Le projet de loi 48 de
l'Ontario, Loi de 2019
pour des écoles
sûres et axées sur le soutien
Les enseignants s'opposent aux changements
proposés à la structure de gouvernance de l'Ordre des
enseignantes et des enseignants de l'Ontario
Le 24 octobre 2018, la ministre ontarienne de
l'Éducation, Lisa Thompson, a déposé le projet de
loi 48, Loi de 2019 pour des écoles sûres et
axées sur le soutien. L'annexe 3 du projet de loi
modifie la Loi de 1996 sur l'Ordre des enseignantes et des
enseignants de l'Ontario d'une façon qui
affaiblira la structure démocratique de gouvernance de l'Ordre
de même que la voix des enseignants et des enseignantes au sein
de
celui-ci.
L'Ordre des enseignantes et
des enseignants de l'Ontario (l'Ordre) a été
créé par le gouvernement progressiste-conservateur de
Mike Harris après avoir été envisagé par le
gouvernement néo-démocrate précédent de Bob
Rae. Selon l'Ordre, celui-ci est chargé d'agréer,
gouverner et réglementer la profession enseignante en Ontario
dans l'intérêt
public. Les étudiants et les principaux d'écoles en
Ontario doivent être membres en règle de l'Ordre.
Dans le numéro de mars 2019 de Pour
parler profession, la revue trimestrielle de l'Ordre, il est
mentionné qu'en 2018, celui-ci a mandaté Governance
Solutions Inc. (GSI), une firme-conseil privée, pour effectuer
un examen de sa structure de gouvernance. Le rapport de la firme,
présenté en novembre 2018,
comprend 37 recommandations visant à changer la structure
de gouvernance de l'Ordre afin de la rendre « plus flexible et
efficace ». Le comité exécutif de l'Ordre
écrit : « Ce rapport arrive en temps opportun, car
l'engagement de l'Ordre à adopter des pratiques et structures de
gouvernance efficaces s'aligne sur l'orientation du
gouvernement énoncée dans le projet de loi 48, la Loi
de 2019
pour
des
écoles sûres et axées sur le
soutien. »
Les changements proposés par GSI
comprennent :
1. Réduire la taille du Conseil de l'Ordre
de 37 membres, soit 23 enseignants et 14 personnes
nommées par le gouvernement provincial, à 14
membres, 7 enseignants et 7 personnes nommées par le
gouvernement.
2. Remplacer le processus électoral actuel, en
vertu duquel les enseignants nomment et élisent leurs
représentants au conseil, par un processus où l'Ordre
sélectionne les membres du conseil à partir d'un bassin
de candidats qualifiés. Selon le GSI, cela rendrait le processus
moins « politique ».
3. Sélectionner les membres du conseil à
partir d'un groupe distinct pour former les comités
prévus par la loi, les comités réglementaires et
le comité des normes d'exercice de la profession et
d'éducation.
4. Modifier les mandats des membres du conseil, de deux
mandats de trois ans à des mandats de deux ans renouvelables
jusqu'à quatre fois.
5. Modifier la composition des comités du
conseil afin d'assurer un nombre égal d'enseignants et de
membres du public au sein du comité d'enquête, du
comité de discipline et du comité d'aptitude
professionnelle ; une majorité de membres du public
(nommés par le gouvernement) au sein du comité des
finances, du comité de
gouvernance et du comité des ressources humaines, et une
majorité d'enseignants au sein du comité des normes
d'exercice de la profession et d'éducation.
6. Modifier la durée du mandat de
présidence du conseil et des comités, du mandat actuel de
trois ans du conseil à celui d'un an, renouvelable.
7. Modifier le poste de présidence du conseil en
passant d'un poste à temps plein à un poste à
temps partiel et éliminer le poste de vice-président.
8. Le comité exécutif sera un
comité plénier dont le mandat sera modifié et dont
la façon que les séances se tiennent sera modifiée
elle aussi.
En plus, parmi d'autres changements, le GSI propose que
le nom de l'Ordre soit changé pour
« Autorité réglementaire des enseignantes et des
enseignants de l'Ontario » parce que le public est
soi-disant « confus » en ce qui concerne le travail
que l'Ordre accomplit.
La Fédération des enseignantes et des
enseignants de l'Ontario et ses affiliés répondent aux
changements
La Fédération des enseignantes et des
enseignants de l'Ontario (FEO) est un organisme statutaire
établi par la Loi sur la
profession enseignante en tant que l'association professionnelle
du personnel enseignant de la province pour « promouvoir et
favoriser la cause de l’éducation, promouvoir et favoriser les
intérêts du personnel enseignant et garantir des
conditions qui permettront
d’offrir les meilleurs services professionnels ». À la fin
de février 2019, dans un
mémoire écrit présenté à l'Ordre, la
Fédération des enseignantes et des enseignants de
l'Ontario et ses affiliés, qui ensemble représentent
environ 236 635 enseignants, ont soulevé leurs
préoccupations face aux changements proposés.[1]
La FEO débute son
mémoire en faisant remarquer que le sondage effectué par
Governance Solutions Inc. est basé sur un taux de
réponses très faible de 255 sur 8000
enseignants et de 89 sur 15 775 membres du public
sollicités. De plus, le GSI n'a pas inclus les enseignants et
les groupes francophones dans son
examen.
La FEO et ses affiliés mentionnent aussi que le
GSI a mené son examen sous un angle d'affaires et que certaines
de ses recommandations seraient plus appropriées dans le
contexte des entreprises où peuvent exister des
intérêts concurrentiels. Par contre, écrit la FEO,
cette orientation ne s'applique pas à un organisme de
gouvernance d'une
profession où les intérêts concurrentiels
n'existent pas, l'Ordre étant organisé pour
réglementer la profession enseignante dans
l'intérêt public.
La Fédération et ses affiliés
déclarent aussi que, depuis sa fondation, l'élection du
Conseil de l'Ordre a été démocratique et que le
principe d'autoréglementation est une pratique
établie : « Selon l'essence de
l'autoréglementation professionnelle, les
membres d'une profession donnée sont les mieux placés
pour comprendre, conseiller,
guider et juger leur profession », lit-on dans le
mémoire. Les auteurs mentionnent diverses autres organisations
professionnelles, telles l'Association dentaire de l'Ontario et le
Barreau de l'Ontario, dans lesquelles la vaste majorité des
personnes qui occupent des positions de gouvernance sont des membres de
la profession.
En ce qui concerne la notion que les élections
au conseil, où présentement les enseignants
sélectionnent puis élisent parmi leurs pairs ceux qui les
représenteront au conseil, sont trop «
politiques », la FEO réfute cette accusation en
soulignant que les élections sont par nature quelque chose de
« politique » et que les fédérations
d'enseignants peuvent bien parrainer différents candidats pour
siéger au Conseil de l'Ordre, mais il appartient aux membres de
décider eux-mêmes qui vont les représenter. La FEO
souligne que, depuis la fondation de l'Ordre, les élections au
conseil ont été « un processus rigoureux et
transparent » et que les élections au conseil
devraient
continuer à être décidées par les
enseignants.
La FEO et ses affiliés écrivent qu'ils
rejettent « fondamentalement toute proposition visant à
éliminer l’actuelle majorité de membres de la profession
qui siègent au conseil ». Ils soulignent également
que même si le nombre
total de membres du conseil est de 37 membres, il n'est pas excessif.
Ils constatent qu'actuellement la proportion entre le nombre total
d'enseignants par rapport au nombre total de membres du conseil
s'établit à 6 396 : 1,
contre 4 685 : 1 pour les
comptables, 3 238 : 1 pour les
ingénieurs, 956 : 1 pour les médecins,
etc.. La réduction du nombre des membres du conseil
à 14, tel que proposé, ne ferait qu'augmenter le
ratio
enseignants/représentation, ce
qui rendrait le conseil moins effectif.
La recommandation de changer le nom de l'Ordre des
enseignantes et des enseignants de l'Ontario en « Autorité
réglementaire des enseignantes et des enseignants de
l'Ontario » est également remise en question. Il
n'existe aucune base permettant d'affirmer que le terme «
College » ( en anglais, l'Ordre des enseignantes et des
enseignants de l'Ontario est appelé Ontario College of Teachers
- note de FO) est « source de confusion »,
souligne le mémoire de la FEO. Le mémoire mentionne que
le rôle principal de l'Ordre, conformément à son
mandat, est de réglementer la profession - agréer les
enseignants, garantir et discipliner les membres qui ne respectent
pas les normes de la profession. En outre, plusieurs professions telles
que les médecins, les infirmières, les dentistes et
d'autres utilisent elles aussi le terme « Ordre » pour
désigner leurs organisations de gouvernance sans créer de
confusion.
La FEO et ses affiliés s'opposent
également à la suggestion de GSI selon laquelle le
« comité de gouvernance et de mises en
candidature » de l'Ordre, dont la majorité des
membres ne feront pas partie de la profession enseignante, devrait
choisir les enseignants membres du conseil afin qu'ils ne soient plus
élus par leurs pairs, afin «
d'éviter ou de donner l'impression, à tort ou à
raison, qu'un petit groupe de membres de la profession, potentiellement
hautement politisés, contrôle le processus de
sélection, ce qui est actuellement le cas et doit changer afin
de préserver l'autoréglementation de
l'Ordre. » La FEO réitère que les
représentants des enseignants au conseil sont
élus dans l'ensemble de l'Ontario par les enseignants au niveau
local selon un processus rigoureux et transparent, et que cela devrait
se poursuivre. Elle souligne que d'autres organismes professionnels
autonomes en Ontario élisent également les membres de
leur conseil de profession et que la préoccupation
soulevée par GSI est sans fondement.
La FEO s'oppose
également à la recommandation suivante de GSI :
« L'Ordre mesurera directement la réduction des
préjudices chez les élèves de l'Ontario ou
adoptera un modèle de chaîne logique explicite pour relier
les activités prioritaires stratégiques au
résultat souhaité et rendra compte publiquement de ces
résultats. »
Dans sa réponse, la FEO souligne que le mandat
de l'Ordre « ne se rapporte pas vraiment à la protection
des élèves. Cela dit, la réduction du risque est
le produit d'une profession bien régie. Dans la mesure où
l'Ordre s'acquitte de son rôle réglementaire
(l'agrément, les normes et la discipline), de façon
rigoureuse et transparente, mais
judicieuse, il protège bien les élèves et agit
dans l'intérêt public ».
Le mémoire de la FEO s'oppose également
à la proposition visant à habiliter le comité
exécutif à agir en tant que comité plénier.
Il note : « Compte tenu de nos objections
précédentes aux changements fondamentaux dans la
composition et la taille du conseil, nous ne croyons pas que le
comité exécutif pourrait fonctionner efficacement
comme comité plénier. Et, si nous comprenons pourquoi
certaines questions, comme les enjeux liés aux ressources
humaines, pourraient être mieux réglées en
privé, par le comité exécutif, ou à huis
clos, par le conseil, nous sommes fortement d'avis que les tentatives
de régler encore plus d'affaires du conseil en privé ne
semblent pas être dans
l'intérêt public. »
La FEO et ses affiliés rejettent
également l'affirmation de GSI selon laquelle le débat
public et les discussions auxquels il faut s'attendre lors des
réunions du conseil et auxquels participeraient des parties
« axées sur la défense d'intérêts
particuliers » ont créé une « culture de
la peur » lors des réunions du conseil. Ils
écrivent : « Nous nous attendrions à ce que
les membres du conseil, qu'ils soient élus ou nommés,
s'acquittent de leur rôle important en s'engageant ouvertement
dans des discussions sur des questions de réglementation
professionnelle, tout en reconnaissant que les membres de la même
profession devraient y prendre activement
intérêt. »
Les réponses de la FEO et de ses affiliés
montrent que les enseignants ont raison d'exprimer leurs objections et
leurs préoccupations au sujet de cet examen et de l'ordre du
jour qu'il sous-tend. Cette décision du gouvernement Ford
d'imposer des modifications à la structure de gouvernance de
l'Ordre des enseignantes et des enseignants de
l'Ontario ne peut être perçue que comme une tentative
pernicieuse d'empêcher encore plus les enseignants d'avoir leur
mot
à dire et de contrôler leur profession et, par extension,
la formation qu'ils dispensent aux étudiants ontariens. Les
enseignants et les autres travailleurs de l'éducation
constituent une force politique puissante en Ontario et au
Canada. Ils ont organisé leurs membres pour renverser le
gouvernement néodémocrate de Bob Rae en 1995, les
progressistes-conservateurs de Mike Harris en 2003 et les
libéraux de McGuinty/Wynne dans le cadre de leurs efforts
politiques pour affirmer leurs droits. Le même sort attend le
gouvernement progressiste-conservateur de
Doug Ford.
Note
1. Les associations
affiliées à la Fédération des enseignantes
et des enseignants de l'Ontario sont la Fédération des
enseignantes et des enseignants de l'élémentaire de
l'Ontario (FEEO), la Fédération des
enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l'Ontario
(FEESO), l'Association des
enseignantes et des enseignants catholiques anglo-ontariens (OECTA) et
l'Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO).
Cet article est paru dans
Numéro 10
- 21 mars 2019
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Le
projet de loi 48 de
l'Ontario, : Les enseignants s'opposent aux changements proposés
à la structure de gouvernance de l'Ordre des enseignantes et des
enseignants de l'Ontario
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