Numéro 7814 décembre 2021
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Le gouvernement fédéral renouvelle le mandat
de la Banque du Canada sur l’inflation
Comment ne rien dire de substantiel sur un ton sérieux
La ministre des Finances Chrystia Freeland et le gouverneur de la Banque du Canada Tiff Macklem ont dévoilé le nouveau mandat monétaire de cinq ans de la Banque lors d’une conférence de presse à Ottawa le 13 décembre. La conférence a duré plus d’une heure, avec deux présentations et une séance de questions-réponses de vingt minutes avec les médias officiels.
Mme Freeland a résumé les annonces dans un message qu’elle a affiché sur Twitter par la suite : « Le renouvellement aujourd’hui du cadre de la politique monétaire du Canada est fondamental pour la réussite économique du pays. Il s’agit de continuité et de continuer à faire ce que nous savons faire efficacement. Le cadre renouvelé permettra à la Banque de continuer de se concentrer sur la réalisation d’une inflation faible, stable et prévisible. »
Le précédent mandat monétaire quinquennal de la Banque consistait à maintenir l’inflation à 2 % par an dans les limites de 1-3 %. Selon les informations données à la conférence de presse, ce mandat n’a pas changé.
Le taux annuel d’inflation des prix au Canada est passé à plus de 4 % au cours de l’été et s’approche maintenant de 6 %. L’oligarchie a intégré l’économie canadienne à l’économie de guerre des États-Unis où l’inflation des prix était de 6,8 % en novembre.
La conférence de presse d’hier et les questions des médias officiels semblaient déconnectées du monde réel. Mme Freeland a commencé par faire l’éloge de la Banque et de la situation exemplaire de l’économie canadienne qui, selon elle, progresse merveilleusement après l’effondrement causé par la pandémie. Le gouverneur lui a rendu la pareille en faisant l’éloge de la situation économique. Les deux membres de l’élite dirigeante et les médias serviles ne semblaient pas préoccupés et pas du tout gênés par leur déconnexion du monde réel et des nombreux problèmes auxquels sont confrontés la population et l’économie.
Leur insouciance face à l’augmentation rapide des prix de tout sauf le prix du travail et leur détermination à ne parler que de leur mandat politique de 2 % d’inflation ont donné à la conférence de presse des allures de ridicule. D’autant plus que l’affaire a été présentée avec tant de sérieux, Mme Freeland donnant l’impression de parler de choses extrêmement profondes et de dire des choses des plus pertinentes. Elle a même joué le professeur d’école qui réprimande un étudiant pour avoir douté de la brillance de sa présentation quand un journaliste a laissé entendre que le mandat monétaire avait en fait été modifié pour en faire un mandat « double », avec l’ajout du maintien d’un faible taux de chômage comme facteur.
Le gouverneur Macklem a fait l’éloge de la Banque du Canada pour sa gestion de l’« assouplissement quantitatif » en passant sous silence le fait que la Banque a massivement augmenté la dette publique envers les prêteurs privés qui commencent déjà à exiger des taux d’intérêt plus élevés pour leur argent. La Banque du Canada s’est contentée de gérer les emprunts du gouvernement auprès de l’oligarchie financière mondiale et de veiller à ce que les prêteurs reçoivent leur dû des citoyens, qui seront contraints de payer des impôts plus élevés et des taux d’intérêt plus élevés sur leurs emprunts, comme les hypothèques et les prêts étudiants.
Le sérieux de Freeland, fait pour contraster avec l’attitude désinvolte de Justin Trudeau et la faire paraître comme une alternative crédible, tout cela sert à détourner l’attention du fait que ce sont les salaires qui vont être maintenus bas. C’est un spectacle qu’on nous donne pour faire croire que le gouvernement se soucie de nous et qu’il maîtrise la situation. En réalité, les affaires politiques et économiques du pays sont solidement entre les mains de l’oligarchie mondiale, dont Chrystia Freeland est l’un des principaux intermédiaires.
La ministre des Finances poursuit sa campagne d’apparitions publiques à l’extérieur du Parlement avec la présentation de sa mise à jour économique et fiscale de l’automne le 14 décembre. Malgré son apparente sincérité, Mme Freeland est de plus en plus critiquée par les députés qui lui reprochent de refuser de discuter de ces questions économiques à la Chambre des communes et dans ses comités, ce qui rend le Parlement et la société civile encore moins pertinents dans la gouvernance.
Les Canadiens n’ont pas le contrôle de leur économie
– K.C. Adams –
Statistiques Canada rapporte que l’investissement dans la richesse sociale fixe du Canada continue de diminuer. Un nouveau rapport portant sur l’année 2020 indique que la tendance à la baisse des investissements dans la richesse sociale fixe du Canada, composée des moyens de production matériels du pays et des propriétés résidentielles et commerciales, se poursuit depuis cinq ans.
Le rapport n’explique pas les raisons de la baisse des investissements ni ce que nous pouvons faire pour changer la situation. Le silence sur cette question pourtant importante s’explique par l’absence de contrôle des Canadiens sur la valeur nouvelle et ancienne accumulée qu’ils produisent et sur la façon dont elle doit être utilisée et distribuée, et, de façon plus générale, par l’absence de contrôle sur les affaires économiques et politiques du pays. L’élite dirigeante qui exerce l’autorité économique et politique considère que l’absence de contrôle du peuple sur l’économie est naturelle et immuable. Mais le changement, le développement et le mouvement sont une loi de la nature et le passage d’une absence de contrôle à un contrôle pour et par les travailleurs changerait radicalement la situation et ouvrirait la voie à la construction du nouveau.
Stéfane Marion, économiste et stratège en chef de la Banque Nationale, écrit en référence au rapport de Statistiques Canada que les usines canadiennes fonctionnent actuellement avec le stock de capital le plus bas en 35 ans et que nous assistons à une « hémorragie du capital » au Canada[1].
Les économistes de l’oligarchie financière utilisent le mot « capital » pour décrire la richesse sociale détenue soit par le secteur privé, soit par l’État. L’« hémorragie de capital » fait référence à l’objectif impérialiste d’investir la richesse sociale pour un profit maximum partout dans le monde, ce qui, dans le cas du Canada, signifie qu’il y a plus de richesse sociale qui quitte le pays que de richesse qui y entre sous forme d’investissement étranger. Cette « saignée » de la richesse sociale inclut même les fonds de pension des Canadiens, qui investissent davantage à l’étranger qu’au Canada. L’objectif impérialiste du profit maximum, qui dicte les décisions d’investissement, signifie que le renforcement de l’économie nationale, la satisfaction des besoins et la garantie de la sécurité de la population et l’harmonisation de l’environnement social et naturel ne sont pas des facteurs pris en considération dans le choix de l’investissement de la richesse sociale.
Stéfane Marion soutient que l’analyse des chiffres publiés par Statistiques Canada indique que les nouveaux investissements dans les capacités productives privées en 2020 étaient inférieurs à la dépréciation de ces moyens de production. Il obtient cette contraction en « éliminant du rapport les investissements du secteur public dans les infrastructures » et en tenant compte uniquement des investissements du secteur privé. Ce serait apparemment la première fois qu’une contraction absolue de la capacité de production privée se produit depuis que Statistiques Canada a commencé à enregistrer les statistiques sur l’investissement.
Selon l’économiste, le déclin est encore accentué par le fait que, pour la première fois depuis 1961, année où on a commencé à enregistrer ces données, l’investissement dans l’immobilier résidentiel dépasse l’investissement dans les secteurs productifs de l’économie.
Le rapport montre que l’investissement total dans la richesse sociale fixe a augmenté de 1,3 % en 2020 après avoir augmenté de seulement 1,8 % en 2019. Globalement, cela couvre à peine l’amortissement, sans compter que la population continue de grandir. La croissance de la richesse fixe résidentielle s’explique en partie par l’investissement dans les rénovations domiciliaires pendant la pandémie et dans la construction de nouveaux logements pour accueillir les immigrants qui apportent au Canada non seulement la valeur de leurs compétences acquises mais aussi, dans de nombreux cas, une richesse accumulée.
L’auteur de l’étude considère le déclin de l’investissement dans la capacité de production comme un élément subjectif, découlant de décisions politiques, et non comme un élément objectif, découlant des conditions, du contrôle et des objectifs impérialistes. En réalité, les conditions, le contrôle et les objectifs de ceux qui possèdent et contrôlent de grandes quantités de richesse sociale dictent où ils placent la richesse sociale qu’ils contrôlent afin de générer un profit maximum. Le peuple n’est pas au courant de ces décisions et aucune considération centrée sur l’être humain n’intervient dans cette prise de décisions. La recherche du profit maximum privé des oligarques est la force motrice.
Stéfane Marion reprend un thème commun chez les économistes qui croient que la politique à l’immigration du Canada est sage et attirera bientôt 400 000 nouveaux arrivants hautement qualifiés chaque année. Ils disent pourtant que sans les investissements étrangers, le Canada ne sera pas en mesure d’exploiter ces compétences pour faire croître l’économie. « Les investisseurs étrangers sont trop importants pour être ignorés, affirme Stéfane Marion. Il est clair que nous ne nous portons pas bien quand nos propres fonds de pension nationaux préfèrent investir massivement à l’étranger plutôt qu’au Canada. » Il « est clair » que l’économiste de la Banque Nationale veut des changements de politique pour garantir un maximum de profits au Canada en utilisant des stratagèmes pour payer les riches et la déréglementation, et non des changements aux conditions économiques, sociales et politiques impérialistes.
Le récent déclin des investissements dans l’extraction minière et pétrolière canadienne a été aggravé par une baisse des investissements dans le secteur manufacturier, indique le rapport de Statistiques Canada. L’élite dirigeante déclare que ces décisions d’investissement ne sont pas du ressort du peuple, et d’ailleurs, soutient-elle, même les décisions d’investissement des oligarques sont souvent le résultat de facteurs qui échappent à leur contrôle, comme les changements climatiques et la chute précipitée du prix du pétrole, qui est passé de 107 dollars le baril de West Texas Intermediate (WTI) à l’été 2014 à 26 dollars au début de 2016. Présenter l’économie, notamment les changements de prix, comme un mystère et une affaire hors du ressort des simples mortels sont des moyens de répandre de fausses croyances idéologiques parmi les travailleurs, pour les empêcher de s’organiser et de s’engager dans des actes conscients pour prendre le contrôle de leur travail, de leur économie et de leur vie.
Stéfane Marion fait valoir que le Canada a un énorme potentiel dans des domaines comme la capture du carbone et pourrait être un bénéficiaire net de la transition vers une économie plus verte. Mais comme lui et d’autres économistes le disent, pour être un bénéficiaire net, l’investissement étranger est crucial, de même que l’investissement des Canadiens dans leur propre économie. Mais les Canadiens ne contrôlent pas leur propre économie ni leurs fonds d’investissement. Ils ne contrôlent même pas leurs propres fonds de pension et d’épargne. Comment peuvent-ils décider d’investir au Canada et de faire ce qu’ils considèrent nécessaires en fonction de leur propre objectif moderne quand ils ne contrôlent pas l’économie et les affaires politiques de leur pays ?
En fait, l’investissement étranger ne peut être considéré comme crucial que si les Canadiens acceptent comme immuable leur position d’observateurs passifs de leur destin et non de ceux qui font l’histoire. Une économie socialisée moderne de la grande production industrielle dans un pays de la taille du Canada peut générer suffisamment de nouvelle valeur par elle-même sans dépendre des investissements étrangers.
La question est de savoir comment les Canadiens peuvent prendre le contrôle de leur économie socialisée, créer de nouvelles formes sociales et politiques pour y parvenir, et commencer à faire l’histoire en leur faveur. Se lamenter sur la situation telle qu’elle se présente et qui semble échapper au contrôle du peuple, comme la baisse des investissements dans la capacité de production et la hausse ou la baisse incontrôlée des prix, ne fait rien pour ouvrir la voie. Les Canadiens doivent s’organiser et s’engager dans des actes conscients pour prendre le contrôle de leurs affaires politiques et économiques. Ce faisant, le peuple peut harmoniser le contrôle de l’économie et de ses rapports de production avec le caractère socialisé de cette économie. De là, les possibilités sont infinies pour développer l’économie dans une direction qui soit bénéfique et vise à garantir les droits et satisfaire les besoins du peuple et à humaniser l’environnement social et naturel.
Note
1. « Canada Can’t Afford to Bleed Capital Like This », Stéfane Marion, économiste et stratège en chef de la Banque Nationale, 30 novembre 2021
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