32e Congrès de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec

Le mouvement ouvrier au Québec relève les défis de la période actuelle

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a tenu son 32e Congrès à Québec, du 25 au 28 novembre, sous le thème : « En action dans un monde en changement ». Plus de 900 délégués ont pris part aux délibérations. Avec les observateurs et les invités, il y avait plus de 1000 personnes dans la salle à chaque jour. La FTQ a environ 600 000 membres dans les secteurs public et privé, comme la construction, les mines et la métallurgie, les communications, la foresterie, la santé et plusieurs autres.

Les événements principaux du Congrès ont été le discours d'ouverture du président de la FTQ, Daniel Boyer, la présentation et l'adoption de déclarations de politique en santé et sécurité du travail et sur l'assurance médicaments et la présentation d'un document d'appui sur la numérisation de l'économie. Des commissions ont été organisées sur la robotisation et la numérisation de l'économie dans lesquelles les délégués et les observateurs ont été répartis en six groupes de discussion sur le sujet. Le 27 novembre, le Congrès a tenu une manifestation devant l'édifice de l'Assemblée nationale pour réclamer une réforme pro-ouvrière de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Des élections ont eu lieu au poste de président et secrétaire général de la fédération. Quatre-vingt-quinze résolutions ont été adoptées sur des sujets qui vont des statuts de la FTQ, à la santé et sécurité au travail et le Code du travail du Québec, à la défense des services publics et de ceux et celles qui les livrent, à l'environnement, entre autres sujets. Des experts ont offert des présentations sur l'économie de plateformes et sur les changements technologiques et la transformation des endroits de travail.

Daniel Boyer a été élu par acclamation pour un troisième mandat en tant que président de la FTQ et Daniel Bolduc, du Syndicat canadien de la fonction publique, a été élu par acclamation secrétaire général. Il remplace Serge Cadieux qui se consacrera au Fonds de solidarité de la FTQ.

Dans son discours d'ouverture, Daniel Boyer a expliqué que le thème « En action dans un monde en changement » se réfère principalement aux changements environnementaux et à la robotisation et à la numérisation de l'économie et leur impact sur le travail, l'emploi et les droits. Il a dit que la FTQ milite pour une juste transition pour les travailleurs et les syndicats en réponse à ces changements. D'autres défis, a-t-il dit, sont la préservation des services publics et le travail pour les rebâtir et l'amélioration des conditions de travail dans ce secteur, l'amélioration des conditions de santé et de sécurité pour tous les travailleurs et le besoin d'un régime d'assurance médicaments.

Selon le président de la FTQ, la fédération cherche à préserver le modèle québécois issu de la Révolution tranquille en l'adaptant aux réalités nouvelles afin que le Québec devienne plus vert, plus juste, plus égalitaire et plus solidaire et que la FTQ demeure un interlocuteur reconnu et légitime dans la société québécoise.

Pendant tout le Congrès, les délégués ont parlé de manière éloquente des problèmes et des défis auxquels ils font face.

Le Congrès a réclamé l'instauration d'un régime d'assurance-médicaments au Québec qui est

sous gestion publique, universel, accessible, équitable, viable et indépendant.

En ce qui concerne les programmes sociaux et les services publics, les délégués ont demandé des changements immédiats substantiels pour les travailleurs et les travailleuses les plus vulnérables, surtout ceux qui oeuvrent dans les résidences publiques et privées pour personnes âgées. Plusieurs sont intervenus pour dire que la contribution qu'ils font en s'occupant de ceux qui ont bâti le Québec doit être reconnue, surtout en ce qui concerne les salaires qui sont très bas et ne permettent pas de maintenir et d'attirer des employés dans le secteur. Le Congrès a rejeté fermement la déclaration du premier ministre du Québec, François Legault, que son gouvernement ne va pas négocier avec ceux qui livrent les services publics mais va limiter les augmentations de salaire de la majorité d'entre eux à l'augmentation du coût de la vie et accorder un peu plus aux préposés aux bénéficiaires et aux enseignants et enseignantes à bas salaire.


Manifestation pendant le Congrès de la FTQ en appui aux employés/es en grève des résidences privées pour personnes âgées, le 26 novembre 2019

La discussion sur la santé et la sécurité s'est tenue dans le contexte de l'annonce par le gouvernement Legault qu'il va modifier la Loi sur la santé et la sécurité du travail et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en 2020. Les délégués ont dénoncé le fait que 40 ans après l'adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, les quatre mécanismes de prévention prévus par la loi ne s'appliquent qu'à environ 12 % des travailleurs du Québec.[1]

On lit à l'article 2 de la loi : « La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet. »

La réalité est tout autre et les gestes du gouvernement trahissent le texte de la loi. Les travailleurs de la construction ont donné l'exemple des opérateurs de grues qui sont attaqués brutalement par le gouvernement du Québec et la Commission de la construction du Québec qui ont abaissé les normes de la formation de ces travailleurs, mettant en danger la vie des travailleurs et du public. Avec ces mesures, le gouvernement et la CCQ prétendent notamment vouloir lutter contre la soi-disant tentative des grutiers et de leur syndicat d'exercer un contrôle sur les syndicats représentant les autres métiers de la construction, comme s'il s'agissait d'une lutte de pouvoir entre différents syndicats. On voit bien ce qu'il en est vraiment des « mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations » dont parle la loi. La réalité sur le terrain doit changer, ont dit des délégués, et les travailleurs doivent avoir un mot décisif à dire dans la détermination des conditions de santé et sécurité sur leurs chantiers et sur la façon dont la loi les protège et tous les mécanismes de prévention prévus par la loi doivent être applicables à tous les travailleurs. Les délégués ont aussi réclamé une indemnisation suffisante pour tous les travailleurs qui sont blessés ou deviennent malades au travail. Ils ont demandé que cesse la contestation systématique par les employeurs des demandes d'indemnisation des travailleurs. Cette contestation prive les travailleurs accidentés des montants dont ils ont besoin et qui leur reviennent de droit afin qu'ils puissent vivre dans la dignité. Cette contestation et l'insuffisance des prestations ne fait qu'aggraver leurs blessures et leur maladie.


Manifestation à l'Assemblée nationale pour demander une réforme pro-ouvrière de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, 27 novembre 2019

Les travailleurs ont aussi parlé de manière éloquente de la question de la robotisation et de la numérisation de l'économie. Ils appuient les changements technologiques, qui sont censés améliorer leur vie au travail, mais dans les mains des monopoles privés ceux-ci deviennent une gigantesque machine de déshumanisation et d'espionnage contre eux. Comme l'a dit un travailleur lors d'une des commissions, « les robots nous transforment en robots ». Il a expliqué que tous les mouvements des travailleurs sont espionnés électroniquement et que les compagnies les harcèlent en leur demandant ce qu'ils ont fait à tel ou tel moment parce que rien n'indique sur leurs écrans qu'ils ont bougé.

Les compagnies surveillent les cadences de travail et une fois qu'un travailleur dépasse une norme, même une seule fois, sa performance devient la nouvelle norme sans que les travailleurs donnent leur appui ou soient consultés. D'autres ont expliqué que les métadonnées amassées par les compagnies comprennent une grande quantité d'informations personnelles sur les travailleurs qui sont utilisées contre eux. Par exemple, les commentaires que font les travailleurs sur les médias sociaux sont régulièrement épiés par les compagnies qui leur imposent des mesures disciplinaires pour soi-disant « manque de loyauté » envers l'entreprise. Les métadonnées sont aussi utilisées pour repérer ceux qui peuvent devenir des activistes du mouvement ou qui pourraient vouloir former un syndicat, afin de prendre des mesures répressives contre eux.

Il y a eu plusieurs interventions dans les commissions sur ce qu'on appelle les économies de plateformes dans lesquelles des monopoles comme Uber ou Amazon prétendent que leurs plateformes numériques font d'eux de simples intermédiaires entre différents utilisateurs. C'est ainsi qu'ils nient le lien d'emploi avec les personnes qui travaillent pour eux et par conséquent toute obligation de fournir des pensions ou des avantages sociaux et toute autre chose que les travailleurs peuvent réclamer dans une situation d'emploi régulier. Ces travailleurs sont souvent faussement qualifiés de « travailleurs autonomes » et connaissent une instabilité totale, sans parler d'une grande pauvreté alors qu'ils sont en relation d'extrême dépendance avec ces monopoles pour leur moyen de subsistance.

Plusieurs demandes ont été mises de l'avant, comme des modifications aux codes canadien et québécois du travail pour changer la définition de « personne salariée » pour qu'elle englobe ces travailleurs faussement autonomes. Les travailleurs demandent aussi le renforcement des lois sur la protection de la vie privée afin d'interdire aux compagnies la collecte d'informations personnelles sans leur permission.

Les travailleurs ont surtout mis l'accent sur le fait que tout cela leur rend très difficile d'affirmer leur force collective et de mener une lutte collective organisée pour leurs droits. On doit donner naissance à de nouvelles formes, ont-ils dit, afin de résoudre le problème de mettre en oeuvre la force organisée collective des travailleurs, leur capacité de discuter et d'élaborer les positions qui sont favorables à eux-mêmes et à la société et de lutter pour elles de manière effective. Ils ne sont pas découragés par ces problèmes mais travaillent activement à trouver de nouvelles façons de s'organiser qui correspondent aux conditions qui existent.

Il devient de plus en plus clair que le point de référence des travailleurs, quand ils mènent la lutte, n'est pas un attachement au passé et aux formes appartement à la société civile qui ont été saccagées. Le point de référence est leur lutte pour leurs droits qu'ils mènent devant le tribunal de l'opinion publique. C'est dans le cours de ces luttes que de nouvelles formes sont créées qui correspondent au contenu qu'ils mettent de l'avant, dont une nouvelle direction de l'économie qui sert le peuple et non les riches et que les travailleurs contrôlent.

Par leurs interventions, les travailleurs ont pu discuter de comment se posent les problèmes auxquels ils font face et exprimer leur détermination à relever les défis. Cela a fait du Congrès de la FTQ un congrès enthousiasmant et vivant.

Note

1. Ces mécanismes sont le programme de prévention, le programme de santé, le comité de santé/sécurité paritaire employeur-travailleur et le représentant à la prévention.

(Photos : FTQ)


Cet article est paru dans

Numéro 29 - 11 décembre 2019

Lien de l'article:
32e Congrès de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec: Le mouvement ouvrier au Québec relève les défis de la période actuelle - Pierre Chénier


    

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