Numéro 417 octobre 2021
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Le financement d’État basé sur la «performance électorale»
Le processus électoral qui finance les partis et les candidats encourage l’inégalité, le pouvoir et le privilège
Maintenant que les résultats de l’élection fédérale de 2021 ont été validés et certifiés dans toutes les circonscriptions sauf trois où des recomptages sont en cours, la Loi électorale du Canada exige que le directeur général des élections commence immédiatement à rembourser certains candidats pour leurs dépenses électorales. Seuls les candidats qui ont obtenu au moins 10 % des votes exprimés sont admissibles.
Sur les 2 010 candidats inscrits à l’élection, seuls 997 ont droit à un remboursement de leurs dépenses électorales : 317 conservateurs; 314 libéraux; 261 néodémocrates; 72 bloquistes; 25 du Parti populaire; 6 verts et 2 indépendants. Aucun des candidats des petits partis n’y a droit.
Indépendamment de ce que les candidats admissibles ont réellement dépensé, une fois le décompte des voix certifié, des chèques d’un montant correspondant à 15 % de la limite de dépenses pour la circonscription sont émis à l’intention de chacun. Les fonds publics couvrent 60 % de leurs dépenses de campagne et 90 % de leurs dépenses personnelles, ces dernières n’étant pas soumises au plafond sur les dépenses électorales.
Le plafond moyen sur les dépenses électorales pour l’élection de 2021 était d’un peu plus de 116 000 $, le plus bas étant à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard, avec 88 991 $, et le plus élevé, à 152 723,52 $, dans la circonscription de Kootenay-Columbia, en Colombie-Britannique. Le versement initial moyen est de 17 500 $. La différence entre le versement initial et ce qui est réellement dû au candidat est réglée lorsque les candidats produisent leurs rapports de dépenses électorales.
Les chiffres sur les remboursements des dépenses des candidats pour l’élection fédérale d’octobre 2019 n’ont pas encore été publiés. Selon les chiffres de 2015, sur les 1 792 candidats à l’élection générale, un total de 983, soit 55 % d’entre eux, répondaient aux critères d’admissibilité au remboursement. Collectivement, ils ont reçu 42,7 millions de dollars; 337 candidats libéraux ont reçu au total 14,1 millions de dollars; 308 conservateurs ont reçu 16,7 millions de dollars; 260 candidats du NPD ont reçu 9,4 millions de dollars; 65 candidats du Bloc québécois ont reçu 1,4 million de dollars; 9 candidats du Parti vert admissibles ont reçu 773 165 $. Trois indépendants ont reçu un montant combiné de 102 833 $.
Les candidats indépendants et ceux des petits partis dont les opinions politiques sont blacklistées par les médias monopolisés, qui décident qui a et qui n’a pas le droit d’être entendu, sont rarement en mesure d’atteindre le seuil de votes requis pour être admissibles à la subvention.
Le lien entre le financement des élections et la « performance » des candidats et des partis est un des moyens par lesquels les partis du cartel qui dictent la loi électorale exercent leurs privilèges et leur pouvoir. Cela n’a rien à voir avec l’utilisation des fonds publics pour garantir l’égalité des candidats et le droit de tous les électeurs à un vote éclairé.
Les peuples autochtones défendent leurs droits ancestraux
Les pêcheurs micmacs informent le gouvernement Trudeau qu’ils continueront d’affirmer leurs droits
Le lendemain de l’élection du 20 septembre, une cinquantaine de pêcheurs micmacs et leurs supporteurs ont tenu un rassemblement devant le siège social du ministère des Pêches et des Océans (MPO) à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, pour affirmer leurs droits de pêche ancestraux et issus de traités et signifier au gouvernement qu’ils continueront de défendre vigoureusement ces droits.
En août dernier, neuf bateaux de pêche micmacs ont vu leurs lignes coupées. Le MPO et la police ont harcelé et tenté d’intimider les pêcheurs. Non seulement le chef Mike Sack de la Première Nation micmaque de Sipekne’katik, l’un des principaux porte-parole de cette lutte, a-t-il été arrêté, mais les médias rapportent qu’un garçon de 14 ans a été menotté lorsque des agents du MPO sont montés à bord du bateau.
Un des orateurs au rassemblement était Matthew Cope, un pêcheur de la Première Nation de Millbrook qui fait face à des accusations pour avoir pêché hors saison et vendu ses prises. Il a dénoncé les tactiques du gouvernement Trudeau et du MPO. « C’est insultant que je doive même comparaître devant un juge, a-t-il dit. On nous vilipende et on nous criminalise pour avoir fait quelque chose que nos traités nous permettent de faire. Nous avons respecté notre part de ces traités, mais les gouvernements canadiens n’ont pas respecté la leur. » Il a ajouté : « J’ai hâte d’être devant la Cour suprême du Canada, il va y avoir des flammèches. Et je veux une compensation pour chaque jour où mes casiers sont hors de l’eau. »
Melanie Peter-Paul, de la Première Nation de Sipekne’katik, a fait remarquer : « Un premier ministre récemment réélu, Justin Trudeau, affirme qu’il n’y a pas de relation plus importante pour le Canada que celle avec les peuples autochtones. Pourtant, les Micmacs de la Nouvelle-Écosse se battent encore une fois pour leur droit de pêcher. Vendredi dernier, le 17 septembre, cela faisait 22 ans que le jugement Marshall avait été rendu, 22 ans que la Cour suprême avait confirmé le droit de pêche des Micmacs issu d’un traité. Pourtant, cet organisme gouvernemental, le MPO, étouffe tout progrès dans la réconciliation. »
Elle a rappelé que le Traité d’amitié que la Couronne a signé avec les Micmacs en 1752 « stipule que nous avons le droit de ne pas être entravés dans l’exercice de notre droit de pêche et de notre liberté de chasser et de pêcher comme d’habitude, de vendre les peaux, les plumes, la volaille ou le poisson ou tout autre produit. Cela me fait dire que l’actuel permis d’achat de poisson et les règlements d’application sont en violation directe du traité de 1752 et de la Constitution, article 35. »
Depuis qu’ils ont commencé à pratiquer la pêche de subsistance autoréglementée, en septembre 2020, les pêcheurs micmacs ont vu leurs équipements de pêche saisis par des fonctionnaires du MPO, ont été arrêtés et ont fait l’objet d’accusations. De plus, leurs efforts pour négocier pacifiquement de nation à nation avec le Canada ont été contrecarrés.
L’ancienne ministre des Pêches, Bernadette Jordan, a été défaite à l’élection générale du 20 septembre dans sa circonscription de South Shore-St. Margaret’s, en partie pour le rôle qu’elle a joué dans l’application du diktat colonial sur la nation micmaque.
Les pêcheurs micmacs ont signifié qu’ils n’avaient pas l’intention de renoncer à leur juste combat pour une pêche de subsistance modérée, pratiquée de manière durable et responsable pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs communautés.
(Avec des informations d’APTN et du Nova Scotia Advocate. Photos : NS Advocate)
Exposition des oeuvres de Mary Joyce à Edmonton
Exposition d’art sur la culture de résistance
– Un compte rendu de Marina Allemano –
Lorsque vous entrez dans la Galerie Cité à Edmonton, où est présentée
l’exposition de Mary Joyce intitulée Culture de résistance, c’est d’abord le mélange d’énergie, de dynamisme, de sensualité et de beauté qui vous frappe, comme le communique immédiatement la grande pièce de feutre rouge suspendue au plafond de 24 pieds de l’atrium.
Que signifie cet énorme carré d’une délicieuse teinte rouge rosé ? Il mesure 26 pieds de tous côtés et est suspendu comme une tente ou une voile pendant dans la tempête, les quatre coins fixés aux balustres. Bien qu’inerte, le drapé suggère le mouvement, qui est d’ailleurs un des grands motifs de l’exposition. L’artiste explique dans son texte d’accompagnement que le grand carré est inspiré du petit carré de feutre rouge d’un pouce porté par les étudiants du Québec au printemps 2012 pour protester contre la hausse des frais de scolarité et la pauvreté des étudiants, comme l’exprime le jeu de mots « carrément dans le rouge ».
La toile n’est pas à portée de main depuis le sol, mais cela oblige le visiteur à lever les yeux et à faire l’expérience de cette structure qui semble défier la gravité et qui évoque le vol et l’expansion – « la résistance est partout » – mais aussi un abri et la promesse d’une douce intimité si la tente en venait à se poser. L’idée de sécurité, de stabilité et de force est également véhiculée par le symbole des huit épingles de sûreté en laiton surdimensionnées qui fixent le tissu, qui rappellent les épingles à nourrice utilisées pour attacher les carrés rouges aux manteaux des manifestants.
En plus de la tenture rouge, trente-six peintures et gravures vous invitent à célébrer et à méditer sur la résistance en tant que comportement humain fondamental face à des lois et une gouvernance oppressives qui entravent, voire détruisent, la vie et les droits. Le motif de l’épingle de sûreté, avec sa forme en spirale caractéristique, est répété dans plusieurs des oeuvres, voilé ou distinct, fermé ou ouvert, créant des formes de composition nouvelles et attirantes.
L’artiste documente des actes de résistance spécifiques, dont beaucoup de grandes manifestations publiques et de protestations au Canada et à l’étranger. Une grande image (huile sur bois 30 x 30 po.) d’une marche dans la ville d’Alma, au Québec, se distingue : une action historique contre le lockout à l’aluminerie de Rio Tinto Alcan en mars 2012. Des figures non individualisées en forme de points au loin serpentent depuis l’usine à l’horizon jusqu’à l’avant du tableau où des visages et des figures distinctes, des familles, apparaissent comme si elles allaient sortir du cadre. Comme spectatrice, j’ai eu envie d’entrer en contact avec elles et d’entendre ce qu’elles disaient.
La documentation et le talent artistique sont inséparables dans cette exposition. En discutant avec d’autres invités du vernissage, j’ai appris que la peinture préférée de tous les temps est le grand tableau (huile sur toile 48 x 48 po.) intitulé Indian Farmers Flowers Shower, qui rend hommage à la longue lutte qui se poursuivra de 2020 à 2021. Rarement un tracteur et un camion ont-ils semblés si attrayants, et les agriculteurs protestataires plus dynamiques, que dans cette oeuvre. La palette de couleurs pastel, rappelant les couleurs des bonbons, et les pétales de fleurs flottantes contribuent à exprimer l’énergie et, une fois de plus, la composition amène les véhicules et les personnages en mouvement directement dans l’espace du spectateur. Les événements dépeints étant particuliers et historiques, il est utile de lire la capsule accompagnant les pièces pour apprécier le moment capturé : « Aux frontières de New Delhi, les agriculteurs campent depuis des mois pour protester contre le premier ministre Modi. Beaucoup sont des veuves d’agriculteurs qui n’ont pas pu résister aux misères. »
D’autres oeuvres de l’exposition sont de nature plus intimiste, par exemple la toile figurative (huile sur bois, 30 x 24 po.) intitulée For Our Daughters 1989-2008 (« Pour nos filles 1989-2008 »), qui illustre un groupe de cinq femmes faisant une pause lors d’une manifestation. « Elles auraient pu être ces femmes, si elles n’avaient pas été tuées le 6 décembre 1989 », est-il écrit sous la toile, en référence à la tuerie misogyne des quatorze femmes étudiantes à l’École polytechnique de Montréal. On reconnaît les années 1980 par le style vestimentaire des femmes et, en fait, Mary Joyce m’informe que cette toile a été créée peu de temps après le massacre impensable.
Les événements et les rassemblements dépeints sont nombreux : « Edmonton accueillant les réfugiés » (huile sur toile, 16 x 16 po.), en réponse aux « réfugiés en cage » de Trump; « Canada 150 et la Tour de la Paix » (huile sur toile 16 x 16 po.), une oeuvre intéressante et ironique, avec sa chute imaginaire et au ralenti de la Tour de la Paix tandis qu’un groupe de jeunes gens posent avec une bannière « Terre de nos aïeux » devant la vieille structure luminescente d’un édifice, évoquant une scène théâtrale.
D’autres images évoquent le lockout de 2010 à Stelco, à Hamilton, une gravure sur bois fort agréable, et la marche de « La ligne rouge de Paris » en décembre 2015 (huile sur toile 28 x 22 po.), évoquant l’Accord de Paris, la ligne rouge étant l’immense étoffe rouge portée le long des Champs-Élysées et menée par les Anges gardiens du climat, avec leurs ailes, comme dans une histoire empreinte du réalisme magique de Gabriel Garcia Marquez.
En 2019, Mary Joyce a été observatrice internationale des élections au Salvador et a créé une oeuvre illustrant une scène de rue quelque peu écolière plus intime (huile sur toile 36 x 37 po.) avec des couleurs audacieuses et une composition intéressante de formes rectangulaires juxtaposant les formes organiques des figures humaines. Et, au cas où le spectateur aurait oublié le projet de loi anti-terroriste C-51 de Stephen Harper qui fut adopté le 18 juin 2015, un collage peinture/photos est là pour le leur rappeler : « Sans prix inestimable » (huile sur panneau de bois avec collage photo, 24 x 24 po.). L’image photographique d’une Edmontonienne lors d’une manifestation contre le projet de loi. D’autres visages n’apparaissent que subtilement dans la peinture rouge, comme aussi de subtiles empreintes d’épingles dans un environnement abstrait.
Les abstractions jouent en fait un rôle fréquent dans cette exposition qui est consacrée aux causes sociales et à l’activité politique sur le terrain. Par exemple, il y a des toiles carrées de 20 pouces qui représentent des masses en abstraction – « Carrés rouges lors du Jour de la Terre » et « Sherbrooke : 10 000 portent un carré rouge », où ce sont les pointillés, les traits, les nuances opaques et transparentes ainsi que la géométrie prononcée qui produisent un sens de mouvement. Lorsqu’on lui demande quel est le mérite d’une imagerie non représentationnelle, l’artiste explique que les abstractions offrent au spectateur l’espace pour ses propres idées, associations et interprétations. En outre, l’attention de la personne qui regarde sera naturellement attirée par les aspects formels de l’oeuvre, l’application de la peinture, les tonalités, les formes, les compositions, les aspects esthétiques. Nous le voyons particulièrement dans « Vestige : un clin d’oeil au minimalisme » (huile sur toile 24 x 18 po.), une oeuvre formaliste qui est un clin d’oeil avec un brin d’humour. Sur un arrière-plan d’un rouge écarlate/cadmium brillant apparaît un petit carré : sa nuance est plus sombre, voilée en quelque sorte par un motif qui se distingue des abstractions représentant la foule. Mais l’humour est dans les taches au-dessus du carré dans un contour presque invisible d’un carré d’une surface similaire pointillé de brins de peinture endurcie et brillante, comme si le carré de teinte plus foncée avait jadis occupé sa place mais en est plus tard glissé pour se libérer de sa composition formaliste fixe originale. C’est une oeuvre minimaliste brillante qui, accompagnée de l’immense tissu, incarne la poésie ET les possibilités politiques suggérées par un simple « carré rouge ».
Marina Allemano est chargée de cours à la retraite, auteure, traductrice et critique littéraire.
(L’exposition est ouverte jusqu’au 22 octobre à La Cité Francophone, 8627 rue Marie-Anne Gaboury (91), Edmonton. L’article est traduit de l’anglais par LR.)
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