Numéro 7915 décembre 2021
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Violations des droits humains par les gouvernements fédéral et québécois
Des détenus migrants et des prisonniers au Québec sont privés de visites durant la pandémie
– Diane Johnston –
L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’a pas autorisé les visites des immigrants détenus au Centre de surveillance de l’immigration à Laval, alors que les visites sont autorisées dans les deux autres installations du gouvernement fédéral à Toronto et à Surrey, en Colombie-Britannique.
Interrogée à ce sujet, l’ASFC n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi.
Au Centre de surveillance de l’immigration de Laval, les personnes détenues en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) peuvent être des demandeurs d’asile dont le dossier est incomplet, des travailleurs étrangers ou des étudiants internationaux dont le visa a expiré, ou des personnes en attente d’expulsion.
Les personnes détenues souffrent déjà d’une énorme angoisse mentale et le fait de les couper complètement du monde extérieur sans aucun soutien est inhumain et ne peut être considéré rien de moins que la torture.
La seule justification que l’ASFC aurait donnée est qu’à l’heure actuelle, le Centre de surveillance de l’immigration « n’a pas la capacité d’effectuer des visites régulières sans contact en raison des risques pour la santé publique ».
Les visites dans tous les établissements correctionnels provinciaux du Québec ont également été suspendues depuis le début de la pandémie. La suspension de toutes les visites, à l’exception des avocats, est en vigueur depuis le 14 mars 2020[1], même si les visites continuent d’être autorisées dans les établissements correctionnels fédéraux situés au Québec.
Statistiques sur les détentions effectuées par l’Agence des services frontaliers du Canada durant les trois premiers trimestres de 2020-2021
Selon les statistiques fournies par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC)[2], au cours des neuf premiers mois de l’exercice 2020-2021, qui a débuté le 1er avril 2020 et s’est terminé le 31 mars 2021, le Canada a détenu 1 198 personnes, dont la plupart ont été incarcérées en moyenne 29,4 jours. Parmi les personnes détenues, 43 % l’ont été dans l’un des trois centres de surveillance de l’immigration du Canada situés à Toronto (Ontario), à Surrey (Colombie-Britannique) et à Laval (Québec). Un autre 44 % a été incarcéré dans un établissement correctionnel provincial. Les 13 % restants étaient confinés dans « un autre établissement ».
Le plus grand nombre de personnes détenues, et de loin, se trouvait en Ontario (790), suivi de la Colombie-Britannique (270) et, en troisième position, du Québec (251).
La raison invoquée par l’ASFC pour détenir la grande majorité de ces personnes était la suivante : « Peu susceptibles de se présenter » [(risque de fuite) pour les processus d’immigration].
Le temps est venu d’intensifier la lutte pour défendre les plus vulnérables
Les problèmes de santé mentale au Québec sont en hausse en raison des conditions inhumaines imposées aux membres les plus vulnérables de la société par les gouvernements au service des riches. C’est une véritable condamnation de comment ceux au pouvoir dans notre société traitent les gens et cela en dit long sur la nécessité de défendre les droits de tous et de transformer la situation pour que de tels crimes contre l’humanité cessent.
L’excuse de l’urgence sanitaire continue d’être utilisée pour priver les gens de leurs droits humains les plus fondamentaux. C’est le cas de la fermeture fin mars 2020 de la frontière irrégulière entre les États-Unis et le Canada aux réfugiés. Cette action, en plus de celle qui prive de visites des détenus et des prisonniers, ainsi que les autres violations des droits, sont des violations de la responsabilité du Canada envers les réfugiés selon le droit international. Entre mars 2020 et la mi-octobre de cette année, le Canada a refoulé au moins 544 demandeurs d’asile qui tentaient de passer au Canada depuis les États-Unis.
Pendant l’interdiction des traversées irrégulières, un nombre inconnu de demandeurs d’asile refoulés ont été placés en détention indéfinie aux États-Unis, et certains ont été expulsés par la suite. Plus d’un an et demi après le début de la pandémie, l’interdiction des traversées irrégulières a finalement été levée le 21 novembre. Maureen Silcoff, avocate spécialisée dans les questions de réfugiés et ancienne présidente de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (ACAADR), a déclaré : « C’est un soulagement de voir que les mesures concernant les réfugiés sont plus conformes à nos obligations internationales, et je pense qu’il a toujours été clair que la santé publique et la protection des réfugiés pouvaient coexister. » L’ACAADR a poursuivi le gouvernement en justice au sujet de cette politique.
Le 8 décembre, le premier ministre Trudeau a imité la position adoptée par l’administration Biden, en déclarant qu’il lancera un boycottage diplomatique des prochains Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin, parce que le gouvernement est « extrêmement préoccupé » par les « violations répétées des droits de la personne commises par le gouvernement chinois ». Une semaine plus tôt, le 2 décembre, le Canada a imposé des sanctions à l’encontre de responsables et d’entités biélorusses « en réponse à des violations flagrantes et systématiques des droits de la personne » à l’égard de migrants à sa frontière avec la Pologne. Où était le premier ministre lorsque les agents de la patrouille frontalière américaine rassemblaient littéralement les migrants haïtiens à la frontière entre le Mexique et le Texas pour les expulser vers Haïti pendant la pandémie ? Il partage ce même niveau de préoccupation pour les plus démunis ici au Canada.
Face à la situation qui confronte les plus vulnérables, y compris les migrants, les prisonniers et les pauvres qui ont été appauvris davantage sans que ce soit de leur faute, nous devons intensifier la lutte à la défense des droits de tous et toutes. Il est totalement inacceptable qu’au Canada, les besoins humains fondamentaux soient de moins en moins satisfaits alors que toutes sortes de stratagèmes pour payer les riches se poursuivent sans relâche. Les êtres humains, et non les intérêts particuliers, doivent occuper le devant de la scène.
Notre force réside dans notre nombre et dans la consolidation de nos organisations pour changer ce qui ne peut être justifié. Joignez-vous !
Notes
1. Questions et réponses concernant les services juridiques et correctionnels pendant la pandémie de COVID-19, Gouvernement du Québec
2. Arrestations, détentions et renvois, Statistiques trimestrielles sur les détentions : Troisième trimestre (Q3) de l’exercice financier 2020 à 2021, Agence des services frontaliers du Canada
(Avec des informations de Radio-Canada et du Montreal Gazette)
Violations des droits humains aux États-Unis
Les services de police fédéraux manipulent « l’algorithme des menaces » pour justifier les détentions de masse
Aux États-Unis, le département de la Sécurité intérieure (DHS) a publié un communiqué le 29 novembre indiquant qu’il allait commencer à mettre en oeuvre « Les lignes directrices pour l’application du droit civil sur l’immigration ».
Le DHS contrôle à la fois le Services d’immigration et de douane des États-Unis (ICE) et les agents des douanes et de la protection des frontières (CBP). Le secrétaire du DHS, Alejandro N. Mayorkas, a déclaré : « Aujourd’hui, nous franchissons une étape importante en veillant à ce que notre personnel soit habilité à exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et à concentrer ses efforts d’application de la loi sur ceux qui constituent une menace pour notre sécurité nationale, la sécurité publique et la sécurité des frontières.
« Le DHS s’acquittera de sa mission de protection de notre pays de manière juste et humaine. En prenant nos décisions d’application de la loi, nous concentrerons nos efforts sur les plus grandes menaces tout en reconnaissant que la majorité des non-citoyens sans papiers, qui sont ici depuis de nombreuses années et qui ont contribué positivement au bien-être de notre pays, ne sont pas prioritaires pour ce qui est de les expulser », a-t-il ajouté. Selon ce qu’il a dit, il est censé y avoir une « évaluation approfondie et au cas par cas pour juger si une mesure coercitive est nécessaire ».
Tout en affirmant que les directives donneront lieu à un traitement plus juste et humain – et ne se concentreront pas sur les travailleurs et leurs familles comme cela a été le cas – le DHS omet de préciser que les algorithmes utilisés pour déterminer une « menace » sont conçus pour imposer massivement la détention et éliminer une évaluation au cas par cas. Par exemple, entre 2017 et 2019, dans les seuls bureaux de l’ICE à New York, plus de 97 % des personnes ont été placées en détention en utilisant l’évaluation de la « menace » générée par l’algorithme. Le DHS a indiqué que 63 % des personnes qui ne sont pas soumises à la détention obligatoire (par exemple en cas de condamnation pour crime violent) et qui présentaient une vulnérabilité particulière qui justifiait leur libération ont tout de même fait l’objet d’un ordre de détention. En fait, les informations introduites dans l’algorithme garantissent que la grande majorité des personnes seront considérées comme un « risque » ou une « menace » et seront placées en détention et/ou expulsées.
Le réseau national de centres de détention de l’ICE, dont beaucoup sont gérés par le secteur privé, détient actuellement plus de 22 000 personnes, dont de nombreuses femmes, des enfants et même des bébés. Son programme de surveillance électronique en plein essor, considéré comme une « alternative », maintient près de 132 000 personnes sous surveillance constante.
L’« évaluation selon le degré de risque » (RCA) de l’ICE est un outil algorithmique qui impose la détention et alimente le programme de surveillance électronique de l’ICE. L’ICE utilise la RCA pour créer une fausse distinction entre les immigrants « sûrs » et « dangereux », censés représenter une « menace ». Les nouvelles directives perpétuent cette fausse notion, même si le DHS admet que « la majorité des non-citoyens sans papiers ne sont pas prioritaires pour ce qui est de les expulser » et « ont contribué positivement au bien-être de notre pays ».
Les révélations récentes de l’utilisation d’algorithmes par Facebook et Twitter pour promouvoir des contenus racistes et de division montrent aisément à quel point il est facile d’utiliser des algorithmes pour fournir les faux résultats souhaités. Ces algorithmes exploités par l’État ne sont pas différents et impliquent beaucoup plus de racisme et de criminalité organisés par l’État, dans ce cas en ciblant injustement les immigrants et les réfugiés, en particulier ceux du Mexique, d’Amérique centrale et d’Haïti.
Les méthodes de l’ICE qui consiste à prédire les « risques » futurs, à l’aide d’algorithmes qu’ils créent, sont un élément essentiel de leur machine à détenir et à expulser les immigrants. Le Congrès semble maintenant également prêt à augmenter le financement de l’expansion du programme d’« évaluation des risques » de l’ICE.
En partant, l’algorithme justifie la détention de 91 % des cas
L’ICE a développé la RCA, entre 2009 et 2012. L’agence a passé un contrat de 7,6 millions de dollars avec IBM pour créer l’Automated Threat Prioritization (priorisation automatisée des menaces), qui a constitué les fondements techniques de la RCA. On disait qu’elle limiterait les capacités de détention de l’ICE, mais il a en fait créé le contraire. On l’a su très tôt. La première année de sa mise en oeuvre par l’administration Obama a confirmé que sur l’ensemble des personnes soumises à la RCA, l’outil a recommandé la libération d’à peine 1 % d’entre elles, tandis que 91 % ont été placées en détention. L’organisme même de surveillance interne du DHS a identifié les problèmes, notant que la RCA était « laborieuse en temps d’utilisation, gourmande en ressources et inefficace pour déterminer [qui] peut être libéré ou dans quelles conditions ». On sait depuis des années qu’elle est orientée vers la détention, et pourtant elle est étendue.
L’ICE analyse le « risque pour la sécurité publique » en classant divers facteurs, notamment les accusations ou condamnations antérieures (y compris celles pour des infractions au code de la route ou des contraventions de stationnement et autres délits mineurs), selon leur « gravité ». L’ICE a toute latitude pour modifier le score de gravité pour un large éventail d’accusations. Étant donné la nature raciste des accusations et des arrestations effectuées par les gouvernements à tous les niveaux, par exemple pour la possession non violente de marijuana, les accusations qu’une personne peut avoir sur son casier judiciaire, même si elles sont finalement rejetées ou si elle est déclarée non coupable, ainsi que les condamnations dans un système où de nombreuses personnes innocentes sont contraintes de plaider pour une accusation moindre, sont faussées. L’ICE altère encore davantage l’algorithme avec son score arbitraire de « gravité ». Cela est particulièrement vrai pour les accusations en cours ou abandonnées, que l’ICE considère toujours comme des facteurs de « risque » dans la RCA. N’oublions pas que l’ICE est censé être une agence d’application des lois civiles, principalement axé à faire respecter le droit civil lié à l’immigration, et non le droit criminel.
Le score du « risque pour la sécurité publique » incorpore l’information provenant d’autres bases de données. Ces bases de données peuvent inclure la base de données du National Crime Information Center, les bases de données de partage d’informations biométriques et les bases de données sur les gangs. Chacune de ces bases de données importe des informations de diverses sources qui sont truffées de données erronées obtenues par des pratiques gouvernementales racistes. Par exemple, les bases de données sur les gangs sont composées en grande majorité de jeunes noirs et bruns qui sont largement ciblés simplement pour leurs associations, leurs tatouages, leur lieu de résidence – et non pour leur activité criminelle réelle. Le fait de marquer les gens comme membres de gangs et d’entrer cela dans l’algorithme produit alors le résultat d’une personne qui est une « menace ». Autant les bases de données et la RCA conduisent à la détention à tort des personnes sur la base de fausses informations et perpétuent la justification selon laquelle les immigrants et les réfugiés constituent une « menace ».
De manière constante depuis 2014, lorsque l’« expulseur en chef » Obama a annoncé qu’il ciblerait les personnes inculpées, entre autres, pour des délits importants, l’algorithme est devenu plus rigoureux, donnant lieu à des peines plus sévères pour les personnes qui font face à des accusations et ont reçu dans le passé des condamnations. Sous l’administration Trump, la RCA a été modifiée à nouveau de sorte que même les personnes auxquelles on a attribué des scores à faible risque – comme les personnes sans casier judiciaire – ont été détenues sans caution. La nature arbitraire et raciste de la RCA et sa promotion de la détention ont perduré et les récentes directives ne changent en rien cette réalité.
Les évaluations du « risque » perpétuent l’incarcération raciste
Comme le montrent l’expérience et les faits dans tous les secteurs gouvernementaux, les outils d’évaluation du « risque » sont conçus pour justifier l’incarcération, et non pour la réduire. Le gouvernement utilise la RCA pour appuyer son affirmation selon laquelle les immigrants doivent être évalués pour leur « dangerosité » et leur simple présence dans le pays où ils sont criminalisés, même si tout cela est contraire au droit américain et international existant. Comme les algorithmes utilisés par les agences de services à l’enfance et à la famille qui séparent les familles, ou la « prévision policière » qui a comme résultat d’augmenter la surveillance policière dans les quartiers noirs, les évaluations du « risque » sont une autre façon de poursuivre les pratiques racistes de maintien de l’ordre et d’incarcération du gouvernement, dissimulées derrière le rideau de la technologie « axée sur les données ». Leur utilisation donne un air de légitimité, et fait paraître les décisions comme impartiales et basées sur la science, alors que ce sont les lits des centres de détention qui se remplissent et les profits des monopoles qui opèrent ces centres, qui augmentent.
Comme beaucoup de personnes détenues et de défenseurs des droits humains, des travailleurs et des immigrants l’ont clairement indiqué, la RCA et son algorithme ont été un échec dans toutes les administrations, entraînant de graves préjudices, des violences et des violations des droits de centaines de milliers de personnes. La demande juste est de mettre fin à la détention et à la déportation et de faire respecter le droit américain et international existant en ce qui a trait aux immigrants et réfugiés. Au lieu de cela, les États-Unis continuent d’attaquer brutalement les droits humains de toutes les personnes concernées.
Voice of Revolution, journal de l’Organisation marxiste-léniniste des États-Unis (USMLO)
(Traduit de l’anglais par LR)
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