Les crimes de la guerre froide
Souvenons-nous des Rosenberg, assassinés par les cercles dirigeants des États-Unis il y a 63 ans
– Dougal MacDonald –
Le 19 juin 1953, les citoyens américains Julius et Ethel Rosenberg ont été exécutés à la prison de Sing Sing de l’État de New York sous une fausse accusation de complot en vue de livrer des secrets atomiques à l’URSS pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les États-Unis et l’Union soviétique étaient nominalement des alliés contre l’Allemagne nazie à l’époque, donc en fait les Rosenberg ont été condamnés à mort pour avoir livré des secrets à un allié des États-Unis, ce qui n’a aucun sens. Mais les États-Unis n’étaient des alliés de l’Union soviétique qu’en apparence. Tout le monde sait maintenant que les milieux dirigeants américains, qui avaient comploté avec l’Allemagne nazie pendant la guerre, avaient décidé de trahir ouvertement l’alliance antifasciste avant la fin de la guerre et de reconstruire l’Allemagne comme rempart anticommuniste contre l’Union soviétique.
Aucune preuve documentaire d’espionnage par les Rosenberg n’a été produite au cours du procès et les allégations de « témoins » n’ont pas été corroborées. L’unique bout de preuves matérielles produit a été un croquis des lentilles à implosion de type sphérique que soi-disant les scientifiques américains du laboratoire de recherche sur l’arme atomique de Los Alamos étaient en train de mettre au point. [1] Ce croquis a été fourni par le beau-frère d’Ethel Rosenberg, David Greenglass, un technicien de l’armée de Los Alamos qui confessa plus tard qu’il avait accusé d’espionnage Ethel Rosenberg seulement pour protéger sa propre femme de la prison. Dr. Henry Linschitz, un chimiste de Los Alamos, qui avait participé au développement des lentilles à implosion, a déclaré dans un affidavit endossé par ses collègues scientifiques Robert Oppenheimer et Harold Urey que le croquis était « trop incomplet, ambigu et même inexact pour être d’une valeur quelconque aux Russes et pour permettre d’abréger la durée qui leur était nécessaire pour développer leurs bombes nucléaires ». Dans un article de mars 1997, Alexandr Feklisov, un ancien agent du KGB qui avait rencontré Julius Rosenberg de 1943 à 1946, a déclaré au New York Times : « Il [Rosenberg] ne comprenait rien au sujet de la bombe atomique, et il ne pouvait pas nous aider ».
L’utilisation du croquis des lentilles à implosion comme « preuve » laissait entendre, ce qui était évidemment faux, qu’il existait un secret qui était essentiel pour la création de la bombe atomique. Le fait est qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des scientifiques atomiques américains avaient souligné encore et encore qu’il n’y a pas de secret à la bombe. En fait, en 1945, le gouvernement américain a publié son rapport officiel, le rapport Smyth, intitulé « Un compte-rendu général de l’élaboration des méthodes de l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires », dans lequel étaient décrites toutes les étapes de base du projet de bombe atomique des États-Unis et qui montre clairement qu’il n’y a pas de secret de la bombe atomique. Les scientifiques américains avaient également déclaré à maintes reprises que d’autres pays seraient en mesure d’appliquer les mêmes principes scientifiques et de développer leur propre bombe dans un délai de trois à cinq ans. Ils avaient dit également que, puisqu’il était impossible de développer des défenses contre une guerre atomique, il était obligatoire de définir les conditions d’une coopération internationale dans le domaine atomique. Dans son discours immonde du « rideau de fer » et de déclaration de la guerre froide de Fulton en 1946, l’ancien premier ministre britannique, Winston Churchill, avait déclaré que la coopération nucléaire était de « la folie criminelle ».
Les Rosenberg, qui étaient tous deux membres du Parti communiste des États-Unis, ont été les premiers et les seuls citoyens américains à avoir été exécutés pour espionnage. Ethel Rosenberg a été la première femme à être exécutée en vertu d’un décret fédéral. Leur procès et leur exécution ont eu lieu au plus fort de la guerre froide, quand l’anticommunisme déclaré et la haine de l’Union soviétique étaient l’idéologie d’État des États-Unis, que les maccarthistes sévissaient avec leurs chasses aux sorcières et que toute personne aux opinions progressistes était impitoyablement persécutée. Il était clair dès le début que les Rosenberg étaient en fait jugés à cause de leurs opinions politiques et pour intimider d’autres personnes. Le juge du procès a déclaré en cour qu’il croyait que les activités d’espionnage des Rosenberg avaient « provoqué l’agression communiste en Corée ». Le gouvernement américain a promis la clémence au couple s’ils dénonçaient publiquement l’Union soviétique, mais ils ont refusé et ont défendu leurs principes jusqu’au bout. Dans sa dernière lettre, Julius Rosenberg a déclaré avec justesse que Ethel et lui étaient des « victimes du fascisme américain ».
Le président américain, Dwight Eisenhower, a fait une déclaration, juste après l’exécution, qui était une tentative ridicule de justifier ces assassinats. Reprenant la méthode du « gros mensonge » du ministre de la propagande nazie, Joseph Goebbels, il a déclaré : « En accroissant dans une immense mesure les risques de guerre atomique , il est possible que les Rosenberg aient condamné à mort des dizaines de millions d’innocents dans le monde entier. L’exécution de deux êtres humains est une chose grave. Mais encore plus grave est la pensée que des millions de morts peuvent être directement attribués à ce que ces espions ont fait ». Comme chacun sait, le seul pays qui a déjà utilisé des bombes atomiques pour tuer des innocents sont les États-Unis, qui en 1945 ont largué des bombes atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, des actes de terrorisme d’État qui ont causé, directement ou indirectement, la mort de centaines de milliers de personnes.
Les mensonges sur les secrets de la bombe atomique rendent la prétention que des « espions soviétiques » ont obtenu des informations qui ont permis à l’Union soviétique de développer la bombe atomique extrêmement douteuse. [2] En fait, on peut faire remonter l’origine des travaux atomistes en Union soviétique aux recherches menées sur les matières radioactives en Russie dès 1910. Les Soviétiques ont lancé leur programme de bombe atomique en septembre 1942, après qu’il ait été évident que les États-Unis et d’autres pays étaient déjà en train de fabriquer une bombe, comme le montre le rapport britannique de la Commission MAUD, la commission créée par les Britanniques en 1940 pour étudier les moyens de fabriquer une bombe nucléaire. Les Soviétiques ont accéléré leur programme après l’essai de bombe atomique Trinity du 16 juillet 1945. Le 25 décembre 1946, les Soviétiques ont créé leur première réaction en chaîne dans des blocs de graphite. L’Union soviétique a tenu son premier essai de bombe atomique le 29 août 1949, quatre ans seulement après Nagasaki. Il faut souligner que les scientifiques atomistes soviétiques ont mené leurs travaux alors que leur pays était envahi par les armées hitlériennes, tandis que les scientifiques américains ont travaillé dans des circonstances plus tranquilles.
Les Rosenberg ont été condamnés à mort le 5 avril 1951 mais le verdict de culpabilité a été suivi de recours et d’une campagne de mobilisation internationale et de demande de grâce à laquelle ont participé des personnalités comme le physicien Albert Einstein. Le jour de l’exécution, 5 000 manifestants se sont rassemblés à Union Square à New York et des centaines de personnes ont dressé un piquet devant la Maison-Blanche. De grandes manifestations ont eu lieu partout dans le monde, notamment à Paris où 400 personnes ont été arrêtées, à Londres et à Rome. Dix mille personnes ont assisté aux funérailles à Brooklyn. Beaucoup d’Américains plus âgés retracent le moment de leur « radicalisation » à l’exécution des Rosenberg. La campagne de réhabilitation des Rosenberg se poursuit jusqu’à ce jour, menée par leurs enfants, Michael et Robert Meeropol et leur petite-fille, la réalisatrice Ivy Meeropol, qui, en 2004, a fait le film Heir to an Execution. Le 20 septembre 2015, le conseil municipal de New York a honoré la mémoire d’Ethel Rosenberg à l’occasion de son 100e anniversaire et reconnu que son exécution était une injustice. Un monument à la mémoire des Rosenberg a été érigé à La Havane avec ces mots : « Pour la paix, le pain et les roses, nous ferons face au bourreau. Ethel et Julius Rosenberg. Assassinés le19 juin 1953 ».
Notes
1. Le Canada a secrètement fourni une grande partie de l’uranium utilisé pour le projet de bombe atomique américaine. Il provenait d’Eldorado Mines qui se trouve à Port Radium, sur les rives du Grand Lac de l’Ours dans les Territoires du nord-ouest. Les Sahtus Dene ont été employés à un salaire de misère pour transporter le dangereux minerai radioactif sur leur dos, sans aucune protection. Le gouvernement canadien connaissait les dangers des radiations, mais le cachait. Les Sahtus Dene souffrent maintenant de taux très élevés de cancer.
2. La première frayeur d’espionnage atomique au Canada a été déclenchée par la défection le 15 février 1946 d’Igor Gouzenko qui travaillait au chiffre de l’ambassade soviétique, et ses révélations. Le député d’une circonscription montréalaise, Fred Rose, qui était membre du Parti communiste, ainsi que plusieurs personnes ont été arrêtés en vertu de la Loi sur les secrets officiels. Plusieurs ont été relâchés mais Fred Rose a été condamné à six ans de prison. L’auteur William Reuben soutient de façon convaincante dans son livre bien documenté, The Atom Spy Hoax (Action Books, 1954), qu’un tel réseau d’espionnage n’a jamais existé, mais a été inventé par l’État canadien pour réprimer la dissidence.
(Photos : V. Reed)