Entrevue

Le 7 mars dernier, les travailleurs et travailleuses des foyers de soins du Nouveau-Brunswick ont pris un vote de grève à 94 % pour appuyer leurs revendications de salaires et de conditions de travail qu'ils jugent acceptables. Plutôt que de répondre d'une manière positive et respectueuse, le gouvernement a demandé et obtenu une ordonnance de la Cour du Banc de la reine pour attaquer le droit des travailleurs de faire la grève à la défense de leurs revendications. La veille du déclenchement de la grève par les 4 100 travailleurs qui devait avoir lieu le 10 mars, la cour a émis une ordonnance qui privait les travailleurs de leur droit de grève pendant 10 jours.

À la fin de 2018, la Commission du Travail et de l'Emploi du Nouveau-Brunswick a statué que la Loi sur les services essentiels dans les foyers de soins violait le droit à la négociation collective des employés. Selon le jugement de la commission, la désignation de soins essentiels en cas de grève ne s'appliquait pas aux foyers de soins. Le gouvernement est alors intervenu pour demander une révision judiciaire de cette décision, une cause qui sera entendue par la Cour du Banc de la Reine.

Forum ouvrier a interviewé Simon Ouellette, directeur des communications au bureau des Maritimes du SCFP, pour se renseigner sur la situation à laquelle ces travailleurs font face.

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Forum ouvrier : Quels sont les derniers développements depuis que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a demandé et obtenu une ordonnance de la cour pour vous empêcher d'aller en grève ?

Simon Ouellette : Le gouvernement essaie par tous les moyens d'ajouter des délais à notre possibilité d'exercer notre droit de grève. Nous retournons en cour le 17 avril pour traiter de l'appel que le gouvernement a interjeté sur la question de l'ordonnance. On se souvient qu'il y a eu une ordonnance de la cour obtenue par le gouvernement le 9 mars, nous interdisant de faire la grève pendant dix jours. Suite à cela, le gouvernement a demandé une deuxième ordonnance prolongée pour maintenir cette interdiction. Le syndicat a contesté cette demande et une juge s'est alors penchée à la fois sur la demande d'ordonnance prolongée et sur l'ordonnance iniitale. Elle a dit dit que ni l'une ni l'autre n'était acceptable. Elle a dit que l'ordonnance initiale avait causé un tort irréparable aux travailleurs et que prolonger l'ordonnance serait leur causer un autre tort. Elle a statué que les travailleurs devraient avoir un droit de grève complet jusqu'à ce que la révision judiciaire sur la constitutionnalité de la Loi sur les services essentiels dans les foyers de soins soit complétée. Il s'agit d'un autre processus juridique qui est mené de manière parallèle au premier sur l'ordonnance. La juge a statué qu'en attendant que cette question soit résolue, on nous reconnaîtrait un droit de grève ordinaire en vertu de la Loi sur les relations industrielles qui est la loi en vigueur pour tout le secteur privé. Les foyers de soins sont considérés commé appartenant au secteur privé, donc cette loi s'appliquerait à eux. Le gouvernement a immédiatement fait appel du jugement, et c'est cet appel qui va être entendu cette semaine.

La situation est très judiciarisée en ce moment et la question des droits constitutionnels des travailleurs est comme suspendue. Il me semble que tout délai dans la justice est un déni de justice. Notre situation est très judiciarisée alors qu'on parle ici de droits fondamentaux. Le droit de grève est un droit constitutionnel protégé par l'article 2 sur le droit d'association de la Charte canadienne des droits et libertés, et cependant les gouvernements s'essaient à chaque fois de mettre en place une nouvelle loi qui vient nier ce droit. Celle-ci pourra être éventuellement renversée par la cour mais cela prend des années et pendant ce temps les travailleurs sont privés d'une nouvelle convention collective. Ce sont des années pendant lesquelles on n'améliore pas les conditions de travail pour ces gens-là qui oeuvrent dans le système. Ce sont des gens qui vont peut-être prendre leur retraite et qui ne verront peut-être même pas la fin de ce règlement-là.

Dans ces conditions, notre syndicat a dit que si vous nous avez enlevé le droit légal de faire la grève, et qu'on sera pris pendant un bon moment devant les tribunaux, alors allons chercher l'arbitrage exécutoire. Nous avons demandé l'arbitrage exécutoire comme une sorte de moyen compensatoire pour débloquer la situation. Le gouvernement provincial a dit non. Il a dit qu'on pourrait faire un arbitrage, mais avec restriction. La restriction est qu'il ne pourrait pas y avoir de hausse salariale de plus de 1 %. Nous ne sommes pas plus avancés avec un arbitrage exécutoire s'il comprend cette restriction imposée par le gouvernement. Nous sommes confiants qu'un arbitre qui serait impartial serait capable de voir l'injustice qui existe dans les foyers de soins, qu'il serait capable de dire que 1 % d'augmentation est en dessous de la hausse du coût de la vie . Le gouvernement s'acharne à dire que l'augmentation salariale doit être de 1 % par année pour un contrat de 4 ans. Notre revendication est que la hausse salariale soit au moins au-dessus de la hausse du coût de la vie. L'objectif salarial est de faire des gains salariaux et non de reculer. C'est essentiel pour la rétention et l'attraction du personnel.

Chaque semaine perdue est un tort causé aux travailleurs. On parle d'un contrat de quatre ans et cela fait déjà près de 30 mois qu'on négocie. La convention est terminée depuis octobre 2016.

FO : Lors de la manifestation du 12 avril, il y avait aussi des infirmières, des paramédics et d'autres travailleurs et travailleuses du secteur public. Qu'est-ce qu'ils exprimaient par leur participation ?

SO : Tout le monde est en solidarité avec cette cause. Dans ces actions, ce sont surtout des gens en ce moment qui sont représentés par le SCFP. Il y a une grande solidarité à l'intérieur du syndicat. En même temps, nous invitons tous les travailleurs à participer. Les travailleurs comprennent que si on donne la claque à un, le gouvernement va vouloir faire la même chose à tout le monde. Si le gouvernement est capable de refuser à des femmes et des hommes qui prennent soin des personnes les plus vulnérables une hausse de salaire qui va au-delà du coût de la vie, il peut faire la même chose à tous les travailleurs et à toutes les travailleuses du secteur public. Si le gouvernement peut tenir la ligne dure contre le personnel soignant, il ne va pas agir différemment envers le reste du personnel du secteur public.

Les travailleurs des foyers de soins recommandent au ministre de marcher un kilomètre et demi avec leurs chaussures usées par la surcharge de travail.

En ce moment, les négociations sont au point mort. Le gouvernement progressiste-conservateur, comme le gouvernement libéral précédent, met de l'avant une vision classique néolibérale et un programme d'austérité habituel, avec des compressions salariales et un sous-financement chronique du secteur public en vue d'une privatisation éventuelle à plus long terme. On peut voir que depuis la crise de 2008 il n'y a pas eu de reprise économique au niveau du pouvoir d'achat des gens du Nouveau-Brunswick. Le gouvernement provincial voit ses revenus faiblir, voit l'investissement du secteur privé faiblir. Le gouvernement a une vision réductrice de ce qui fait tourner l'économie du Nouveau-Brunswick. Dans sa tête, c'est l'investissement privé qui compte, c'est tout. Sa logique est que si l'investissement privé a chuté, il faut couper dans les dépenses publiques.

C'est un mandat que le gouvernement s'est donné à l'interne, que les négociations avec les infirmières, les chauffeurs d'autobus, les employés d'hôpitaux, etc, doivent tourner autour du 1 %.

Nous espérons que la situation va débloquer. Nous voulons retrouver le droit de grève. En même temps, il n'y a personne qui veut une grève dans les foyers de soins. Nous ne voulons pas de grève mais un contrat acceptable, avec des conditions de travail justes et stables afin d'avoir le personnel qu'il faut pour prendre soin des gens. Le gouvernement a beau faire l'autruche et vouloir tenir la ligne dure sur les salaires, cela ne fera pas disparaître son problème de rétention du personnel.


Cet article est paru dans

Numéro 13 - 18 avril 2019

Lien de l'article:
Entrevue - Simon Ouellette, directeur des communications, bureau des Maritimes du Syndicat canadien de la fonction publique


    

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