d'infections à la COVID-19 dans les grands centres de production agroalimentaire ont obligé la Santé publique gouvernementale à réagir. Un protocole spécifique pour ces industries a été mis de l'avant. À ce sujet, le porte-parole d'Olymel affirme que « nous avons implanté de nouveaux protocoles pour les abattoirs en collaboration avec l'Institut national de la santé publique. Nous allons faire respecter la distance de deux mètres quand c'est possible. Des mesures de mitigation sont prises en accord avec la Santé publique comme l'installation de séparateurs et le port de casques avec visière. »

L'implantation de ce nouveau protocole est fait par la Santé publique en collaboration avec la direction d'Olymel, avec l'Agence canadienne d'inspection des aliments, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et le Syndicat des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC).

Cette situation démontre l'importance de donner tout l'espace requis aux travailleurs directement mobilisés dans la production, dans ce cas-ci la production agroalimentaire. Les mesures qui sont nécessaires pour continuer les opérations doivent provenir de là où se fait le travail, c'est-à-dire du plancher des usines. Les protocoles qui doivent être mis en place doivent être conformes aux besoins directs des travailleurs et de leur demande de travailler en toute sécurité. Les experts de la Santé publique et les autres agences gouvernementales, de même que les cadres des entreprises, peuvent tirer les conclusions seulement en étant en contact constant avec les travailleurs directement sur la chaîne de production. Tout doit être mis en oeuvre pour faciliter ces échanges. Les comités de santé et sécurité existent pour que les travailleurs fassent part de leurs besoins et de leurs demandes directement aux gens de la santé publique. Les travailleurs maintiennent la production dans le contexte de la pandémie et c'est leur expérience directe qui va démontrer la qualité pratique d'un protocole pour éviter la propagation du virus et poursuivre la production et les activités de l'usine.

La réouverture de l'usine de Yamachiche le 14 avril devrait se faire en trois étapes. La première étape consiste à faire entrer 100 employés pour l'abattage de la viande le 14 avril. La deuxième étape est de faire entrer le reste des employés le lendemain, soit le 15 avril dans le département du découpage de la viande et la troisième étape est d'évaluer le retour possible des travailleurs en provenance de Montréal. Mais, en fin de compte, l'expérience des travailleurs est que si tout se résume à mettre un protocole bien écrit sur un babillard ou ailleurs sur le plancher de l'usine, rien ne sera réglé et tout sera à recommencer.


Cet article est paru dans

Numéro 20 - 14 avril 2020

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Fermeture temporaire de l'usine agroalimentaire d'Olymel : Les travailleurs doivent avoir le mot final dans les décisions qui concernent leur santé - Normand Chouinard


    

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