RONA dans le collimateur de Lowe's: l'échec des institutions et des dirigeants politiques canadiens à défendre l'édification nationale

La prise de contrôle de RONA démontre que les résidents des communautés locales et en particulier la classe ouvrière n'ont aucun contrôle sur la direction de l'économie. Ils n'ont aucun contrôle sur où sont investis les profits, d'où proviennent les produits achetés et vendus par une entreprise, sur la manière dont une entreprise peut être renouvelée pour mieux servir l'économie et le peuple, et sur la survie ou la mort d'une entreprise. Cette affaire a également montré que les institutions dites démocratiques libérales ne sont d'aucun recours, s'étant avérées impuissantes face à l'assaut de l'oligarchie financière mondiale et s'étant placées à son service.

C'est en 2012 que le géant américain Lowe's a commencé sa campagne pour s'emparer de RONA. Comme c'est le cas d'autres entreprises qui dominent le secteur de la vente au détail, comme Walmart et le géant de l'Internet Amazon, Lowe's n'est pas une entreprise à part entière mais un empire qui résulte de la fusion du capital financier, industriel, commercial et immobilier contrôlé par l'oligarchie financière.

Les rumeurs publiques sur une prise de contrôle de RONA par Lowe's ont commencé sérieusement en juillet 2012 avant l'élection québécoise. Le bruit autour d'une prise de contrôle américaine a provoqué une réaction dans les médias et parmi les partis politiques cartels rivalisant pour le pouvoir. Ils se sont tous engagés à « faire quelque chose » pour bloquer la prise de contrôle de Lowe's par RONA.

Le « faire quelque chose » a été décrit dans les médias comme étant le fruit « d'acquisitions de manière indépendante, par des institutions financières sous contrôle gouvernemental ou amies du gouvernement, d'un bloc d'actions au sein 'd'entreprises stratégiques' afin de bloquer des prises de contrôle ».[1] À peine quelques années plus tard, en 2016, autant les gouvernements fédéral et québécois que les « institutions financières amies du gouvernement », qui ont acquis un volume significatif d'actions de RONA, ont capitulé lorsque Lowe's est revenue avec une « offre qu'elles et le gouvernement de l'époque ne pouvaient pas refuser ». RONA a été vendue à Lowe's parce que, si on ne s'en tient pas aux principes de l'édification nationale, le pragmatisme règne en maître. Cela signifie que les personnes en contrôle peuvent trouver et répandre une excuse pour capituler devant le pouvoir de l'oligarchie financière mondiale.

Les partis d'opposition à l'Assemblée nationale du Québec ont critiqué le gouvernement libéral de Phillipe Couillard pour avoir autorisé la vente de RONA à Lowe's, certains députés prédisant même la catastrophe pour les régions. On a particulièrement blâmé le ministre de l'Économie, Jacques Daoust, qui a été président et chef de la direction d'Investissement Québec (IQ) de 2008 à 2013, avant de faire partie du gouvernement du parti cartel libéral en tant que député à l'Assemblée nationale en 2014. Sous la direction de Daoust, IQ a acquis une participation de 10 % dans RONA en tant qu'« institution financière sous contrôle gouvernemental » afin d'aider vraisemblablement à sauver RONA d'une prise de contrôle étrangère. Cependant, lorsque l'offre d'achat de Lowe's est devenue réelle en 2016, la résistance a cédé au pragmatisme. IQ et les deux gouvernements libéraux à Ottawa et au Québec, y compris Jacques Daoust, le ministre de l'Économie, ont officiellement approuvé la vente.

Peu après l'annonce de la vente de RONA à Lowe's par le gouvernement Couillard en 2016, Jacques Daoust a démissionné de son poste de ministre de l'Économie. Plus tard dans l'année, il a démissionné de l'Assemblée nationale et est décédé subitement en 2017 des suites d'un accident vasculaire cérébral. Ses papiers personnels rendus publics après sa mort révèlent qu'il s'était en fait opposé à la vente de RONA depuis le début. Selon Daoust, le bureau du premier ministre Couillard a conclu la vente à son insu. Dans ses mémoires, il accuse le gouvernement libéral, ou plus précisément le bureau du premier ministre, de l'avoir contraint après coup à accepter la vente à titre de ministre de l'Économie, puis à mentir en public en disant avoir participé aux arrangements juridiques et politiques en préparation de la vente et qu'il était en complet accord.

Deux ans après la vente de RONA à Lowe's, le couperet a commencé à tomber, décrit par l'analyste financier Yvan Allaire comme : « la pression exercée par les marchés [sur le PDG et le conseil d'administration de Lowe's] face à des performances médiocres. Ses activités au Canada [c.-à-d. RONA] étaient devenues un frein sur ses revenus [...] Lowe's est cotée à la Bourse de New York et doit donc respecter le seul engagement qui compte vraiment : tout faire pour maintenir et faire monter le prix de ses actions. Ce qui est en jeu ici dans une scène dramatique quotidienne bien réelle sont les emplois de ses cadres dirigeants et le montant de leur rémunération. Toute hésitation ou tout retard dans l'adoption de toutes les mesures nécessaires pour répondre aux attentes des actionnaires sera sévèrement et rapidement punie. C'est la loi inexorable des marchés financiers ». On ne peut s'empêcher de dire que « la scène dramatique quotidienne bien réelle » sont les emplois des hommes et des femmes qui travaillent chez RONA et le sort des communautés et de l'économie locale où se produisent les fermetures.

La première vague de fermetures de magasins RONA de Lowe's a été annoncée un mois à peine après l'arrivée au pouvoir du gouvernement du parti de la Coalition Avenir Québec de François Legault en octobre 2018, et la deuxième vague un an plus tard, pour un total de 61 magasins fermés au Canada. La réaction de la CAQ au pouvoir a été très différente de ce qu'elle était quand la CAQ était dans l'opposition, lorsqu'elle dénonçait le gouvernement du Parti libéral pour avoir accepté la vente.

Le ministre de l'Économie de la CAQ, Pierre Fitzgibbon, a même été jusqu'à blâmer les Québécois pour les fermetures, déplorant ce qu'il qualifie d'affaiblissement de leur attachement émotionnel à la marque RONA depuis la prise de contrôle de Lowe's. « Les relations entre les Québécois et RONA sont brisées et je comprends pourquoi », a déclaré Fitzgibbon aux journalistes, ajoutant qu'ils préfèrent également faire leurs courses dans des magasins appartenant au Québec. Fitzgibbon a ajouté que le gouvernement de la CAQ ne pouvait rien faire car il était lié par un accord confidentiel signé entre Lowe's et le gouvernement fédéral lors de la prise de contrôle de Rona en 2016. Certains employés des magasins RONA ont dénoncé le fait que Fitzgibbon avait suggéré que les fermetures lui convenaient car il « préfère faire des emplettes dans des magasins appartenant à des Québécois ». Ils ont souligné que les travailleurs qui subissent les mises à pied sont des Québécois et que l'autre magasin de matériaux de construction à grande surface au Québec, Home Depot, n'appartient pas à des Québécois.

Lowe's a déclaré que les fermetures étaient conformes à la convention d'achat de 2016 signée avec le gouvernement fédéral. Le gouvernement Trudeau semble être d'accord et n'interviendra pas. Un communiqué du ministère fédéral de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique indique qu'il surveille de près ces engagements « sur une base continue pour assurer la conformité ».

Le ministre Fitzgibbon de la CAQ a fait remarquer que la conformité n'était pas très difficile en déclarant : « Soyons réalistes, cet accord est sur une page et demie. L'engagement sur cette page est donc un peu souple. [...] Mon travail consiste simplement à appeler le gouvernement fédéral à s'assurer qu'ils appliquent ce qu'ils ont signé en 2016. Mais c'est assez souple. »

Le premier ministre de la CAQ, François Legault, qui avait critiqué en 2016 le gouvernement libéral Couillard pour ne pas avoir bloqué la vente, a qualifié de « malheureuses » les deux vagues de fermetures de magasins RONA menées sous son gouvernement ajoutant que rien ne peut être fait parce que « RONA est possédée par Lowe's. C'est une entreprise privée. »

L'impuissance des soi-disant institutions démocratiques libérales s'exprime pleinement à tous les niveaux de gouvernement dans cette affaire. Par leur forme et leur contenu, ces institutions sont incapables de défendre le peuple, l'économie et l'édification nationale face aux ravages de l'oligarchie financière mondiale.

Investir le peuple du pouvoir de décider et le renouveau démocratique sont à l'ordre du jour pour défendre les droits et les intérêts du peuple et donner une nouvelle direction prosociale à l'économie qui favorise le peuple.

Note

1. Toutes les citations sont tirées de « Rona's tragedy in three acts : From Quebec's foreign takeover block, to deal with Lowe's, to store closures », Yvan Allaire, Financial Post, 22 novembre 2019, et traduites de l'anglais par LML.

(Sources : Radio-Canada, CBC News, CTV, Reuters, National Post)


Cet article est paru dans

Numéro 29 - 11 décembre 2019

Lien de l'article:
RONA dans le collimateur de Lowe's: l'échec des institutions et des dirigeants politiques canadiens à défendre l'édification nationale - K.C. Adams


    

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