
Numéro 8117 décembre 2021
|
Toujours plus urgent d’humaniser l’environnement naturel
sur une base scientifique
Un rapport met en lumière l’ampleur
du déboisement de la forêt boréale et son impact sur les changements climatiques
– Pierre Soublière –
Coupes à blanc sur la côte ouest de l’île de Vancouver, octobre 2021
Un rapport publié le 28 octobre, juste avant le COP26, montre comment le gouvernement du Canada, sur la base de présomptions erronées, sous-évalue les émissions du dioxyde de carbone du secteur forestier, faussant l’ampleur de la déforestation et promouvant l’énergie biomasse comme une alternative d’énergie propre. Le rapport, par Environmental Defence Canada, Nature Canada, Nature Québec et le NRDC (Conseil de défense des ressources naturelles) est intitulé : « Missing the forest – How carbon loopholes for logging hinder Canada’s climate leadership » (La forêt manquante – Comment les échappatoires dont bénéficie l’industrie forestière mettent en péril le leadership du Canada en matière de climat »).
Dans le résumé, on affirme : « La protection des forêts de la planète est essentielle si l’on veut éviter les pires conséquences des changements climatiques. En plus de leur importance pour le maintien de la biodiversité, les forêts jouent un rôle irremplaçable dans la régulation mondiale du carbone d’origine humaine dans l’atmosphère et stockant ce carbone à long terme dans leur sol et leur végétation. … La protection des forêts primaires, c’est-à-dire des forêts qui n’ont jamais été touchées de manière significative par des perturbations humaines, est particulièrement importante. Ces forêts, qui disparaissent rapidement, ont une valeur unique pour le climat et la biodiversité. Une fois disparues, elles sont irremplaçables. »
Les auteurs du rapport soulignent que la forêt boréale du Canada a parmi les plus vastes zones de forêts primaires restantes au monde et joue un rôle crucial pour le maintien d’un avenir durable et vivable. La forêt boréale capte deux fois plus de carbone par hectare que les forêts tropicales, et est ainsi une alliée essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Les auteurs font une mise en garde : « Malgré son importance pour la planète, la forêt boréale est fortement menacée par l’exploitation forestière industrielle non durable…. L’industrie forestière continue de couper à blanc plus de 400 000 hectares de forêt boréale chaque année – soit environ cinq patinoires de hockey de la LNH par minute – dont une grande partie dans des forêts primaires irremplaçables. Cette conversion des forêts primaires en forêts secondaires, qui stockent moins de carbone, entraîne le transfert de grandes quantités de carbone dans l’atmosphère, ce qui a des répercussions importantes sur le climat. » Le rapport souligne que « le gouvernement du Canada ne comptabilise ni ne réglemente adéquatement ces répercussions sur le climat ».
À cet égard, on explique dans le rapport comment le gouvernement du Canada a élaboré un ensemble de règles différentes pour l’industrie forestière qui sous-évaluent ses émissions et la dispensent des réglementations en matière d’émission de carbone, sous-évaluant le coût carbone des coupes industrielles ainsi que les bienfaits de protéger les forêts existantes. La coupe de bois industrielle représente une des plus grandes menaces aux réserves de carbone dans la forêt boréale et à sa capacité d’emprisonner du carbone additionnel. Plus de 90 % des activités forestières au Canada sont sous forme de coupe à blanc, par laquelle une opération forestière abat presque tous les arbres d’une zone donnée. Une grande part de cette activité a lieu dans des forêts primaires riches en carbone et en biodiversité. Lorsque ces forêts sont coupées à blanc, le carbone dans le sol et dans la biomasse restante est dégagé dans l’atmosphère, ce qui n’affecte pas seulement la végétation mais aussi l’intégrité des puits de carbone dans le sol des forêts boréales. En outre, la recherche scientifique démontre que les forêts boréales abattues aujourd’hui ne reviendront pas à leur capacité d’absorption de carbone initiale – du moins pas sur un laps de temps respectueux de l’action climatique prévue par l’accord de Paris.
Dans la section intitulée « La déforestation versus la dégradation des forêts », il est souligné que le Canada prétend qu’il y a presque zéro déforestation au pays — prétendant être un exemple positif comparativement au Brésil et à l’Indonésie qui ont des taux d’abattage en forêt beaucoup plus élevés. Cependant, selon le rapport, cette affirmation repose sur le fait qu’en vertu d’un grand nombre de définitions internationales, la « déforestation » est définie de façon étroite qui exclue en grande partie les coupes à blanc au Canada. Par exemple, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture définit la déforestation comme étant la conversion d’une forêt en terre à vocation non-forestière. L’industrie forestière au Canada, comme dans plusieurs pays nordiques dans des latitudes tempérées et boréales, fait des coupes à blanc avec l’intention de permettre à la forêt de repousser, ce qui fait en sorte que des sites où il y a eu coupe à blanc sont présentés comme des forêts en santé et la coupe à blanc ne s’appelle plus « déforestation » mais « dégradation des forêts ».
On démontre aussi dans le rapport comment l’énergie biomasse, qui provient de plantes brûlées comme les arbres, n’est pas une alternative d’énergie propre aux combustible fossiles. Néanmoins, l’industrie prétend souvent que l’énergie biomasse est neutre en carbone. Dans la plus récente présentation des engagements climatiques du Canada à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, on y présente des investissements dans l’expansion de la biomasse comme une preuve de progrès climatique.
Le rapport fait certaines recommandations comme solution à l’impact climatique de l’industrie forestière et pour protéger la valeur des forêts primaires, dont : assurer une comptabilisation impartiale des émissions de l’industrie forestière; améliorer l’exactitude de la mesure des émissions de carbone associées aux coupes industrielles; assurer une meilleure gouvernance et un meilleur suivi des émissions de carbone issues de l’industrie forestière; et donner la priorité à la protection de la forêt et sa restauration sous la direction des Autochtones.
Voir le rapport intégral Missing the Forest : How Carbon Loopholes for Logging Hinder Canada’s Climate Leadership.
(Photos : Fairy Creek Blockade Facebook)
Le programme du Québec pour une « économie verte »
– une formule pour encore plus de braderie
Enrichir les intérêts privés étrangers et accroître la domination mondiale anglo-américaine
– Fernand Deschamps –
Comme prévu, le discours d’une heure prononcé le 19 octobre par le premier ministre du Québec, François Legault, devant l’Assemblée nationale, a fait valoir que le Québec était un chef de file en matière d’« énergies vertes renouvelables ». « Parmi tous les États américains et les provinces canadiennes, le Québec est celui qui émet le moins de gaz à effet de serre par habitant », a affirmé Legault.
Pour faire valoir son point de vue, il a ajouté que le Québec, avec ses surplus d’énergie hydroélectrique, est en train de devenir la « batterie verte du nord-est de l’Amérique » avec ses contrats récemment signés avec l’État du Massachusetts et la ville de New York pour l’exportation d’énergie hydroélectrique pendant des décennies. Dans une entrevue antérieure, un porte-parole d’Hydro-Québec a souligné que l’accord avec l’État du Massachusetts, pour la fourniture future de 9,45 térawatt-heures sur 20 ans, vaut environ 10 milliards de dollars. Cela représente environ cinq cents par kilowattheure, soit 25 à 50 % de moins que les tarifs payés par les résidents du Québec. Les détails du dernier contrat avec la New York Power Authority, en ce qui concerne les tarifs d’électricité payés par ces derniers, ne sont pas encore connus. Ce que l’on sait, par contre, c’est que les accords de ce genre comportent toujours des clauses prévoyant d’énormes amendes en cas de pannes de courant et qui exigent de rétablir le courant dans les États américains avant de s’occuper de la population du Québec. Cela ne signifie pas que l’on s’occupe des résidents américains, mais bien de ceux des intérêts privés américains qui reçoivent l’électricité bon marché.
François Legault a également annoncé que dès maintenant, son gouvernement interdira définitivement le forage de hydrocarbures sur le territoire du Québec. Cependant, il n’a pas dit un mot sur le montant que le gouvernement du Québec a l’intention de verser aux sociétés privées d’exploration pétrolière et gazière en guise de compensation, en rachetant les parcelles de terrain sur lesquelles elles foraient pour trouver des combustibles fossiles.
Le lendemain de l’allocution du premier ministre Legault à l’Assemblée nationale, le consortium représentant les sociétés d’exploration pétrolière et gazière actives au Québec cognait à la porte du gouvernement en disant qu’il voulait être « pleinement compensé ». Éric Tétrault, président de l’Association de l’énergie du Québec, un « organisme à but non lucratif qui représente des promoteurs, entreprises, investisseurs et sous-traitants intéressés à développer des projets de gaz naturel et d’énergie renouvelable au Québec », estime que pour la seule vallée du Saint-Laurent, où l’exploitation par fracturation hydraulique des champs gaziers a été arrêtée en raison de la résistance et de l’opposition de la population, elle pourrait réclamer des « profits perdus » de « 3 à 5 milliards de dollars ».
Le même jour, en réponse à un journaliste qui voulait connaître sa position sur cette question, François Legault a répondu : « Nous sommes prêts à mettre les ressources financières et juridiques », et que ce sera en fonction de la « valeur du marché ». Il y a actuellement 182 permis de forage pétrolier et gazier couvrant quelque 32 000 km carrés du territoire québécois, une superficie équivalente à celle de l’île de Vancouver ou de la Belgique.
Pour souligner davantage que le Québec prend les devants vers une « économie verte », François Legault a poursuivi en disant que l’ambition de son gouvernement est de créer au Québec un « pôle mondial » pour le « transport électrique » qui comprendrait « des autobus, des camions, des trains et même des avions électriques ». À cet égard, son gouvernement veut également créer un « pôle mondial » pour le secteur des batteries. Il fait ici référence aux batteries rechargeables au lithium-ion dans lesquelles le lithium et le graphite sont respectivement les principaux composants qui constituent la cathode et l’anode de la batterie.
Il se trouve que le lithium et le graphite font partie des 35 « minéraux stratégiques » identifiés en 2017 par l’administration américaine comme « critiques » pour la machine de guerre impérialiste américaine[1].
Une mine de lithium et un important gisement de graphite aux mains d’intérêts privés étrangers
La mine de Whabouchi, située près de la communauté nordique d’Eeyou Istchee (Cree) de Nemaska, sera la plus grande mine de lithium d’Amérique du Nord. L’ancien propriétaire de la mine, Nemaska Lithium, s’est libéré de la protection contre les créanciers en août 2020 grâce à l’acquisition conjointe d’Investissement Québec, le « bras d’investissement » du gouvernement, de Pallinghurst Group, une société d’investissement privé dans les mines et la métallurgie basée au Royaume-Uni, et d’Orion Mine Finance, une société d’investissement privé dans les mines et la métallurgie basée aux États-Unis.
Après avoir mis 80 millions de dollars de fonds publics dans l’entreprise privée minière et métallurgique Nemaska Lithium en mai 2018, le gouvernement du Québec est à nouveau venu à son secours l’an dernier en la rachetant, avec Orion et Pallinghurst. Il paiera également une énorme partie du passif de 146,5 millions de dollars détenu en partie par Orion. De nombreux petits investisseurs qui avaient mis toutes leurs économies dans cette entreprise ont tout perdu[2].
Matawinie Graphite, un gisement de graphite dont l’exploitation à ciel ouvert est prévue pour 2023, est situé à Saint-Michel-des-Saints, à 100 km au nord-est de Montréal. Ce projet minier de Nouveau Monde Graphite inc. permettrait d’extraire 100 000 tonnes par an de concentré de graphite qui seraient ensuite expédiées vers leur usine de traitement de Bécancour, en cours de construction pour produire le matériau d’anode nécessaire aux batteries lithium-ion. Cette situation est similaire à celle de la mine de lithium de Whabouchi, où l’exploitant de la mine a l’intention de construire une installation de conversion chimique pour produire de l’hydroxyde de lithium de qualité requis pour des batteries lithium-ion sur un terrain de 500 000 mètres carrés dans le parc industriel de Bécancour, au Québec.
Le groupe Pallinghurst, société britannique de capital-investissement spécialisée dans les mines et la métallurgie, est également le principal actionnaire de Nouveau Monde Graphite Inc.
Même si ces minéraux stratégiques exploités au Québec sont sous propriété étrangère, cela ne semble pas déranger François Legault qui n’a pu s’empêcher de penser tout haut lors de son discours d’ouverture en déclarant : « Pour s’enrichir, le Québec doit avoir plus de grandes entreprises québécoises ». Il semble que les minéraux critiques comme le lithium et le graphite ne soient pas assez importants pour qu’il les considère comme faisant partie de « l’économie verte et durable du Québec ».
Les stratagèmes pour payer les riches dans le secteur minier révèlent l’essence de la position « nationaliste » de Legault
Pour la première fois, François Legault a fait ouvertement allusion à « la scène mondiale » et à ce qu’il a décrit comme « il y a plusieurs pays qui s’inquiètent du grand poids de la Chine dans le marché des minéraux critiques » qui sont « indispensables pour beaucoup de produits de l’économie verte », en donnant comme exemple les batteries rechargeables au lithium-ion. Comme nous l’avons déjà mentionné, le Québec, comme de nombreuses provinces et territoires canadiens, possède sur son territoire différentes formations rocheuses qui contiennent des gisements de lithium/graphite ainsi que des éléments de terres rares et d’autres roches riches en minéraux essentiels pour les impérialistes américains qui cherchent à dominer le marché mondial, en rivalité avec la Chine et la Russie.
Le premier ministre Legault a commodément négligé de mentionner que le 23 février 2021, dans le cadre de la Feuille de route pour un partenariat renouvelé États-Unis-Canada, le Canada et l’administration Biden ont renouvelé le Plan d’action Canada-États-Unis pour la collaboration dans le domaine des minéraux critiques qui avait été initialement signé avec l’administration Trump en janvier 2020. Il s’agit de mesures qui intègrent davantage les économies canadienne et québécoise à l’économie de guerre américaine afin de concurrencer les intérêts chinois et de faire avancer la cause de la domination impérialiste américaine à l’échelle mondiale.
Tout en affirmant que son gouvernement « crée plus de richesse pour le Québec », le premier ministre Legault se plie en quatre pour soutenir les intérêts privés étrangers qui exploitent des minerais critiques grâce à toutes sortes de stratagèmes pour payer les riches. Ceux-ci prennent la forme de subventions directes, de prêts sans intérêt, d’infrastructures telles que des routes, de l’énergie hydroélectrique et, à l’avenir, de nouvelles voies ferrées comme celle qui est à l’étude et qui relierait le réseau ferroviaire transcanadien de Senneterre, en Abitibi, à Baie-Comeau, un port en eau profonde sur la Côte-Nord du Québec.
Tout cela n’a rien à voir avec la construction d’une économie autosuffisante, comme Legault s’est empressé de le répéter dans son discours, et encore moins une économie avec une direction dans laquelle le peuple québécois aurait son mot à dire. Toute la soi-disant position nationaliste de Legault, selon laquelle il ne veut « aucune intrusion du gouvernement fédéral » au Québec, sert à cacher le fait que son parti, la Coalition Avenir Québec, comme les libéraux de Trudeau, cherche à servir des sections spécifiques du capital financier tout en se soumettant aux exigences des militaires américains. Il s’agit d’un affrontement entre un niveau d’autorité et un autre, mais aucune des deux autorités ne sert les intérêts du peuple. C’est une voie dangereuse à laquelle doit s’opposer la classe ouvrière en se constituant en la nation et en l’imprégnant de ses propres objectifs pour un environnement naturel et social humanisé. Faire partie de l’économie de guerre américaine n’est pas quelque chose que le peuple canadien ou québécois veut.
Notes
1. Voir Le Renouveau du 24 septembre 2021, « Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour résoudre la crise climatique »
2. Voir LML numéro 65, 24 octobre 2020, « Les plans de sauvetage des projets miniers et métallurgiques privés risqués »
Note aux lecteurs
Ce numéro du Renouveau est le dernier de 2021. La publication reprendra dans la nouvelle année.
Nous vous souhaitons de passer les Fêtes en toute sécurité et des succès dans votre travail en 2022. Nous vous encourageons à nous faire parvenir vos rapports et vos vues et à vous joindre à l’effort pour accroître le lectorat du Renouveau et pour aider à financer cet important travail pour le renouveau.
Envoyez vos articles, photos, rapports, points de vue et commentaires à redactionpmlc@cpcml.ca.