Les travailleurs d'entretien de la
Société de transport de Montréal
défendent la dignité du travail
Une dure lutte pour une convention collective qui est favorable aux travailleurs
- Gleason Frenette, président du
Syndicat du transport de Montréal (STM-CSN) -
Manifestation des travailleurs d'entretien de la STM, le 13
septembre 2018
Après 23 mois et 170 rencontres
de négociation, le Syndicat du transport de Montréal
(STM-CSN) a signé une nouvelle convention collective le 9
avril dernier pour les 2400 travailleurs d'entretien de la STM. En
assemblée générale le 10 mars, les
travailleurs avaient adopté le projet de convention
à 96.5 %, avec une participation d'environ 1600
travailleurs à l'assemblée, un nouveau record pour le
syndicat. Compte tenu du fait qu'environ 400 membres
étaient au travail au moment de l'assemblée et
qu'environ 100 travailleurs étaient en accidents de
travail, le taux de participation a été très
élevé. L'employeur
s'était présenté à la table de
négociation avec une longue liste de reculs, dont la
privatisation de certains emplois. Les travailleurs étaient
aussi sous le coup de deux nouvelles lois antiouvrières
adoptées par le gouvernement du Québec, une sur les
régimes de retraite et l'autre sur le régime de
négociation dans le secteur municipal. Forum
ouvrier s'est entretenu récemment avec le président du
syndicat Gleason Frenette sur l'évaluation que le syndicat fait
de cette intense période d'activités et de ce que les
travailleurs ont été capables d'accomplir.
Forum ouvrier : Le syndicat dresse
un bilan très
positif de ce que vous avez accompli dans cette négociation.
Peux-tu nous en dire plus ?
Gleason
Frenette : Nous avons réussi à bonifier
plusieurs primes, entre autres les primes pour les travailleurs de nuit
et pour ceux qui travaillent les fins de semaine. À la STM, nous
sommes ouverts sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Nous
n'avons pas le choix, il y a du monde qui travaille de nuit et il y a
du monde qui travaille les fins de semaine. Les primes aident à
améliorer le sort de ces travailleurs-là.
Nous avons fait beaucoup de gains en ce qui concerne les
garanties des postes de jour, les postes qu'on appelle 5-2, 5
jours de travail, deux jours de congé. Nous avons garanti tous
ces postes en échange de permettre à l'employeur de
créer des quarts de soir et de nuit à l'usine
Crémazie, qui répare les pièces d'autobus. Avant
de
créer un poste de soir ou de nuit, il faut que tous les postes
de jour soient comblés à tous les endroits de travail.
C'est rassurant pour les travailleurs qui ont moins
d'ancienneté, qui sont obligés de travailler de soir et
de nuit, car ils savent qu'à un moment donné il y aura de
la place pour travailler de jour.
C'est important que les postes de jour ont
été garantis. Selon notre convention, la STM peut couper
un poste par attrition, par exemple lorsqu'un travailleur part à
la retraite. Les employés qui partent à la retraite sont
souvent rendus de jour. Alors nous avons garanti ces postes-là.
C'était important parce que lorsqu'on garantit des postes, si
jamais l'ouvrage vient à manquer, ils sont obligés de
garder leur personnel. En échange nous avons aussi donné
la possibilité à la STM de créer des postes
de 12 heures, qui n'existaient pas auparavant. Nous avons beaucoup
encadré ces nouveaux postes. L'employeur est obligé de
les offrir par volontariat aux travailleurs qui sont
présentement
à l'emploi de la STM. Les seuls qui peuvent être
obligés de prendre ces postes c'est à l'embauche.
À l'embauche, c'est un moindre mal parce que lorsque tu sais que
c'est un poste de douze heures qui t'est offert, tu as le choix de
venir travailler ou non pour la STM. Les employés qui occupent
ces postes travaillent 36 heures et sont payés
pour 40 heures. Cela va commencer bientôt.
Il va y avoir de l'embauche massive à la STM.
C'est pour cela qu'on a réussi à négocier ces
garanties de postes, car l'employeur savait qu'il allait engager
beaucoup de travailleurs. Il y a beaucoup de projets dans le transport
en commun. La STM va grossir. C'était le temps pour nous d'agir
parce que l'employeur avait beaucoup de demandes.
Il veut avoir de la flexibilité, notamment créer des
postes de soir et de nuit. Il avait un cahier de charges avec plus
de 100 demandes de reculs ou de changements dans la convention.
Nous avons négocié pour faire des gains avec les
garanties de postes en échange de ce qu'on acceptait en terme de
flexibilité.
Nous avons eu des gains en ce qui concerne le rattrapage
salarial pour les gens de métier. Nous avions des
catégories de métier dont le salaire était
de 10-12 dollars de l'heure de moins qu'au privé.
Nous avons réussi à instaurer une nouvelle
prime, la prime-flex comme on l'appelle. C'est une prime qui compense
les effets de la loi 15 sur les régimes de retraite dans le
secteur municipal. [1] On va
avoir une prime, qui va augmenter graduellement, qui va compenser pour
les effets de la
loi 15 car on est maintenant obligé de contribuer
à 50-50 dans notre régime de retraite avec
l'employeur. Auparavant, la contribution était 66-33, deux
tiers par l'employeur et un tiers par les travailleurs. Nous avions des
conventions collectives négociées là-dessus. On
avait concédé beaucoup par le passé pour
améliorer notre
régime de retraite mais la loi est venue changer cela.
Même si nous avions des contrats avec l'employeur, cela a
été annulé.
FO : Vous avez
négocié sous l'égide de la loi 15, Loi
favorisant la santé financière et la
pérennité des régimes de retraite à
prestations déterminées du secteur municipal, et de
la loi 24, Loi concernant le régime de
négociation des conventions collectives et de règlement
des différends dans le secteur
municipal. Quel a été leur impact sur la
négociation ?
GF : En ce qui concerne la loi 15, cela
été vraiment complexe. Cela a engendré beaucoup de
coûts parce que nous devions tout le temps avoir un actuaire avec
nous pour négocier. La loi 15 augmente notre cotisation
à notre régime de
retraite à chaque paie.
En ce qui concerne la loi 24, qui a
été adoptée en 2016, elle vient régir
toute la négociation. Elle prévoit des
étapes : on a tant de temps pour négocier,
après cela l'employeur peut demander la présence d'un
médiateur. Tout est encadré, balisé, il y a des
délais pour toutes les étapes. L'employeur s'est servi de
la loi pour
demander un médiateur. Le médiateur est intervenu dans
notre négociation alors que cela faisait 8 mois qu'on
négociait après que la convention collective soit
arrivée à terme. Pendant la médiation, on
a 60 jours pour s'entendre, après cela le médiateur
peut prolonger lui-même la médiation ou à la
demande des deux parties. Une fois
qu'il a prolongé la médiation, il faut que les deux
parties consentent pour qu'il y ait une nouvelle prolongation
de 60 jours. Il a fallu insister beaucoup pour que l'employeur
soit d'accord avec cette nouvelle prolongation. Une fois ce 60
jours terminés, l'employeur nous menaçait de faire
intervenir le mandataire spécial prévu par la loi,
qui a le pouvoir à la limite de recommander le décret de
nos conditions de travail. En vertu de cette loi, nous négocions
constamment sous la menace. Aussi, nous n'avons pas le choix de signer
des contrats d'une durée minimum de cinq ans, alors que notre
tradition c'était des contrats de 3 ans.
En plus, la négociation a été
extrêmement judiciarisée. L'employeur nous a souvent
amenés au Tribunal administratif du travail. Il a constamment
utilisé le judiciaire pour aider son rapport de force. Cela
s'est produit sept fois. La judiciarisation est plus forte qu'avant
parce que l'employeur sait qu'il a la loi de son côté.
Pour contrer les effets de la loi 24, nous avons
négocié et mis dans la convention que dorénavant,
on commencerait à négocier un an avant
l'échéance de la convention, pour contrer les effets de
la loi 24 qui nous limite dans le temps.
Une assemblée de masse des travailleurs d'entretien, le 27
mai 2018
FO : Qu'est-ce qui vous a
guidés dans votre négociation compte tenu de toutes ces
embûches ?
GF : Nous avons mis beaucoup
d'accent sur la mobilisation. Nous sommes le seul des six syndicats
à la STM où le président n'est pas à la
table de négociation en tout temps. Vers la fin de la
négociation j'étais à la table en tout temps, mais
pendant les 23 mois que la négociation a duré, je
m'occupais de la
mobilisation au bureau du syndicat et dans les milieux de travail. Nous
avons été très présents dans les milieux de
travail, tout l'exécutif, Nous avons aussi organisé des
manifestations.
Nous avons écrit beaucoup de tracts. Nous nous
étions donné comme guide d'écrire un tract par
mois au lieu d'un tract aux deux ou trois mois comme on le fait
parfois. Nous distribuons les tracts partout dans les milieux de
travail. Nous les mettons aussi sur notre page Facebook. Nous y avons
donné tous les détails de la négociation, ce qui
achoppait, ce que l'employeur demandait. Nous nous sommes servis de ces
tracts notamment parce que l'employeur voulait privatiser certains
secteurs, par exemple en donnant au privé l'entretien
ménager de toutes les bâtisses de bureaux de la STM. En
échange, il nous promettait des compensations
financières. Il essayait de nous acheter. Nous
avons dit qu'il n'en était pas question, qu'on protège
tout le monde.
Nous avons essayé d'avoir recours aux
médias pour dire la vérité sur ce qui se passe.
Par exemple, la STM a changé la méthode de ravitaillement
des autobus en essence, ce qui a occasionné beaucoup de pannes
de carburant. La STM disait que c'était du sabotage par les
membres. Nous avons aussi expliqué aux clients et à la
population
pourquoi il manquait d'autobus sur la route. Ce n'était pas
à cause de moyens de pression mais d'erreurs de gestion, de
mauvaises décisions de gestionnaires par rapport à
l'entretien des véhicules, de mauvaise qualité des
autobus eux-mêmes. Nous avons eu recours aux médias
traditionnels, surtout les journaux, et aux médias sociaux pour
donner
l'heure juste, pour expliquer ce qui s'était réellement
passé pour essayer d'avoir l'opinion publique de notre
côté. Nous avons fait plusieurs mises au point dans les
médias, y compris dans les médias sociaux, par rapport
à ce que la STM déclarait. C'est une première en
ce qui nous concerne d'avoir eu l'opinion publique de notre
côté. Aussi, on a
opté pour une grève de temps supplémentaire au
lieu de faire une grève totale avec services essentiels On a
arrêté tout le monde de faire du temps
supplémentaire pendant six jours.
Nous nous sommes adaptés aux nouvelles
réalités. On ne peut pas négocier de la même
manière que cela se faisait avant ces nouvelles lois.
Il a fallu mettre beaucoup d'énergie, donner
beaucoup de notre temps. On a été très
présents dans les milieux de travail. Les membres
apprécient cela, qu'on soit présents là où
ils travaillent. Nous n'avons pas eu peur de nous tenir debout devant
ces lois. Nous ne nous sommes pas écrasés devant elles.
Si on n'avait pas eu les membres avec
nous, on n'aurait pas pu tenir tête a l'employeur, ça
c'est certain.
Note
1. En décembre 2014,
le
gouvernement du Québec a adopté la Loi 15, Loi
favorisant la santé financière et la
pérennité des régimes de retraite à
prestations déterminées du secteur municipal.
Entre autres choses, la loi a imposé une
cotisation 50-50 dans les régimes
de retraite actuels et à venir et forcé les travailleurs
municipaux à éponger 50 % des déficits
passés, bien que ceux-ci aient souvent été
causés par le refus délibéré des
administrations municipales de mettre l'argent requis dans les
régimes. La loi fait partie de l'arsenal de l'État pour
attaquer le droit des travailleurs de négocier leurs
conditions au travail et à la retraite.
(Photos: CSN)
Cet article est paru dans
Numéro 20 - 6 juin 2019
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Société de transport de Montréal: Une dure lutte pour une convention collective qui est favorable aux travailleurs - Gleason Frenette, président du
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