La résiliation « légale » des conventions
collectives -- l'exemple australien


Les travailleurs d'Alcoa manifestent devant le Parlement de l'Australie occidentale à Perth, le 22 août 2018

En janvier, l'Australian Workers' Union a annoncé qu'il interjetait appel de la décision de la Fair Work Commission (FWC) d'accueillir favorablement la demande d'Alcoa de mettre fin à la convention collective de plus de 1 500 travailleurs.[1] Ses membres sont employés dans six usines d'Alcoa dans l'État de l'Australie occidentale : trois affineries d'alumine, deux mines de bauxite et un port. Ces travailleurs ont entamé en août 2018 une grève de 52 jours pour s'opposer aux demandes de concessions d'Alcoa en matière de sécurité d'emploi et à la menace de résiliation de la convention collective expirée depuis le 31 mars 2017. Ils ont tenté sans succès de négocier une nouvelle convention collective.

En décembre 2018, la géant mondial Alcoa a fait une demande de résiliation de la convention expirée. La FWC a accordé la demande de résiliation qui est entrée en vigueur en janvier. Cela signifie que les travailleurs d'Alcoa n'ont plus de convention collective et travaillent selon les normes minimales établies par le Fair Work Act 2009 et la législation ouvrière en vigueur en Australie ou toute autre norme minimale dictée par Alcoa. Le gouvernement du Parti travailliste d'Australie de l'époque a adopté cette loi rétrograde nationale du travail.

Selon les travailleurs d'Alcoa, le fait de travailler selon les normes minimales du travail plutôt qu'avec une convention collective entraîne des coupures réelles égales ou supérieures à 50 % de leur salaire actuel, et des pertes énormes d'avantages sociaux ainsi qu'au niveau des pensions.

En janvier, Alcoa a annoncé qu'elle maintiendrait pendant six mois les taux actuels de la convention collective pour les rémunérations, les congés et les clauses sur les pensions. Cela veut dire qu'Alcoa a tous les pouvoirs de dicter les conditions d'emploi sans le consentement des travailleurs. Ce pouvoir imposé par l'État signifie que lorsqu'une nouvelle convention collective sera mise aux voix cette année, les oligarques s'attendent à ce que les travailleurs se soumettent aux concessions antiouvrières qu'ils demanderont.

Par une approche typiquement antiouvrière et irrationnelle, le Fair Work Act 2009 et le pouvoir d'État de la FWC permettent aux entreprises de mettre fin aux conventions collectives des travailleurs et de leurs organisations de défense collective afin de les forcer à travailler selon des normes minimales sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle et pour lesquelles ils n'ont pas donné leur consentement. La loi dit:

« 225. Demande de résiliation d'une convention (collective) avec une entreprise après sa date d'expiration nominale

« Si une convention avec une entreprise a dépassé sa date d'expiration nominale, l'une des parties suivantes peut demander à la FWC de résilier la convention :

« a) un ou plusieurs des employeurs visés par la convention ;

« b) un employé visé par la convention ;

« c) une organisation de l'employé visée par la convention. »

La loi mentionne avoir comme objectif sous-jacent de promouvoir « la prospérité économique nationale » en assurant aux monopoles opérant en Australie la liberté d'opérer et de rivaliser sur les marchés mondiaux. Afin d'atteindre cette « prospérité » et le succès pour les monopoles, les travailleurs doivent accorder cette « flexibilité » requise dans les opérations et se soumettre à des « relations de travail coopératives et productives », au sujet desquelles les travailleurs n'ont pas voix au chapitre dans les décisions qui les touchent.

La loi émane de cette conception que les travailleurs ne produisent pas la valeur dont l'entreprise et l'économie ont besoin pour leur existence et qu'ils sont un coût qui écrase l'entreprise. Selon cette conception, il faut limiter la partie de la valeur reproduite par les travailleurs qui sert à la reproduction de leur existence afin qu'Alcoa puisse exproprier plus de profits pour elle-même et de cette façon rivaliser avec les autres entreprises mondiales. Rabaisser les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière équivaudrait à accroître la « prospérité économique nationale ». Telle est la vision rétrograde de l'oligarchie financière mondiale.

Selon les pouvoirs arbitraires et la logique antiouvrière de la loi, la vice-présidente de la FWC, Abbey Beaumont, a accueilli favorablement la demande d'Alcoa de priver les travailleurs de leur convention collective en déclarant que « le contrat de travail était échu et imposait des restrictions, des inefficacités et des coûts inutiles et déraisonnables aux opérations d'Alcoa. Les dispositions du contrat de travail ne permettaient donc pas à Alcoa d'obtenir la flexibilité nécessaire pour ajuster ses opérations de manière rapide et efficace afin de maximiser sa capacité à tirer parti des conditions économiques et opérationnelles existantes ou à faire face aux changements dans les conditions du marché, au fur et à mesure qu'ils apparaissent. »

Le mandat de la FWC va dans le sens des arguments d'Alcoa que de mettre fin à la convention avec l'entreprise ne nuisait pas à « l'intérêt public » puisque l'intérêt public est synonyme avec les intérêts privés de l'élite dirigeante. Cela montre à quel point l'autorité publique a été usurpée par des intérêts privés mondiaux.

La situation en Australie rappelle celle vécue par les travailleurs québécois d'ABI, confrontés aux mêmes exigences de flexibilité et d'efficacité aux dépens de leurs droits, de leurs conditions de travail et de leur force collective organisée, aggravées par le refus total d'Alcoa/Rio Tinto de négocier avec eux, sous l'oeil approbateur du gouvernement du Québec.

À titre d'exemple, la FWC dans sa décision de 366 pages a jugé que la convention collective devait être déclarée nulle et non avenue car il y avait des dispositions concernant le minimum de personnel qui, selon la FWC, empêchent Alcoa de mettre en place des planchers d'affectation du personnel qu'elle jugerait convenable pour ses « besoins opérationnels particuliers, ou de les modifier au fur et à mesure qu'ils apparaissent ».

Selon la vice-présidente de la FWC, « le fait de maintenir des planchers d'affectation du personnel limite la capacité d'Alcoa de faire appel à des tiers ou à des sous-traitants en main-d'oeuvre pour effectuer des travaux lorsque cela s'avère rentable et efficace de fonctionner ainsi. À la fin de 2015, il était évident qu'Alcoa subissait une pression financière en partie causée par une baisse d'environ 40 % du prix de l'alumine ».

La FWC a craché le morceau par inadvertance lorsqu'elle déclare que le prix du marché mondial de l'alumine avait chuté de 40 % et que les travailleurs devaient en faire les frais et renoncer à leurs droits. Au lieu d'enquêter sérieusement sur les problèmes de la mondialisation impérialiste, qui est à l'origine de ces crises récurrentes et qui pointe à la nécessité d'une nouvelle direction pour l'économie, la classe ouvrière devient la cible de la folie destructrice de l'oligarchie financière.

La plainte que la convention collective « limite la capacité d'Alcoa de faire appel à des tiers ou à des sous-traitants en main-d'oeuvre pour effectuer des travaux lorsque cela s'avère rentable et efficace de fonctionner ainsi » fait référence aux « taux de l'embauche de personnel ». Cette clause restreint la sous-traitance des emplois syndiqués, une question majeure dans le conflit chez ABI, au Québec.

Alcoa plaide que, où que ce soit dans le monde, elle ne peut être privée de l'avantage économique de pouvoir sous-traiter par le biais d'agences de recrutement de personnel et de trafiquants d'humains à l'échelle internationale. La convention collective australienne stipule qu'elle doit verser à ces travailleurs embauchés par sous-traitants entre 78 % et 100 % de la base de rémunération horaire correspondant à la classe d'emploi d'un employé d'Alcoa et maintenir les mêmes arrangements de quart de travail. Selon la décision rendue par la FWC, ces mesures de protection pour toute la classe ouvrière imposent une pénalité à Alcoa qui est « supérieure aux taux du marché ». Le marché en question est le marché du travail que les oligarques mondiaux ont maintenant élargi à l'échelle mondiale pour englober les millions de personnes opprimées qui, poussées au désespoir de gagner leur vie, deviennent des proies faciles pour les trafiquants d'êtres humains.

Lorsque l'Australian Workers' Union a souligné qu'Alcoa avait enregistré des profits nets record d'environ 2,2 milliards de dollars dans le monde alors que la même convention d'entreprise était en vigueur, la vice-présidente de la FWC a répondu :

« La rentabilité actuelle d'Alcoa n'est pas un argument pour ne pas résilier la convention ; en particulier, si la compagnie d'une base rationnelle pour poursuivre les modifications relatives aux restrictions de la nature visée par cette décision. Il s'agit d'un point important. Des preuves détaillées montrent qu'il y a eu des incidences pratiques et opérationnelles qui ont résulté de l'application de la convention. Les conséquences pratiques et opérationnelles du fonctionnement de la convention ont notamment pris la forme de retards importants dans l'adoption de changements opérationnels ou dans l'incapacité de donner suite aux décisions, de dépenses en matière de gestion du temps et de celle des membres, et du manque d'harmonie aux endroits de travail. »

Ainsi dans « l'Australie libérale démocratique » comme dans bien d'autres pays dans le monde, les oligarques au pouvoir renient les ententes négociées et juridiquement contraignantes en faveur d'intérêts privés étroits. Les profits des entreprises doivent devenir encore plus importants au détriment des conditions de vie et de travail et des droits de la classe ouvrière. Les droits des travailleurs comptent pour rien dans ce monde impérialiste et sont sacrifiés au profit des aventures téméraires et de la rivalité féroce des oligopoles mondiaux, des crises économiques et des guerres récurrentes . La nécessité de changement est un défi que les travailleurs doivent accepter pour bâtir le nouveau.

L'Australian Workers' Union et ses membres à l'emploi d'Alcoa résistent avec raison à la négation de leur convention collective et au droit de discuter, de décider et de donner leur consentement ou non à leur salaire et à leurs conditions de travail. Leur lutte ne fait qu'une avec la lutte des travailleurs d'Alcoa du monde entier et mérite l'appui soutenu de tous. La lutte des travailleurs australiens a clairement mis en lumière ce que les gouvernements sont en train de faire au nom d'un prétendu devoir de garantir la « prospérité économique ». Si le prétexte est de servir la société, il fait simplement référence aux profits de l’oligarchie financière et des oligopoles. Au Québec également, le gouvernement Legault répète que le Québec est « ouvert aux affaires » pour justifier de nouvelles dispositions qui détruisent les programmes sociaux, les syndicats et les négociations de bonne foi, détruisent les normes de santé et de sécurité au travail et attaquent les immigrants en faveur de la traite des êtres humains. Cela ne doit pas passer !


Perth, le 22 août 2018

Note

 1. Fair Work Commission est le tribunal des relations de travail en Australie.


Cet article est paru dans

Numéro 7 - 28 février 2019

Lien de l'article:
La résiliation « légale » des conventions collectives -- l'exemple australien - Pierre Chénier


    

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