
Numéro 4820 octobre 2021
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Projet de loi 96 sur le français comme langue officielle
et commune du Québec
La langue fait partie intégrante du droit d’être
Les passions sont attisées sur le projet de loi 96 du gouvernement du Québec, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. On incite à la division entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre ce projet de loi qui sera rappelé à la nouvelle session de l’Assemblée nationale inaugurée le 19 octobre.
Tout ce discours est irrespectueux des Québécois qui sont directement touchés par les lois adoptées par l’Assemblée nationale et aussi irrespectueux des gens qui ailleurs au Canada sont préoccupés par la nécessité de faire respecter les droits de tous et qui sont incités à s’opposer au Québec sur la question de la langue. Pendant ce temps, tout le monde est tenu dans l’ignorance sur la façon dont se pose la question de la langue en général et au Québec et au Canada en particulier.
La question de la langue est intimement liée au droit d’être. La langue est bien plus que des mots désignant des objets. Elle communique toute la matière intellectuelle d’un peuple transmis à travers les âges. Elle fait partie intégrante de la capacité d’un peuple à exprimer son être. En fait, la parole, qui requiert la langue, est un droit humain fondamental parce qu’elle est le principal instrument de communication qui exprime l’identité de l’être humain.
Des études menées au fil des ans ont montré que l’enfant qui apprend à parler dans sa langue maternelle est renforcé dans son identité. Lorsqu’il est privé de sa langue maternelle ou contraint de se soumettre à des langues et des cultures dites supérieures, son droit d’être est gravement affecté.
C’est ce qui se passe au Canada, où les peuples autochtones ne sont pas reconnus et où plus de la moitié de la population ne vit ici que depuis la Deuxième Guerre mondiale sans que l’anglais ni le français ne soit la langue maternelle. Le Canada applique la politique anglo-canadienne du multiculturalisme, une forme d’assimilation, tandis que le Québec suit la politique française d’intégration qui est aussi une forme d’assimilation. Les cultures et langues anglaises et françaises ont été déclarées officielles au Canada par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau lorsqu’il a fait adopter la politique du bilinguisme et du biculturalisme.
À ce moment-là, les langues et les cultures autochtones étaient interdites par la loi. Des enfants autochtones étaient enlevés et envoyés dans des pensionnats où ils n’étaient pas autorisés à parler leurs langues ou à pratiquer leurs modes de vie ou leurs croyances, l’objectif étant de les assimiler à la culture et au mode de vie de leurs colonisateurs. L’expérience des peuples autochtones prouve amplement que la politique de génocide culturel a eu pour conséquence que nombre de leurs langues ont disparu ou ont dû fusionner avec d’autres langues tout en restant menacées d’extinction. En même temps, les langues et les cultures qui appartiennent à tous ceux dont la langue maternelle et la culture ne sont ni « anglaises » ni « françaises » sont reléguées à un statut inférieur. Les cultures des minorités nationales, comme c’est aussi le cas des cultures autochtones, sont reconnues principalement comme simples éléments folkloriques.
En outre, ce qu’on appelle « culture » est en fait constitué de la culture impérialiste anglo-américaine et des institutions démocratiques libérales anachroniques.
Dans ce contexte, la façon de voir les problèmes liés à la langue et à la culture doit être rénovée pour répondre aux besoins de l’époque. Aujourd’hui, aucun problème ne peut être résolu sans que ce soit le peuple lui-même qui définisse son droit d’être et la façon de l’exprimer, de manière à ce que les lois, les politiques et la constitution du Canada correspondent aux conditions du XXIe siècle. Ce qu’on appelle les institutions démocratiques libérales, qui ne représentent pas en fait le peuple, sont ancrées dans le passé et incapables d’en sortir. Elles imposent des arrangements fondés sur une autorité qui se heurte aux conditions et elles créent un conflit entre les soi-disant interprétations françaises ou anglaises des lois, entre le fédéral et le Québec, entre les provinces et le Québec. La nation du Québec n’est pas reconnue. On lui attribue par condescendance le statut de « société distincte », pas le droit d’être basé sur la nation.
Ce n’est qu’en plaçant le droit d’être des peuples au centre de toutes les politiques, lois et considérations que la solidarité sociale peut être renforcée. En effet, lorsque le peuple lui-même participe à l’élaboration de conclusions partant des faits, de la somme des expériences et du besoin de défendre les droits de toutes et tous, il défend ce qui est juste pour lui. Les croyances sont une affaire de conscience personnelle. Une société moderne ne fonde pas ses lois sur des croyances mais sur des réalités et des besoins tels que définis par le peuple lui-même.
Pourquoi il est important pour le Québec de voir à la pérennité de la langue française
Le Québec accorde beaucoup d’attention à la pérennité de la langue française car elle subit une pression constante de céder la place à l’anglais. Mais il le fait sur la base de considérations qui ne consacrent pas ce que le peuple pense, ce qu’il veut et ce dont il a besoin, car ce n’est pas le peuple mais les gouvernements de partis qui en délibèrent, et ils le font sur la base de critères qui ne sont pas discutés. Néanmoins, on ne peut ignorer que si l’on n’y prend garde au Québec, le vocabulaire, les expressions et le jargon anglais prennent facilement le dessus. La viabilité de la langue française, sa capacité à vivre, à croître et à se développer doit être vue dans le contexte de la domination des médias américains et de l’usage prédominant de l’anglais dans la vie quotidienne. Ceci, à son tour, affecte profondément la culture des personnes et leur être même.
Le Québec n’a pas une population aussi importante que la France, qui peut se permettre de laisser des mots étrangers se glisser dans l’usage courant sans craindre des pertes irréparables. En France, les panneaux d’arrêt indiquent « Stop ». Au Québec, ils disent « Arrêt ». En France, on utilise le mot anglais « email » alors qu’au Québec on utilise « courriel ». Le Québec possède un office dont la mission est de préserver la langue française pour, entre autres, s’assurer qu’il existe un vocabulaire en français québécois pour les mots liés aux technologies ou aux usages modernes. Malheureusement, cet office est soumis à des coupures comme tant d’autres institutions qui sont la cible de l’offensive antisociale, alors qu’il devrait plutôt être renforcé pour voir au développement d’une langue moderne qui incorpore l’expérience réelle d’un peuple distinct dont la composition est du présent et non du passé.
Il est malheureux que les gouvernements subséquents du Québec ne puissent pas se montrer à la hauteur de la tâche et défendre la langue française en défendant et en respectant les langues et les droits de toutes et tous au Québec, ce qui encouragerait la solidarité sociale et aiderait à définir une personnalité québécoise moderne sans pareil dans le monde. Au lieu de cela, la langue devient un sujet de division, des lois sont adoptées qui criminalisent ceux qui n’obéissent pas aux règles sur l’affichage et autres et, en fin de compte, c’est le cosmopolitisme favorisé par la mondialisation néolibérale antisociale qui prend le dessus.
Souvent, la question des droits linguistiques au Québec est liée à ce qu’on appelle les valeurs québécoises de manière à diviser les Québécois en « vrais Québécois » et « les autres ». Alors que le Québec favorise l’immigration en provenance de pays dits francophones, comme Haïti, l’Algérie, le Liban, le Maroc, le Sénégal, la Tunisie, le Gabon et plusieurs autres pays africains, il ne reconnaît jamais la réalité que pour les peuples de ces pays, le français est la langue imposée par les colonialistes, tout comme le français et l’anglais ont été imposés aux nations autochtones au Québec et dans le reste du Canada, et qu’ils ont eux aussi été privés de leur droit d’être et forcés de se soumettre à ce qui est considéré comme des langues et des cultures supérieures. Le fait que les immigrants de ces pays connaissent le français lorsqu’ils arrivent au Québec peut sans doute favoriser le maintien de la langue française, mais avec la promotion de ce qu’on appelle les valeurs québécoises, cet avantage ne les met pas du tout à l’abri des pouvoirs de police qui sont de plus en plus invoqués pour imposer des règles et des lois que les gouvernements adoptent au nom de grands idéaux, comme la laïcité et les droits des femmes.
Le Québec lui-même a émergé comme une nation forgée par les fils et les filles de ceux qui ont été amenés sur ces rivages à la suite de la conquête coloniale et ont bénéficié de l’accueil des peuples autochtones. Les habitants étaient soumis à la menace constante d’excommunication par une hiérarchie catholique ultra-réactionnaire qui tenait le peuple dans une emprise serrée. La Couronne anglaise a remplacé la Couronne française et a maintenu la hiérarchie catholique réactionnaire en place pour maintenir le peuple sous son emprise. La Couronne anglaise a également permis aux personnes de langue maternelle française de conserver leur langue à condition qu’elles prêtent allégeance au monarque anglais et à leurs institutions. La réalité est que les élites dirigeantes ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher la nation québécoise naissante d’établir sa propre identité sur une base moderne, tout comme elles l’ont fait pour le Canada, tout en niant les droits ancestraux et le droit d’être des nations autochtones.
Le fait est que le peuple a toujours combattu les autorités réactionnaires, indépendamment de la langue et de l’origine nationale et ethnique. Le peuple québécois a renversé la mainmise et l’oppression de la hiérarchie de l’Église catholique qui imposait un asservissement intolérable, depuis la dépravation sexuelle dans les écoles, les orphelinats, les hôpitaux et les asiles gérés par l’Église, jusqu’aux menaces d’excommunication pour les femmes qui refusaient d’avoir d’autres enfants et au châtiment de ceux qui lisaient des livres interdits liés aux périodes de la renaissance et des lumières. C’est en combattant cette oppression que les Québécois ont toujours pris la place qui leur revient lorsqu’il s’agit de défendre les droits des travailleurs et des femmes. Aujourd’hui encore, leurs expressions de solidarité sociale ouvrent la voie. De même, les tentatives des élites dirigeantes, tant du Québec que du Canada, de briser l’unité du peuple en dénigrant le Québec et en suscitant les passions sur la base de la désinformation sur la langue et les valeurs, mènent à un retour en arrière.
Les gouvernements qui se succèdent tant au niveau fédéral qu’au Québec utilisent la langue et les valeurs non pas pour unir le peuple pour se bâtir un brillant avenir, mais pour le diviser. Les pouvoirs de police et la clause dérogatoire prévue dans une Constitution que le Québec n’a jamais même signée sont utilisés pour faire respecter ce qu’on appelle les droits de la langue française et les « valeurs québécoises » d’une manière tout à fait inacceptable.
Ceux qui réduisent l’identité aux valeurs néolibérales ou à la langue au nom du progrès, dépeignent également les Québécois comme xénophobes, racistes et nationalistes étroits. Ces épithètes s’appliquent plutôt à ceux qui tentent de semer des divisions au sein de la population pour servir des intérêts privés étroits.
C’est rendre un bien mauvais service au peuple que d’emprisonner la préservation du français dans les confins du passé. De même, ceux qui disent s’opposer à ce qu’ils appellent l’approche nationaliste étroite et qui défendent les politiques multiculturelles défendues par les institutions démocratiques libérales fédérales du XIXe siècle rendent également un bien mauvais service au peuple. Ils colportent le cosmopolitisme néolibéral au nom des valeurs progressistes. Il n’est pas possible de défendre les droits sur cette base. Les deux côtés ont tort.
Le projet de réforme de la loi sur la langue divise et c’est pourquoi il est urgent que tous, et surtout les jeunes, s’informent sur l’histoire et le fond du problème. Ils doivent se battre pour un Québec moderne dont l’identité est définie par le peuple dans les conditions d’aujourd’hui, et non par ceux qui désinforment le corps politique en propageant de fausses croyances idéologiques et de la propagande.
Comme le dit la chanson des Jeunes du Québec pour le renouveau démocratique Nous sommes ce Québec Nouveau :
Une société nouvelle
Qui reconnaît nos droits
Une société nouvelle
Bâtie pour l’être humain
Le passé de divisions
Nous le rejetons
Notre Québec reconnaîtra
Toutes les langues et les cultures
C’est seulement de cette façon-là
Que le français fleurira
Nous les jeunes du Québec
Nous sommes ce Québec nouveau
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