Le vote abstentionniste
Dans cette élection, entre 58,78 et 62 % des électeurs inscrits ont voté (en tenant compte des estimations des bulletins de vote par la poste). Sur les 27 366 297 électeurs inscrits, environ 38 à 41,22 % – entre 10,4 et 11,3 millions – n’ont pas voté.
Après l’élection générale de 2019, Élections Canada a rapporté que 90 % des abstentionnistes donnent des « raisons liées à la vie courante » et des « raisons de nature politique » comme réponse à la question pourquoi ils n’ont pas voté.
André Blais, titulaire de la Chaire de recherche de l’Université de Montréal en études électorales, a dit que la participation électorale a diminué d’environ 10 % « dans la plupart des démocraties » depuis les années 1980. « Il y a 50 ans, il y avait plus de gens qui pensaient en termes de devoirs. Maintenant, les gens pensent plus en termes de droits », a-t-il dit.
Il ajoute que quelques pays ont imposé le vote obligatoire pour renverser la tendance, notamment en Australie. « C’est évident que ça fonctionne, mais comme tout remède, ça a ses désavantages, note-t-il. Ceux qui sont obligés de voter peuvent voter de façon tout à fait aléatoire. Et ça n’a pas fait augmenter l’intérêt pour la politique. » Un exemple est celui d’un abstentionniste qui a dit des chefs de parti qu’ « ils se ressemblent tous. Ils font tous leur possible avec de petites différences. Ça fait que je n’ai plus d’intérêt. »
Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM et auteur de Nous n’irons plus aux urnes – plaidoyer pour l’abstention, estime que le refus de voter peut cacher une politisation plus prononcée. « La communauté qui a le record mondial d’abstention, selon mes recherches, ce sont les Mohawks de la région de Montréal. Ils ont des taux d’abstention jusqu’à 98 %. C’est la même chose chez les Maoris en Nouvelle-Zélande ou chez des communautés autochtones aux États-Unis. On ne vote pas parce qu’on est dans un système colonial et on ne veut pas voter pour la puissance coloniale. Ça ne nous représente pas. »
Il ne faut pas confondre abstention et indifférence, énonce-t-il. « On critique beaucoup les gens qui ne votent pas en disant qu’ils sont apolitiques ou qu’ils ne réfléchissent pas, mais du côté des gens qui votent, il y en a aussi qui ne réfléchissent pas tellement. Ils peuvent voter pour le même parti, de famille en famille ».
Plusieurs remplissent ainsi leurs devoirs politiques « au sein de mouvements sociaux », sans exercer leur droit de vote, plaide Francis Dupuis-Déri, lui-même abstentionniste. Il note qu’au bout du compte, le déficit de légitimité provoqué par le taux d’abstention ne change pas grand-chose à la gestion du pays.
« Je n’ai jamais réussi à voir d’impacts concrets sur la capacité du gouvernement à gouverner, à imposer ses lois, à mener des guerres, à nommer des ministres, à accepter des pots-de-vin. Ils ont exactement le même pouvoir, qu’ils aient 5 %, 20 % ou 40 % d’abstention. »
André Blais estime pour sa part que « si on descendait en bas de 50 % [de participation électorale], on se poserait des questions énormes » sur la légitimité du parti au pouvoir.
En fait, c’est exactement ce qui se passe.
(Faits et citations fournis par Le Devoir du 20 septembre 2021)