
Numéro 6522 novembre 2021
Ouverture du 44e Parlement
Un moment charnière pour le Canada:
une épreuve de force
– Anna Di Carlo –
Aujourd’hui, la 44e législature s’ouvre avec des cérémonies et l’élection du président de la Chambre. Les activités de la semaine se poursuivront ensuite avec le discours du Trône le 23 novembre, le discours du parti au pouvoir, les discours des partis de l’opposition, puis les comptes rendus des médias sur le contenu du discours du Trône et sur ce qu’il signale pour le Canada et les Canadiens.
Le Parlement est convoqué 63 jours après l’élection du gouvernement minoritaire de Justin Trudeau. Pendant ces 63 jours, son Conseil des ministres, le 29e de l’histoire du Canada[1], a signé des accords internationaux de toutes sortes avec des intérêts privés dans le dos des Canadiens. Il dit agir en fonction de l’ordre international fondé sur des règles, un processus décisionnel qui foule aux pieds la règle de droit internationale établie par la Charte des Nations unies. Au Canada, il invoque l’État de droit pour justifier l’injustifiable : il l’invoque entre autres pour faire appel des jugements du Tribunal canadien des droits de la personne sur l’indemnisation des victimes d’enlèvement d’enfants autochtones par le système de protection de l’enfance et pour sanctionner les attaques brutales de la GRC contre les défenseurs de la terre wet’suwet’en.
Selon le premier ministre, le Canada est à un moment charnière, « peut-être le plus important depuis 1945 et certainement de notre vivant ».
C’est tout à fait vrai, sauf que cette déclaration a une signification très différente pour les Canadiens.
Il ne s’agit pas d’un conflit de croyances — entre gauche, droite et, pour citer le premier ministre, les modérés, le centre. En fait, tout indique que Justin Trudeau est un extrémiste, un partisan fanatique des intérêts néolibéraux privés étroits qui sont favorisés par l’intégration du Canada à la machine de guerre des États-Unis.
Non, le conflit est entre les Conditions et l’Autorité. Les Conditions nous disent que le système établi au milieu du XIXe siècle et consolidé après la Deuxième Guerre mondiale impose un régime raciste, misogyne et antiouvrier. Ce pouvoir autoritaire et intéressé prétend agir au nom de la paix, de la démocratie, de la justice et de la prospérité, en dépit de la réalité vécue par les gens de tous horizons. Ses ministres, ses députés et ses agences prêtent allégeance à une monarchie si dégénérée, brigande et corrompue que sa prétention d’être au-dessus de la politique et symbole de l’unité nationale ne peut plus tenir malgré tout l’encre, toute la désinformation et tout l’argent consacrés. Ce régime est aux prises avec une crise de crédibilité et de légitimité si profonde que toute organisation non gouvernementale de la société civile qui ne fait pas preuve d’allégeance à démocratie représentée par la « Couronne » — c’est-à-dire à l’État et à toute politique qu’il juge bon d’imposer au peuple — est désormais considérée comme un ennemi de l’État et criminalisée.
Ce conflit entre les Conditions et l’Autorité est un problème posé et à résoudre pour le corps politique, qui a la responsabilité et le désir de le résoudre d’une manière qui favorise le peuple et ouvre la voie au progrès. Mais ce n’est pas le cas de Justin Trudeau, de son gouvernement minoritaire et des partis du cartel qui siègent à la Chambre des communes. Quand le premier ministre dit que c’est un moment charnière, prenez garde car c’est davantage une menace qu’une observation.
Justin Trudeau ne se soucie pas le moins du monde du préjudice extrême qu’il cause au Canada, aux Canadiens et à l’humanité entière en s’engageant sur cette voie.
Voici ce qu’il a déclaré :
« Les décisions que prend votre gouvernement maintenant vont définir l’avenir dans lequel vos enfants et vos petits enfants vont grandir. On vit un moment historique et vous avez votre mot à dire. Vous aurez l’occasion de choisir la suite pour notre pays. »
Quelle occasion les Canadiens ont-ils de choisir ? Où et quand ont-ils leur mot à dire ? En l’absence d’une telle possibilité, il ne reste que la menace froide : ou bien vous faites ce que demande l’intérêt néolibéral étroit, ou bien vous aurez affaire à moi !
Or, ces questions sont pertinentes et réelles et exigent des réponses pertinentes et réelles. Le gouvernement libéral ne permet même pas au Parlement de délibérer sur les sujets de l’heure. C’est le même Justin Trudeau qui, en 2017, a refusé de passer à la mise en oeuvre d’une réforme électorale promise en disant que toute forme de représentation proportionnelle serait une menace à la démocratie canadienne dans la mesure où elle risquerait « d’augmenter les voix individuelles » et donc « d’augmenter les voix extrémistes et les voix activistes qui ne peuvent exister au sein d’un parti qui doit élaborer ce qui convient le mieux à l’avenir du pays dans son ensemble, comme le font les trois partis existants ». Il s’est acquis la réputation de celui qui envoie à la guillotine quiconque n’est pas d’accord avec lui : il bannit allègrement des membres de son cabinet, de son Conseil des ministres et de son caucus qui n’acceptent pas d’être complices de corruption ou qui s’objectent par conflit d’intérêt.
Le gouvernement Trudeau a déclaré son intention de faire adopter une loi contre la haine. Il croit pouvoir convaincre le monde entier que ce qu’il voit de ses propres yeux n’existe pas : que Facebook et Twitter et d’autres ont été pris en flagrant délit à faciliter l’incitation à des campagnes très dommageables de haine et d’hystérie de groupes de droite et à encourager eux-mêmes des pratiques dangereuses pour les jeunes par la création de faux comptes, de bots et d’autres pratiques tout simplement parce que cela est rentable. Justin Trudeau ne manque jamais l’occasion de blâmer les gens ordinaires pour le racisme, le fanatisme et la haine. Le premier ministre Justin Trudeau a d’ailleurs commencé à sonner l’alarme à propos de l’« extrémisme ». S’exprimant récemment lors du Forum international sur la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme en Suède, il a accusé « les organisations de groupes extrémistes d’extrême droite et d’extrême gauche » de promouvoir la suprématie blanche, l’intolérance, la radicalisation, la haine, la peur et la méfiance, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières, et a dénoncé la montée de l’intolérance « dans nos élections, dans notre discours public et dans les communications courantes, sans parler des médias sociaux ».
Le premier ministre a refusé de préciser à quels groupes il faisait référence, mais sont cabinet a fait savoir depuis qu’il maintenait ses propos.
Il n’est sans doute pas fortuit que ces remarques aient été prononcées dans un forum traitant de l’antisémitisme, quand on sait que le Parti libéral, comme tous les autres partis au Parlement d’ailleurs, a assimilé l’opposition aux crimes de l’occupation israélienne et le soutien aux droits des Palestiniens à l’antisémitisme et à la « haine ».
Justin Trudeau a répété les mêmes accusations contre l’extrémisme de droite et de gauche lors d’une conférence de presse en Hollande, à la veille de la COP26. Ce n’était pas non plus fortuit : c’était un autre message de menace, cette fois-ci adressé à ceux qui résistent à la destruction de la terre, pour leur dire qu’eux non plus n’échapperont pas à la lutte « contre la haine » de l’État canadien. L’assaut de la GRC contre les Wet’suwet’en dont nous sommes témoins aujourd’hui est l’application de cette menace.
Un autre objectif du gouvernement canadien en rapport avec cette assimilation que Justin Trudeau fait des groupes dits d’extrême droite et d’extrême gauche, est ce qu’il appelle « contrer la radicalisation vers la violence ». Au début de novembre, le ministre de la Sécurité publique a invité les organisations intéressées à présenter une demande de financement dans le cadre de son Fonds pour la résilience communautaire qui, depuis sa création en 2016, a financé 47 projets à cette fin. Ce fonds s’inscrit dans le cadre d’une initiative visant prétendument à « mieux comprendre et combattre l’extrémisme violent dans le contexte canadien ».
Le gouvernement finance entre autres le Centre canadien d’engagement communautaire et de prévention de la violence, qui a notamment pour mission de « surveiller l’extrémisme violent motivé par une idéologie ». Il collabore également à un projet avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (le réseau d’espionnage appelé « Groupe des cinq ») dans lequel le rôle du Canada est de s’intéresser à « l’impact de l’exposition à la haine dans les médias traditionnels et sociaux sur les individus, les publics et les communautés » et à « la façon de définir et de mesurer la haine ».
Cette gouvernance par décret, par opposition au pouvoir décisionnel du Parlement, a été illustrée par deux événements qui ont eu lieu simultanément le 18 novembre. À Ottawa, la directrice des communications du Bureau du président de la Chambre des communes a tenu une séance d’information technique pour la Tribune de la presse Parlementaire pour donner un aperçu des premiers jours du Parlement. Parmi les sujets abordés figurait « le site Web amélioré de LEGISinfo », où le public peut obtenir des informations sur les projets de loi déposés au Parlement. Les journalistes parlementaires sont restés muets sur cette initiative et n’ont rien expliqué.
Ils étaient sans doute trop occupés à couvrir la réunion des « Trois Amigos » à Washington ce jour-là, à laquelle participaient le premier ministre Justin Trudeau, le président américain Joe Biden, le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador et leurs cohortes ministérielles, réunis à huis clos pour conclure des accords sur la poursuite de l’intégration à l’Amérique du Nord des monopoles.
À la veille de cette réunion, la Presse canadienne a rapporté que Trudeau avait l’intention « de faire valoir l’abondance de minéraux critiques du Canada et que la circulation fluide des marchandises à travers les frontières est dans l’intérêt des trois pays ». La Presse Canadienne n’a pas précisé où cette décision avait été prise[2].
Ces décisions prises par le biais d’instances supranationales deviennent une des caractéristiques principales de ce 29e Conseil des ministres du Canada sous la direction de Justin Trudeau. Les partis du cartel et les députés, gérés par leurs whips, semblent s’être mis d’accord pour remplir les journées de la Chambre des communes avec des querelles partisanes, déterrant des scandales et parlant de tout sauf des questions qui se posent réellement pour le corps politique : Qui décide et quels intérêts sont servis ?
Le choix du mot « whip » (qui veut dire fouet) est aussi malheureux qu’il est révélateur du processus parlementaire, surtout dans le contexte où le premier ministre insiste pour dire que les Canadiens peuvent avoir leur mot à dire[3].
Les querelles, les ragots et les scandales facilités par les médias officiels comblent le vide lorsqu’il n’y a pas de politique. Ils détournent l’attention du fait que les questions qui préoccupent le corps politique sont transformées en problèmes de loi et ordre et décidées à son insu et contre ses intérêts.
Alignés derrière l’ordre du jour néolibéral et écartés du processus décisionnel par l’abandon de toute redevabilité devant le parlement national, les députés sont réduits à l’insignifiance et ils ne devraient pas l’accepter. Les « nouvelles » sur les affaires parlementaires font maintenant une distinction entre les propos des députés au Parlement et ceux des « initiés » des partis du cartel qui, « sous couvert d’anonymat », interviennent sur tous les sujets. Cela comprend les querelles et les rébellions internes des partis, la possibilité d’une alliance officielle entre le NPD et les libéraux et le prétendu parti pris du greffier de la Chambre des communes en faveur du Parti libéral. Tout cela est présenté comme un fil d’actualités à la manière de Facebook. Cela n’apporte aucun honneur à ceux qui mènent la barque ou à ses passagers.
Le ministre libéral des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, s’est joint à la mêlée en promettant d’enquêter sur son propre gouvernement car il dit ne pas « comprendre » pourquoi « Ottawa » a renoncé à faire appel d’une décision qui libérait l’Église catholique de ses obligations de règlement envers les survivants des pensionnats. C’est une situation grave et pleine de dangers qui montre que le Canada se trouve effectivement à un moment charnière. Les Canadiens sont déjà entrés dans une épreuve de force avec la classe dirigeante néolibérale, son gouvernement, son système de partis de cartel, sa gouvernance par décret et ses injustices.
Le Parti marxiste-léniniste du Canada (PMLC) appelle les travailleurs canadiens à prendre les devants et à diriger le peuple, y compris des députés au Parlement, à se montrer à la hauteur de la situation en abordant et en défendant les préoccupations du peuple et en disant NON à la dangereuse direction dans laquelle les libéraux mènent le pays aujourd’hui.
Notes
1. Un ministère désigne la période durant laquelle un premier ministre est au pouvoir. Les ministères se font assigner un numéro non pas en fonction des élections mais en fonction des premiers ministres. Il s’agit donc du 29e ministère et du troisième mandat du gouvernement Trudeau.
2. Voir « L’approvisionnement de l’économie de guerre des États-Unis en minéraux critiques », LML du 13 novembre 2021
3. Selon Larousse, – anglais whip, fouet, par allusion au piqueur qui fouette les chiens.
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