Numéro 7030 novembre 2021
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La Barbade se déclare une République
Oui, cela peut être fait!
Cérémonie de prestation de serment de la première présidente de la Barbade, Dame Sandra Mason, le 29 novembre 2021
Aujourd’hui, le 30 novembre 2021, la Barbade devient une République. La République de la Barbade a été déclarée lors d’une cérémonie qui s’est déroulée tard dans la soirée du 29 novembre à la Place des héros de la nation dans la capitale, Bridgetown, pour coïncider avec l’anniversaire de l’indépendance officielle de la Barbade de la Grande-Bretagne il y a 55 ans.
Par cette action, la Barbade est devenue la quatrième des colonies britanniques des Caraïbes à devenir une république, après la Guyane, Trinité-et-Tobago et la Dominique, qui ont déjà emprunté cette voie vers l’avenir.
Ce jour-là, la reine d’Angleterre cesse d’être le chef d’État de la Barbade; le nom « royal » sera retiré du nom des institutions et elles ne porteront plus le blason de la reine britannique; le nouveau chef d’État sera la présidente nouvellement élue, Dame Sandra Mason.
Le Parti marxiste-léniniste du Canada félicite le peuple de la Barbade pour cette réalisation dans sa longue lutte pour affirmer son droit d’être et régler ses comptes avec 400 ans d’histoire coloniale, avec la prise de l’île par les propriétaires d’esclaves anglais en 1627, l’introduction du système brutal de l’esclavage pour faire fonctionner les plantations de sucre, l’indépendance formelle il y a 55 ans et maintenant la déclaration de la République. Il reste à régler la question des dispositions constitutionnelles héritées des Britanniques lorsque l’indépendance formelle a été déclarée il y a 55 ans par un acte du Parlement britannique lui-même.
La transition
À la fin du mois de mai, le gouvernement de la Barbade a annoncé qu’il avait créé un comité consultatif de transition du statut républicain (RSTAC), a précisé son mandat et lui a donné un peu plus de quatre semaines pour produire un rapport à moyen terme et un rapport final pour la fin du mois de septembre. Ce processus était conforme aux dispositions constitutionnelles actuelles imposées à l’île par la Loi sur l’indépendance de la Barbade et l’Ordonnance sur l’indépendance de la Barbade de 1966, toutes deux adoptées par le Parlement britannique. Ces instruments juridiques représentent la base légale sur laquelle repose l’indépendance du pays. Ils renforcent le système de Westminster qui consacre un cadre politique dans lequel la dépossession et la privation de pouvoir de la majorité sont appliquées. Dans ce système, la population de descendance africaine a été réduite à l’esclavage pendant 200 ans, suivis de 100 autres années de ghettoïsation, d’appauvrissement et de marginalisation coloniale. Malgré l’obtention du suffrage universel en 1951 par la lutte du peuple pour s’investir du pouvoir de décider, la structure constitutionnelle et juridique reste celle qui a été établie pour maintenir la Barbade sous la domination des institutions financières de l’oligarchie financière et de ses institutions néolibérales et sous la tutelle des puissances étrangères, notamment les impérialistes américains et leurs alliés, ce que le mouvement populaire pour l’émancipation dans les Caraïbes et le mouvement pour les réparations contestent et défient activement.
Le professeur Sir Hilary Beckles, vice-chancelier de l’Université des Indes occidentales, historien barbadien et président de la Commission des réparations de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), a souligné que la déclaration de la République marque un moment historique pour la Barbade, les Caraïbes et toutes les sociétés postcoloniales. « C’est la fin de l’histoire de l’exploitation coloniale de l’esprit et du corps, a-t-il dit. Le peuple de cette île a lutté, non seulement pour la liberté et la justice, mais aussi pour se soustraire à la tyrannie de l’autorité impériale et coloniale. » Il a souligné que la Barbade était « l’emplacement colonial britannique de la première ‘société d’esclaves noirs’, la société la plus systématiquement violente, brutale et racialement inhumaine de la modernité. »
Entre 1627 et 1833, on estime que 600 000 Africains asservis ont été transportés de manière brutale et inhumaine à la Barbade pour être mis au travail dans les plantations de sucre et procurer de fabuleuses fortunes mal acquises pour les propriétaires anglais. Il s’agit d’une proportion non négligeable des plus de 10 millions d’êtres humains d’Afrique qui, s’ils ont survécu au voyage brutal, ont fini, entre le XVe et le XIXe siècle, battus et peinant dans les plantations.
« La Barbade, sous la domination coloniale anglaise, est devenue le laboratoire des sociétés de plantation dans les Caraïbes », a déclaré Richard Drayton, professeur d’histoire impériale et mondiale au Kings College de Londres, qui a vécu à la Barbade dans son enfance. « Elle devient le laboratoire de la société esclavagiste, qui est ensuite exportée en Jamaïque, dans les Carolines et en Géorgie par la suite. »
Écrivant dans Open Democracy, la journaliste de Barbados Today, Kareem Smith, écrit : « Beaucoup de mes compatriotes jeunes Barbadiens considèrent le 30 novembre comme le début d’un nouveau voyage national. En fait, beaucoup d’entre nous ne se contentons pas du simple signe symbolique d’avoir un chef d’État barbadien. Nous voyons la nécessité d’aller au-delà d’un ordre pluriséculaire qui a investi un pouvoir énorme dans un concept de souveraineté héréditaire qui n’a jamais été compatible avec notre identité. En tant que souverain, le monarque britannique possède tous les terrains, bâtiments, équipements, sociétés d’État; il possède les droits d’auteur sur les publications gouvernementales et emploie tout le personnel gouvernemental. »
Lalu Hanuman, du Mouvement du 13 juin 1980, écrit : « Beaucoup de gens ne réalisent pas les liens entre la famille royale et l’esclavage. Leurs mains y sont mêlées. Et une part importante de leur richesse en est issue. Le palais de Kensington a été directement construit à partir de la traite des esclaves par le roi Guillaume III. Avant cela, Elizabeth I a accordé une charte royale à Sir John Hawkins et lui a fourni des navires pour la traite d’esclaves. Elle lui a également donné ses propres armoiries, qui représentaient un Africain enchaîné. » Un navire anglais a revendiqué la Barbade pour le roi Jacques Ier en 1625.
« Nous, Barbadiens, exigeons des réparations de la famille royale. » |
Aujourd’hui, 55 ans jour pour jour après la déclaration d’indépendance de la Barbade, son peuple a finalement destitué la reine Elizabeth II de son poste de chef d’État et proclamé la Barbade république. Des manifestations ont accueilli le prince Charles à son arrivée à la Barbade le 29 novembre et les manifestants ont exigé des excuses et des réparations de la part de la famille royale et du gouvernement du « Royaume-Uni ». Les réparations dues se chiffrent en centaines de millions de livres. La lutte des peuples de la Barbade, des Caraïbes, des États-Unis et de toute l’Afrique et de l’Asie pour obtenir réparation des torts causés par l’esclavage prend un nouvel élan.
Les Canadiens ont beaucoup à apprendre de la lutte du peuple de la Barbade pour son émancipation et la réalisation de sa République. Mais surtout, cela montre que cela peut se faire ! Une ancienne colonie britannique peut non seulement obtenir l’indépendance, mais aussi briser les limites de la loi du Parlement britannique. Celui-ci impose les arrangements constitutionnels supervisés et maintenus en vigueur par la personne incorporée qu’est le monarque, assis sur le trône anglais, comme chef d’État. Bien que l’héritier dégénéré du Trône d’Angleterre ait été présent lors des cérémonies de proclamation de la nouvelle République de la Barbade, cette déclaration arrive à point nommé. Le peuple de la Barbade n’aura pas à subir les contraintes qu’entraîne l’acte de succession médiéval anglais de remplacer le monarque actuel par un autre lorsqu’il mourra, comme si c’était ce que voulaient ses « sujets ». Cela montre que vaines sont les tentatives de la classe dirigeante qui déclare aux Canadiens et aux Québécois que ce n’est que dans le cadre des « anciennes » institutions britanniques et des arrangements constitutionnels, avec la permission du monarque assis sur le Trône anglais, que de nouveaux arrangements peuvent être mis en place sur la base de prérogatives intéressées.
Un chef d’État élu, c’est possible ! Cela peut être fait ! Cela doit être fait ! Que le peuple décide et constitue le Canada sur des bases modernes, comme il l’entend !
La traite des esclaves et le sucre
Kareem Smith, journaliste à Barbados Today, écrit : « La plupart des Barbadiens âgés de 18 à 35 ans connaissent les principaux détails de la traite transatlantique des esclaves. Nos ancêtres ont peiné après avoir été enlevés de leurs foyers d’Afrique de l’Ouest, dépouillés de leur dignité et forcés de travailler dans des plantations de sucre dans des conditions épouvantables en tant que propriété de la bourgeoisie britannique.
« Cette forme barbare et brutale de trafic d’êtres humains, de meurtre, de torture et de viol a fait des auteurs de ces crimes odieux des hommes riches. Ils ont amassé d’énormes fortunes, qui ont jeté les bases d’une richesse multigénérationnelle. Les jeunes Barbadiens savent maintenant qu’avec le temps, ces fortunes mal acquises ont été considérées comme si glorieuses par les esclavagistes que l’île était communément appelée « Petite Angleterre » et considérée comme un modèle quasi parfait pour le commerce.
La statue de l’émancipation à Bridgetown, Barbade, symbolisant la rupture des chaînes de l’esclavage au moment de l’émancipation |
« Ce n’était que le début d’une période d’atrocités inavouées, qui a duré plus de 300 ans. Elle s’est poursuivie bien au-delà de l’abolition de la traite transatlantique en 1807 et de l’abolition officielle de l’esclavage par les assemblées coloniales des Caraïbes en 1838.
« La traite des esclaves était, bien entendu, approuvée par la famille royale britannique. Avec d’autres riches familles de Grande-Bretagne, la royauté anglaise a joué son rôle dans cette forme la plus méprisable de capitalisme. Le Barbadian, un journal de Bridgetown publié de 1822 à 1861, rapporte une proclamation du roi George IV datant de 1824, affirmant que la « population d’esclaves… ne méritera pas notre protection si elle ne parvient pas à se soumettre entièrement aux lois et à obéir consciencieusement à ses maîtres ».
« Le sous-développement et la dépendance sont l’héritage de l’esclavage. Cette dépendance était si profondément assise que, lorsque la Grande-Bretagne, réagissant à la chute du rendement de son projet colonial, a fait ‘cadeau’ de l’indépendance, la Barbade a été contrainte d’accepter le monarque britannique comme chef d’État. Nous avons également hérité du système de gouvernance de type Westminster, du Conseil privé britannique comme cour d’appel finale et de nombreuses lois anciennes, dont la criminalisation des relations homosexuelles.
« Après avoir obtenu son indépendance, la Barbade a créé des systèmes susceptibles de contribuer à élever le citoyen noir moyen, qui descendait invariablement d’ancêtres esclaves. Tous ont eu accès à l’éducation, aux soins de santé et à des repas à l’école gratuits. Un régime de sécurité sociale a été mis en place sous le premier premier ministre, Errol Barrow.
« Malgré cela, la Barbade a conservé une certaine admiration pour la famille royale britannique dans les années qui ont immédiatement suivi l’indépendance. Cette admiration a aujourd’hui diminué, à mesure que les jeunes Barbadiens découvrent leur histoire et celle des Antilles. En fait, beaucoup ont même remis en question la décision de la première ministre Mia Mottley d’inviter le prince Charles comme invité d’honneur aux célébrations de notre république. Un jeune avocat a gazouillé : Est-ce qu’il vient avec des réparations ?
« Ce que représente la famille royale britannique est au premier plan dans l’esprit des jeunes de la Barbade lorsqu’ils pensent à une véritable autodétermination. Cinquante ans après l’indépendance, une classe de Barbadiens plus éduqués et plus conscients est capable d’identifier les déficiences flagrantes d’une société qui a subi 400 ans d’oppression.
« Il est largement admis que le moment est venu d’entamer un processus de réforme sociale plus profond, d’écrire une nouvelle constitution et de consacrer un système de gouvernance et un ordre social qui reflètent ce que nous sommes en tant que peuple et qui répondent aux luttes historiques qui nous définissent.
« C’est pourquoi le plan en dix points présenté par la Commission des réparations de la CARICOM a du sens. Il propose un « chemin vers la réconciliation, la vérité et la justice » pour les victimes de la traite des esclaves, en commençant par des excuses complètes et officielles de la part des différents gouvernements européens. Il propose également des plans de réhabilitation psychologique, d’annulation de la dette, d’éradication de l’analphabétisme et de transfert de technologie des anciens maîtres esclavagistes des Caraïbes. »
(Traduction : LR)
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