Changer la réalité sur le terrain
- Entrevue avec François Patry, président
de la Fraternité nationale des charpentiers-menuisiers, Section locale
9 de la FTQ-Construction -
Manifestation à l'Assemblée nationale du Québec, le 27
novembre 2019, pour réclamer une réforme pro-ouvrière de la Loi
sur
la
santé et la sécurité du travail
Forum ouvrier : Le gouvernement du
Québec a annoncé une réforme de la Loi sur la santé et la sécurité
du travail pour l'hiver 2020.[1]
Comment se pose le problème de la réforme de la loi par rapport aux
conditions de santé et de sécurité aux endroits de travail, qui
affectent aussi la santé et la sécurité du public ?
François Patry : On va être
très vigilant là-dessus quand ils vont déposer le projet de loi. La
question qu'on va se poser c'est si on peut le faire vivre sur les
chantiers pour améliorer la santé et la sécurité. La prévention est une
chose clé pour contrer les accidents et les décès sur les chantiers. On
a besoin d'une prévention qui est une prise en charge par les
organisations sur le terrain. La question qui se pose est la
suivante : est-ce que moi, comme organisme, j'ai un rôle à jouer
qui est important, et pas juste une présence sur un comité ?
La prévention, cela veut dire identifier les dangers
pour les éliminer. Cela veut dire prévoir les équipements, les méthodes
de travail, et s'asseoir ensemble, les travailleurs et les employeurs
pour examiner comment on va faire le travail pour éliminer le danger.
La prévention doit être intégrée à l'organisation du travail sur les
chantiers.
Le secteur de la construction est un secteur très
dangereux. Nous avons beaucoup d'accidents. Nous
représentons 5 % de la main-d'oeuvre au Québec et nous
avons 25 % des accidents mortels bon an mal an. C'est
inacceptable. Si nous vivons cette situation, ce n'est pas parce que
c'est une fatalité, que les choses sont comme ça et vont toujours être
comme ça dans la construction. Il y a des raisons pour lesquelles ces
accidents se produisent.
Pour qu'on puisse éliminer ces raisons-là, il faut qu'on
ait les mécanismes de prise en charge pour les travailleurs. Un des
mécanismes importants c'est le représentant en prévention. Nous avons,
sur les chantiers de construction, des programmes de prévention. Nous
avons un Code de sécurité pour les travaux de construction qui nous
amène des solutions aux problèmes que nous avons identifiés, des façons
de faire pour s'assurer que les employeurs ont des méthodes de travail
et des équipements sécuritaires qui doivent éliminer les dangers qui
existent sur les chantiers.
Le problème, c'est que les employeurs font tout le temps
le minimum en ce qui concerne la prévention. Ils s'accrochent à des
minimums même si on sait que cela ne va pas résoudre le problème et
plutôt donner l'illusion qu'on résout des problèmes. Alors s'il y a un
accident, c'est le travailleur qui est blâmé.
Pour changer cela, il faut avoir un représentant en
prévention sur les chantiers, un représentant des travailleurs, nommé
par les travailleurs, formé par les associations syndicales, protégé
par la loi pour qu'il ne perde pas son emploi, payé par les employeurs
et qui fait appliquer les programmes qui existent. Les programmes de
prévention, lorsqu'on les examine, sont souvent de bons programmes sur
papier, mais cela demeure une prévention de papier, ils ne sont pas
appliqués sur les chantiers. Souvent, même les contremaîtres et les
surintendants des employeurs et des maîtres-d'oeuvre ne connaissent pas
le programme de prévention.
Il y a une sorte de pattern qui s'est installé où les
employeurs font le minimum, laissent aller des méthodes qui ont été
établies parce que le travail se fait plus vite, que c'est plus
rentable mais ces méthodes créent beaucoup de problèmes. Les employeurs
comptent sur le fait qu'ils ne vont pas se faire prendre par
l'inspecteur de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et
de la sécurité du travail (CNESST). Or la CNESST réduit de plus en plus
le nombre d'inspecteurs. Elle dit aux inspecteurs de faire de plus en
plus de paperasse ce qui fait que les inspecteurs passent plus de temps
dans les bureaux et moins de temps sur les chantiers de construction.
Un représentant en prévention sur les chantiers aurait à
rendre compte aux travailleurs. S'il ne fait pas son travail il serait
remplacé par le syndicat. L'employeur n'a pas un mot à dire à son
sujet. Le représentant en prévention est indépendant de l'employeur. La
seule chose que ferait l'employeur c'est de le payer.
C'est pour cela que quand bien même on nous accorderait
d'autres programmes, d'autres comités de chantier, bien que ces
choses-là ont leur place, si on n'a pas le représentant en prévention
qui les fait vivre, la situation ne va pas changer.
En plus, ce ne sont pas tous les employeurs qui sont
visés par le mécanisme qui prévoit des comités conjoints de
santé-sécurité, parce qu'un tel comité requiert un employeur qui a au
moins 10 travailleurs sur le chantier. Or 90 % des
employeurs de la construction n'ont pas 10 travailleurs. Alors ce
sont des comités-bidon en fin de compte. C'est comme une belle vitrine
qu'on crée pour dire que vous voyez, nous avons des comités de
chantier, nous avons des programmes de prévention, mais nous avons
quand même des accidents, alors les accidents sont donc une fatalité
qu'il faut accepter.
C'est vrai qu'il faut revendiquer tous les mécanismes de
la loi. On les a mais ils ne sont pas appliqués. Il faut revendiquer
tous les mécanismes de prévention. Personne ne les fait appliquer. Le
représentant en prévention est capital pour les faire appliquer.
En plus, il faut que les représentants en prévention
soient nommés à l'année parce que les chantiers de construction sont
souvent très petits, les travailleurs vont de contrat en contrat.
On devrait avoir des équipes volantes de représentants
en prévention qui ne changent pas au gré des contrats et qui vont de
chantier en chantier dans une région donnée.
Les représentants en prévention font appliquer la loi et
les règlements. Ils font le tour des chantiers, parlent aux
travailleurs. Ils participent aux enquêtes sur les accidents. À l'heure
actuelle, nous ne sommes pas capables de faire des enquêtes, on ne nous
informe même pas qu'il y a eu un accident, nous l'apprenons parfois
quelques jours plus tard, surtout sur les gros chantiers. Si on a un
représentant en prévention, il va participer aux enquêtes et à ses
conclusions. S'il est en désaccord avec les conclusions du rapport, il
peut inscrire sa dissidence, cela va rester et peut être utilisé pour
prévenir d'autres accidents.
FO :
Comment vous organisez-vous pour défendre les travailleurs sur les
chantiers ?
FP : Nous
avons des représentants dans chacune des régions. Au Local 9 nous
avons 23 représentants qui vont sur les chantiers, s'occupent de
relations de travail et font de la prévention. Mais il y a beaucoup de
chantiers à couvrir. S'ils critiquent un employeur pour manquement à la
santé et la sécurité, c'est facile pour celui-ci de dire qu'il va
régler le problème dans les prochains jours, mais à ce moment-là le
représentant est ailleurs. Tandis que le représentant en prévention
peut faire un suivi. Il faut changer la façon de penser, que les
employeurs ne puissent pas jouer à l'innocence, penser qu'ils peuvent
agir sans rendre des comptes. Il faut réaliser un changement qui va
s'appliquer à l'ensemble des chantiers.
En plus, avec des choses comme la loi 152 qui a été
adoptée en 2018 par le gouvernement du Québec, c'est de plus en
plus difficile pour nos représentants d'intervenir sur les chantiers.[2] Aujourd'hui, dès qu'on intervient pour
faire changer les choses, même en santé et sécurité, qu'on dénonce
quelque chose, les employeurs disent que nous faisons des menaces. Ils
menacent eux-mêmes de faire venir la Commission de la construction du
Québec pour nous dire qu'on a fait un ralentissement de travail et que
cela est une infraction à la loi. Oui on a fait un ralentissement de
travail mais c'est prévu par la Loi sur la santé et la sécurité du
travail. Notre travail est plus difficile au niveau des employeurs.
Il est aussi plus difficile au niveau de la CNESST et on a de la
difficulté à les faire venir pour un droit de refus. L'organisme de la
CNESST embarque dans une philosophie qui dit que ce n'est pas grave,
qu'ils ne peuvent pas se rendre sur les chantiers, ils vont simplement
téléphoner à l'employeur. Ce n'est pas ce que dit la loi. La loi dit
que si on ne s'est pas entendu avec l'employeur et qu'on téléphone à la
CNESST, il faut qu'ils se rendent sur le chantier, qu'ils prennent le
nom de chacun des travailleurs, leur demandent pourquoi ils ont arrêté
de travailler. Il faut aussi qu'ils se prononcent sur le danger et
qu'ils parlent avec l'employeur et le syndicat pour évaluer s'ils
acceptent la mesure correctrice prise par l'employeur afin que le
travail puisse reprendre.
Nous continuons notre travail, nous nous battons, nous
nous encourageons, mais c'est plus difficile.
Notes
1. Adoptée en 1979, la Loi
sur
la
santé et la sécurité du travail prévoit notamment quatre
mécanismes de prévention. On estime que ces mécanismes ne sont
appliqués qu'à environ 12 % des travailleurs. Ces mécanismes sont
le programme de prévention, le programme de santé, le comité de
santé/sécurité paritaire employeur-travailleur et le représentant à la
prévention.
2. La loi 152, Loi
modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine du
travail afin principalement de donner suite à certaines recommandations
de la Commission Charbonneau a été adoptée en mai 2018 par le
gouvernement du Québec. Elle criminalise les travailleurs de la
construction qui défendent leurs droits, en particulier sur les
chantiers, en les accusant d'user d'intimidation ou de menace «
raisonnablement susceptible de provoquer une entrave, un ralentissement
ou un arrêt des activités sur un chantier ».
Cet article est paru dans
Numéro 28 - 4 décembre 2019
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Changer la réalité sur le terrain - Entrevue avec François Patry, président
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