Entrevue

Forum ouvrier : Comment s'est déroulée la journée d'action sans temps supplémentaire obligatoire dans votre région ?

Éric Tremblay : La journée a été bien réussie. Il n'y a pas eu de TSO sur notre territoire, et nous sommes 4 300 professionnelles en soins, infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes. C'est une première. Jusqu'à date, nous avions eu 350 TSO depuis le mois de janvier 2019. Cela montre que lorsque l'employeur veut se donner la peine, c'est possible. Il faut faire une bonne planification. Il faut faire des appels également. Il y a un problème d'un manque d'appels. Ils ne rejoignent pas les gens et ils se contentent de garder le monde en TSO, c'est plus simple. Nous avons dressé notre bannière « Le temps supplémentaire obligatoire, ç'a assez duré » sur l'autoroute 25 pour avertir la population que nous tenions une journée sans TSO. Il y a eu une manifestation citoyenne devant l'Hôpital Maisonneuve-Rosement avec la bannière « Infirmières en colère - Citoyens solidaires ! »

FO : Peux-tu nous expliquer brièvement quels problèmes sont causés par le temps supplémentaire dans votre région ?

ÉT : Pendant des années, nous avons eu des restrictions budgétaires. Ils ont embauché des temps partiels. Ils recommencent à mettre des postes à temps complet mais beaucoup de travailleuses n'en veulent pas parce qu'elles craignent que si elles font du cinq jours, elles vont faire du cinq jours en temps supplémentaire obligatoire. Elles craignent d'être gardées en otages plus longtemps, plus souvent.

Le TSO cause beaucoup de problèmes aux travailleuses et aux patients. Cela affecte la vigilance, cela cause de la fatigue, l'épuisement professionnel, Nous avons un taux d'absentéisme énorme. Si je ne me trompe pas, nous frôlons le 15 % de taux d'absentéisme d'invalidité de longue durée dans l'est de l'île. On ne parle pas du quotidien, des maladies quotidiennes. L'épuisement professionnel est largement causé par le temps supplémentaire obligatoire.

Quand ils n'arrivent pas à même trouver quelqu'un pour un TSO, ils augmentent la charge de travail. Si tu es à l'urgence par exemple, que tu as à t'occuper de huit patients au lieu de quatre, tu ne peux pas être aussi vigilant. Les ratios sont plus petits à l'urgence, parce que les cas sont complexes, les soins sont devenus complexes, cela demande une grande vigilance. C'est à ce moment-là que se pose le problème des soins sécuritaires. Cela veut dire que c'est le patient qui, à un moment donné, ne reçoit peut-être pas le bon traitement ou il ne le reçoit pas dans le temps requis. Prenons l'exemple d'un CHSLD, où il y a de l'instabilité, où les gens sont fatigués, et le ratio est augmenté au point que parfois ils ont 75 patients. Tu es supposé donner un médicament à 8 heures, comment peux-tu le donner à 8 heures à tout le monde si tu as 75 patients dont tu dois t'occuper. Le patient reçoit son médicament à 11 h et un autre à midi. L'intervalle de la médication n'est pas respecté. Cela n'est pas un hasard, la façon dont la médication est programmée. Donc, c'est aussi la population qui est prise en otage en ce qui concerne son traitement.

FO : Que proposez-vous pour remédier à la situation ?

ÉT : Nous proposons un aménagement du temps de travail. C'est un projet qui vient de nous, qui s'appliquerait sur l'est de l'île. Il s'agit d'un projet de huit jours de travail sur une durée de deux semaines, avec les conditions du temps complet, c'est à dire la banque de maladie, la contribution au fonds de pension à temps complet, etc. On travaillerait 4 jours semaine - 4 jours semaine, avec une journée de congé pendant la semaine. Tout ce qui dépasse le huit jours serait payé à temps supplémentaire. Le projet est mis en oeuvre à l'urgence en ce moment. L'employeur est ouvert au projet mais il n'est pas prêt pour le moment à payer en temps supplémentaire à partir de la neuvième journée. Le projet anime beaucoup les gens à l'urgence. Ce n'est pas un temps complet. C'est un peu plus qu'un temps partiel et les employées ont les conditions du temps complet.

FO : Veux-tu dire quelque chose en conclusion ?

ÉT : Nous demandons à tous les travailleurs d'appuyer cette cause, parce que c'est leur cause à eux. Ce sont des services qu'on donne. Ce n'est pas une entreprise commerciale, Les gens ont le droit d'avoir des bons services, des services de qualité. C'est pour cela que nous avons des projets de ratios, pour déterminer combien de patients une infirmière devrait avoir pour donner des soins de qualité. Là où des projets de ratio sont en marche, où la charge de travail a été allégée, on s'est aperçu qu'il y avait moins de blessures, les patients perdaient moins d'autonomie, notamment dans les CHSLD. Même chose pour les soins critiques, si on a des soins sécuritaires, tu as des chances de récupérer plus vite, les erreurs sont moins possibles, etc Il y a des investissements à faire au départ pour avoir des économies en bout de ligne.

Dans les conditions actuelles, l'employeur a tout intérêt à garder le problème comme une omerta. Il y a un sous-entendu que ton emploi est mis en péril si tu dénonces des choses que fait l'employeur. Nous défendons le droit de nos membres de dire ce qui se passe. Jusqu'à date, nous avons eu dix avis disciplinaires pour refus de faire du TSO. Pourtant notre code d'éthique dit que si tu es épuisée et tu ne te sens pas capable, et que tu peux mettre la population en danger, tu as le droit de ne pas accepter. Nous contestons tous ces avis disciplinaires.

Si on travaille sans temps supplémentaire obligatoire, c'est tout le monde qui va y gagner.


Cet article est paru dans

Numéro 12 - 11 avril 2019

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