Une logique néolibérale d'exceptionnalisme permanent pour criminaliser les luttes des travailleurs du secteur public au Québec


Des travailleurs de la région de Québec participent à la journée d'action du 8 avril 2019.

Le syndicat des infirmières avait à peine annoncé que le 8 avril, le personnel infirmier refuserait collectivement de faire du temps supplémentaire obligatoire (TSO), qu'il a été convoqué devant le Tribunal administratif du travail (TAT).

Le TAT a été créé en janvier 2016, le résultat d'une fusion entre la Commission des lésions professionnelles et la Commission des relations de travail. On dit de ce tribunal qu'il encourage « la résolution à l'amiable des conflits en offrant un service de conciliation ». Il comprend quatre volets : les relations de travail, la santé et la sécurité au travail, les services essentiels, et l'industrie de la construction et les exigences professionnelles.

Ce tribunal a un « pouvoir de redressement » en vertu d'un article du Code du travail qui stipule que le tribunal peut intervenir « s'il estime que le conflit porte préjudice ou est vraisemblablement susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit ».

En fait, cet article est au coeur de toutes les lois spéciales adoptées depuis la création du Code du travail en 1964 et qui sont devenues encore plus répressives dans les années 1980 avec le déclenchement de l'offensive néolibérale.

Comme dans la plupart des cas où il y a action collective prise par les travailleurs d'hôpitaux et les enseignants, les tribunaux du travail de l'État interviennent de façon tout à fait unilatérale contre les travailleurs. Ils ne semblent pas interpellés cependant par la détérioration quotidienne des secteurs de la santé et de l'éducation ni des conditions de travail de tout le personnel touché à cause des coupures et des autres actions antisociales des gouvernements.

Ils s'activent seulement lorsque des actions collectives sont entreprises ou planifiées par lesquelles les travailleurs tentent de trouver des solutions à ces problèmes et d'améliorer leurs conditions de travail et la qualité des services de santé et d'éducation qu'ils dispensent.

Sur la question plus spécifique des conditions de travail des infirmières et de l'intervention de l'État, le gouvernement québécois de l'époque a adopté la loi 160 à toute vapeur au lendemain de deux jours de grève non consécutifs en 1986. Le gouvernement a dit intervenir pour assurer des services essentiels en situation de grève. La loi 160 exigeait du syndicat qu'il veille à ce que 90 % du personnel infirmier soit au travail. Ceci est bien au-delà du nombre d'infirmières en place à l'année longue dans les hôpitaux. Il y aurait plus d'infirmières dans un établissement de soins de santé pendant une grève que lors d'une journée de travail normale !

Pour ce qui est de refuser le TSO, en 1998 le Conseil des services essentiels a interdit aux infirmières de refuser de faire du TSO puisque leur convention collective n'était pas arrivée à échéance. Le hic, c'est que lorsque vient le temps de renouveler la convention collective, les contraintes juridiques et la criminalisation sont telles que toute négociation « de bonne foi » est impossible et toute action collective inefficace.

Dans une étude de 2014 faite par l'Université du Québec à Montréal (UQAM) en partenariat avec les principaux syndicats du Québec sur l'utilisation et l'impact des lois spéciales, les auteurs ont fait valoir que les travailleurs et travailleuses du secteur public étaient les plus touchés par la criminalisation de la lutte des travailleurs. [1] La conclusion du rapport est que dans les relations de travail il existe une « logique d'exceptionnalisme permanent ». On y lit : « Les lois spéciales, véritables épées de Damoclès, sont désormais perçues comme des mécanismes normaux de gestion des conflits dans la société. Un débat public doit se faire concernant leur impact sur le droit de négociation et le droit de grève, lequel n'est d'ailleurs pas reconnu dans les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. »

Note

1. Recherche sur les lois spéciales au Québec, par Martin Petitclerc et Martin Robert.


Cet article est paru dans

Numéro 12 - 11 avril 2019

Lien de l'article:
Une logique néolibérale d'exceptionnalisme permanent pour criminaliser les luttes des travailleurs du secteur public au Québec - Pierre Soublière


    

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