Entrevue
Les gouvernements doivent mettre en application les revendications que les organisations de défense du droit au logement mettent de l’avant
– Serge Lachapelle –
Manifestation devant le bureau du premier ministre Justin Trudeau à Montréal le 14 septembre 2021
L’entrevue suivante a été réalisée avec Serge Lachapelle, un militant pour le logement, un porte-parole du PMLC sur le droit au logement et son candidat dans Laurier-Sainte-Marie.
Le Renouveau : Au cours de cette élection, le droit au logement a été un enjeu sérieux à Montréal. Malgré cela, les partis cartellisés et les médias ne demandent pas l’avis des personnes touchées par ce problème ou ayant de l’expertise comme toi sur les besoins et les solutions. Que penses-tu de cette situation?
Serge Lachapelle :C’est inspirant de voir que les organisations de défense du droit au logement parlent en leur propre nom pendant cette campagne électorale et rejettent l’appel à remettre la question du droit au logement dans les mains des partis cartellisés. L’hypocrisie de ces partis est au-delà des limites.
Si on parle des deux partis dont on dit qu’ils pourraient former le prochain gouvernement, on voit que les libéraux ont déclaré qu’ils vont agir contre les rénovictions alors qu’elles relèvent des gouvernements provinciaux. Justin Trudeau a aussi dit qu’il va s’occuper de la question des logements sociaux mais il n’a rien dit de concret, ce sont juste des mots creux sans action concrète. En plus, il a déclaré que la sortie de crise se fera par l’accession à la propriété privée. Des activistes ont répondu en disant que c’est un affront aux locataires qui risquent de se retrouver à la rue parce qu’ils n’ont pas les moyens d’accéder à la propriété privée, de s’acheter une maison ou un condo.
En ce qui concerne les conservateurs, leur principale revendication en ce qui concerne le logement ce sont encore plus d’avantages fiscaux aux propriétaires qui possèdent déjà des propriétés afin de les rendre plus abordables. Leur plateforme est elle aussi au service des intérêts privés étroits.
Il ne faut pas oublier non plus que le gouvernement fédéral, en 1990, a abandonné la construction de logements sociaux, ce qui a contribué à la pénurie actuelle qu’on évalue à 80 000 logements sociaux seulement pour le Québec. Tous les gouvernements fédéraux qui se sont succédé depuis 1990 ont maintenu la décision de se retirer de la construction de logements sociaux. Il y a un rattrapage sérieux qui doit être fait.
À ce sujet, le FRAPRU (Front d’action populaire en réaménagement urbain) revendique depuis 10 ans la construction de 50 000 logements sociaux répartis sur 5 ans au Québec. Dans le cadre des élections il a demandé de manière récurrente 3 milliards $ par année pour le financement de nouveaux logements sociaux. Ces investissements permettraient de réaliser 7500 logements sociaux par année au Québec. Cette revendication est importante et doit être appliquée.
La crise du logement est très profonde. Par exemple, le 1er juillet, il y a plus de 500 personnes au Québec qui se sont retrouvées à la rue parce qu’elles n’ont pas pu se trouver de logement. Le gouvernement de la CAQ a avancé un supplément de revenu au logis pour aider ces gens là mais cela ne règle pas le problème du manque de logements. Juste cette année il y a 2200 ménages qui ont contacté un service d’aide parce qu’ils étaient à la rue ou allaient se retrouver à la rue lors de la période des déménagements.
Un problème à l’heure actuelle qui est très répandu c’est le phénomène des rénovictions, notamment sur le Plateau Mont-Royal où j’habite et dans d’autres quartiers où historiquement résidait la classe ouvrière. Les propriétaires justifient l’expulsion des locataires en disant qu’ils veulent faire des rénovations. Ce sont des centaines de personnes qui sont visées dans plusieurs quartiers juste à Montréal mais le problème existe aussi dans d’autres villes du Québec. Avec les rénovictions, les locataires ont le droit de réintégrer le logement une fois qu’il est rénové, à moins que ce logement n’existe plus suite aux rénovations mais c’est souvent au double du loyer, ce qui devient inabordable.
Le coût des logements est absolument incroyable, Par exemple, sur le Plateau, le loyer d’un 3 ½ peut facilement atteindre 1200 dollars par mois alors qu’il y a à peine quelques années il se situait entre 500 et 600 dollars. À cause de cela, les jeunes notamment sont souvent obligés de se mettre à plusieurs pour louer un logement, par exemple un 5 ½ ou un 6 ½ et d’y vivre à 5 ou 6 pour pouvoir se payer le logement.
En plus, le parc de logements à Montréal et au Québec n’a pas été retouché depuis des années , les logements sont souvent insalubres. Il y a par exemple des HLM (habitations à loyer modique) qui sont en décrépitude et qui sont même fermés en ce moment. Il y a des HLM avec des problèmes de moisissure, d’infestation de coquerelles, c’est une situation très difficile.
Pour les activistes, un problème important c’est que le logement est laissé dans des mains privées. Et le privé considère le logement comme une occasion de générer des profits pour lui. Une des principales revendications du FRAPRU et du RCLALQ (Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec) est de mettre sur pied des coopératives d’habitation dans lesquelles ce sont les membres qui gèrent la coopérative.
La crise du logement nous amène à parler de la situation à laquelle les sans abri font face. Ils ont été très affectés pendant toute la période de la pandémie. On leur a fourni des hôtels mais beaucoup de sans abri ne voulaient pas y demeurer parce que les conditions n’étaient pas appropriées à leur situation. Par exemple, leur vie privée n’était pas respectée car ils devaient laisser la porte de leur chambre ouverte en tout temps. Les gens ont installé des campements de sans abri qui voulaient avoir un toit pour se loger. Les campements étaient soutenus par les intervenants qui s’occupent d’eux et défendent leurs droits. Ces campements ont été rapidement démantelés par la Ville de Montréal, la police et le service des incendies sous le faux prétexte qu’ils sont non sécuritaires. Aucun effort n’est fait pour leur fournir toute l’aide nécessaire pour que les sans abri y vivent en toute sécurité. Au contraire, ils sont brutalisés, leurs biens sont brûlés et jetés à la poubelle. Ceux qui sont déjà traumatisés le sont encore plus. C’est de la cruauté pure et simple envers des humains pour laquelle ils doivent rendre des comptes.
Sans réelle alternative, les sans abri ont été déplacés dans des lieux moins visibles, le phénomène de l’itinérance cachée n’a fait que grandir de manière exponentielle. Plusieurs se sont retrouvés à l’écart des ressources et des services dont ils ont besoin, et sans l’aide directe des intervenants. Les autorités ont choisi la voie de la criminalisation qui n’est pas une solution au problème de l’itinérance mais fait juste l’aggraver.
J’en appelle à tous à joindre leur voix à celle du RAPSIM (Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal) et aux autres organisations et individus qui dénoncent la répression des sans abri et exigent des solutions au problème qui défendent les droits des personnes les plus vulnérables.
Au nom du PMLC, je salue le travail de toutes les organisations et de tous les activistes qui défendent le droit au logement pour toutes et tous et parlent en leur propre nom pendant cette élection et en tout temps.
(Photos : FRAPRU)