Entrevue

Gino Ocampo, chef de piquet de la section locale 213 de la FIOE


Piquetage de solidarité devant le bureau principal de Ledcor à Vancouver en appui aux membres de la section 213 de la FIOE en grève contre Ledcor Technical Services, le 21 novembre 2019

Forum ouvrier : Nous sommes présentement sur la ligne de piquetage de la section 213 de la FIOE à Port Coquitlam en ce 10 décembre. Peux-tu nous parler de la lutte que vous menez pour une première convention collective ?

Gino Ocampo : En novembre 2017, nous avons obtenu notre certification du Centre canadien des relations industrielles. Les négociations allaient être rompues alors nous avons eu recours à la médiation mais la compagnie ne voulait rien signer, même pas les clauses de droits humains fondamentaux d'une convention collective. Lorsque le comité de négociation a demandé un vote de mandat de grève, 79 % d'entre nous ont voté en faveur. Peu de temps après, 31 de nos collègues choisis au hasard ont été appelés par leurs contremaîtres qui leur ont dit : « Vous devez venir au bureau. Nous avons une mise à jour pour vous. » Les 31 travailleurs s'y sont rendus. On leur a demandé leurs clés et leur véhicule de compagnie et on leur a dit essentiellement d' « aller se faire voir ». Des taxis attendaient pour les ramener d'où ils venaient. On leur a dit : « C'est votre dernière journée de travail. Désolés, nous n'avons pas de travail pour vous ». Fin de la discussion. Nos travailleurs se demandaient « qu'est-ce que j'ai bien pu faire ? Qu'est-ce qui se passe ? »

Nous en sommes à notre 70e jour de grève. Jusqu'à maintenant, Ledcor Technical Services (LTS) a eu recours à des sous-traitants au lieu de négocier avec nous. Telus reçoit du travail en sous-traitance de LTS et LTS fait de même avec d'autres. Les travailleurs sont payés à la pièce. Ils ne sont pas payés à l'heure. Ils sont qualifiés d'entrepreneurs autonomes. C'est dans ce sens-là que l'industrie évolue, des sous-traitants et encore des sous-traitants.

FO : Est-ce que Telus est le principal sous-traitant de LTS ?

GO : Oui. Shaw est un joueur important ici dans les basses terres de la Fraser mais les syndicats ont des assises fortes dans cette compagnie. Ils ont plus de sécurité que nous. La compagnie n'est pas autorisée à engager des sous-traitants si elle met à pied ses travailleurs. [...]

Ledcor possède un bureau d'affaires dans le centre-ville de Vancouver. C'est là que se trouve son principal bureau d'affaires en Colombie-Britannique. Nous y avons tenu des rassemblements et nos piqueteurs sont répartis en deux groupes. Un groupe à Coquitlam, et les autres travailleurs, qui vivent de l'autre côté du pont, font du piquetage devant le bureau principal. Nous faisons une rotation le matin et l'après-midi. Nous piquetons 8 heures par jour et tout le monde est bienvenu.

FO : Recevez-vous de l'appui et qu'est-ce qu'on peut faire pour vous appuyer ?

GO : Plusieurs personnes nous amènent du café et du cacao de temps en temps et cela nous aide beaucoup. Nous luttons pour nos droits et nous apprécions que le grand public donne tout l'appui qu'il peut. [...] Le maire est venu nous rendre visite. Le président de la Fédération du travail de la Colombie-Britannique nous a aussi rendu visite et des conseillers municipaux sont aussi venus nous appuyer. Nous leur avons demandé d'afficher des photos et de l'information sur leurs pages Web ou Facebook pour aider à répandre le message. Nous ne sommes pas un gros syndicat. Par rapport aux autres conflits qui ont lieu en ce moment dans la province, nous sommes plutôt ignorés alors personne ne sait que nous sommes en grève.

Nous demandons aux gens qui sont des clients de Telus et qui ont besoin de techniciens de ne pas laisser entrer un sous-traitant de LTS, un employé non syndiqué de LTS. Si vous êtes un abonné de Telus, s'il-vous-plaît, ne laissez pas entrer des techniciens de Ledcor chez vous tant que nous n'avons pas une convention équitable. Telus a ses propres techniciens qui sont syndiqués et représentés par le Syndicat des Métallos mais la plus grande partie de ce travail est offerte en sous-traitance. C'est ainsi qu'ils fonctionnent. C'est un processus d'abaissement du pouvoir syndical. Ils trouvent des façons de contourner la main-d'oeuvre syndiquée.

Chez Ledcor, nous sommes rémunérés à la pièce. Si nous ne travaillons pas, nous ne sommes pas payés. En ce moment-même, la plupart de nos travailleurs en grève ont perdu leurs avantages médicaux parce qu'ils sont en grève. Nous touchons l'équivalent du salaire minimum avec notre indemnité de grève, n'avons pas d'avantages médicaux et devons essentiellement nous débrouiller tout seuls. La plupart d'entre nous vivons une situation très précaire en ce moment. Beaucoup d'entre nous, comme tu peux le voir, sont des immigrants. C'est cela que les grandes compagnies font en ce moment. Elles engagent des nouveaux arrivés au Canada pour que personne ne se plaigne quand elles se débarrassent d'eux. Je suis arrivé au Canada il y a 11 ans et j'ai vu que les syndicats ont mauvaise publicité. J'ai vu les rangs des syndiqués de la base diminuer, avoir mauvaise presse. Nous luttons uniquement pour des droits humains fondamentaux, comme de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. [...]

Nous sommes des travailleurs qualifiés. Nous avons été formés par les premiers employés de Telus, et nous sommes les meilleurs du groupe. Les gens que tu vois ici sont ceux qui restent. Ils n'ont pas été capables de se débarrasser de nous parce que nous sommes les techniciens les plus performants. [...]

Les trois grandes compagnies ont un monopole. Il y a quelques années, quand une compagnie américaine a essayé d'entrer au Canada, il y eu de la publicité à la télévision disant d'être patriotiques, de ne pas laisser d'autres compagnies venir au Canada, que cela allait détruire l'industrie canadienne. Mais qu'est-ce qu'ils font de nous maintenant ? Ils profitent de leurs travailleurs. Ils profitent de leurs clients. Il faut que cela s'arrête quelque part.

FO : Combien de travailleurs sont en grève ? Combien sont employés par Ledcor ?

GO : Nous sommes plusieurs centaines de travailleurs répartis en différents départements. Il y a les techniciens et ceux que nous appelons les MxY, ceux qui ont été intégrés. Ceux-ci faisaient partie de notre collectif et ils ont participé au vote de grève. Ils ont voté en faveur du mandat de grève. Mais lorsque le syndicat a organisé la grève ils ont choisi de traverser les lignes de piquetage. Notre nombre a été réduit de 100 personnes et nous ne sommes plus que 60. Ça été un coup dur pour nous, voir nos collègues franchir nos lignes de piquetage. Cela diminue notre pouvoir de négociation. Comme tu peux le voir sur le tableau d'information, 48 % des travailleurs sont en grève et 52 % travaillent parce qu'ils ont déjà mis à pied 31 d'entre nous. Lorsque tu écris ta propre histoire, tu veux être du bon côté de l'histoire. Veux-tu être celui qui a poignardé son collègue ou tu veux être celui qui s'est tenu debout et a lutté pour ses collègues ? C'est pour cela que nous demandons aux gens de dire à Telus qu'ils ne vont pas laisser entrer un technicien de LTS chex eux.

(Photo : R. Nedila)


Cet article est paru dans

Numéro 30 - 19 décembre 2019

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: Gino Ocampo, chef de piquet de La section locale 213 de la FIOE


    

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