Numéro 406 octobre 2021
La stratégie décennale de l’Alberta pour l’éducation postsecondaire
Les conclusions des consultations
gouvernementales bidon
– Dougal MacDonald, Ph. D. (éducation) –
La stratégie décennale de l’Alberta en matière d’éducation postsecondaire attaque ouvertement le droit à l’éducation. Elle révèle une intention de fournir gratuitement une main-d’oeuvre qualifiée à des intérêts privés étroits. Elle n’a rien à voir avec le fait d’éduquer les jeunes pour qu’ils acquièrent les connaissances et la capacité de penser par eux-mêmes afin de construire un avenir brillant pour eux-mêmes et pour la société dont ils dépendent pour vivre, et de contribuer à cette même société à l’échelle internationale.
C’est ce que révèle le gouvernement du Parti conservateur uni (PCU) de l’Alberta dans son rapport de 31 pages sur l’enseignement postsecondaire intitulé Alberta 2030 : Building Skills for Jobs (Alberta 2020; bâtir des compétences pour des emplois). Le rapport présente six objectifs ambitieux, censés être basés sur les résultats de l’étude :
– améliorer l’accessibilité et l’expérience des étudiants;
– développer des compétences pour l’emploi;
– soutenir l’innovation et la commercialisation;
– renforcer l’internationalisation;
– améliorer la durabilité et l’accessibilité, et – renforcer la gouvernance du système.
Or, tous ces objectifs se résument à consolider les établissements d’enseignement postsecondaire (EEP) dans leur rôle de serviteurs des monopoles.
Le rapport est censé être le résultat d’un « engagement étendu » avec une grande variété de parties prenantes, sous la supervision d’une « coalition de leaders d’opinion » sélectionnés par le PCU. Les Albertains connaissent bien les consultations gouvernementales bidon. Les conclusions sont fixées à l’avance, le processus est une mascarade et les seuls commentaires retenus sont ceux qui confirment les conclusions préétablies. Par exemple, les organisations universitaires s’opposent depuis longtemps à ce que les EEP soient axés sur la recherche à des fins commerciales parce que cela dénigre la recherche importante dans des disciplines comme les sciences humaines et sociales, et pourtant c’est une recommandation clé du rapport.
La mise en oeuvre de la stratégie Alberta 2030 sera supervisée par une « coalition phare » sélectionnée par le PCU, qui est fortement dominée par des intérêts d’affaires plutôt que par des éducateurs. Par exemple, l’un des membres de la coalition est l’ancien PDG de l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP). Un autre est vice-président du Conseil canadien des affaires. Un autre encore est l’ancien chef de cabinet de Stephen Harper. En quoi ces personnes sont-elles qualifiées pour diriger l’avenir de l’enseignement supérieur ?
Le rapport omet carrément le fait que le PCU bloque déjà, dans la pratique, tout avenir pour les EEP. Il a réduit les investissements dans l’enseignement postsecondaire de 690 millions de dollars et d’autres coupures sont à venir. Il a gelé l’aide aux étudiants; il a autorisé une augmentation annuelle de 7 % des frais de scolarité pendant trois ans; il a licencié des centaines de travailleurs et d’autres sont menacés du même sort; et il a réduit le financement crucial de l’entretien. Le PCU envisage également l’approche néolibérale, discréditée depuis longtemps, de baser le financement de l’enseignement supérieur sur le « rendement » des établissements, quelle que soit la définition du rendement. Enfin, il a été récemment révélé que certains établissements d’enseignement supérieur, soutenus par le PCU, souhaitent une réduction des salaires et veulent même que les travailleurs remboursent les salaires déjà perçus. De toute évidence, s’attaquer aux droits du corps professoral et du personnel compromettra davantage l’avenir de l’enseignement postsecondaire.
Comme prévu, les hautes administrations des établissements d’enseignement postsecondaire de l’Alberta s’empressent d’acclamer le rapport « Alberta 2030 », tout comme elles ont humblement accepté les compressions du PCU. Elles défendent le PCU, pas l’éducation postsecondaire, ce qui n’est pas surprenant puisque 43 des membres actuels du conseil des gouverneurs, y compris neuf présidents de conseil, ont été imposés par le PCU lors d’une campagne éclair à travers l’Alberta en août 2019. De nombreuses personnes nouvellement nommées étaient des dirigeants d’entreprises du secteur de l’énergie, soi-disant choisis en raison de leur expérience des affaires. Déjà, les présidents de conseil nouvellement nommés ont fait peu de cas des conseils de faculté parce que leur expérience des affaires signifie qu’ils « savent mieux ».
Le premier objectif proposé par le rapport est « Améliorer l’accessibilité et l’expérience des étudiants ». Ce sont des mots qui ne veulent rien dire. Les compressions dans le financement et le gel de l’aide aux étudiants par le PCU, associés à l’augmentation des frais de scolarité et au licenciement du personnel, réduisent l’accessibilité et augmentent la dette des étudiants, estimée aujourd’hui à plus de 20 000 dollars par étudiant. Les compressions ont déjà entraîné l’annulation de cours et de programmes et la fermeture de bibliothèques, entre autres, ce qui ne fera qu’empirer la situation pour les étudiants. La véritable voie vers une meilleure accessibilité consiste à augmenter les investissements dans l’éducation postsecondaire et à la rendre gratuite, comme le font Cuba, l’Allemagne, la Finlande, le Brésil, l’Égypte, le Kenya et de nombreux autres pays.
Le deuxième objectif est de « développer des compétences pour l’emploi ». Il s’agit d’un pilier de la vision néolibérale sur le rôle de l’université, à savoir fournir gratuitement aux entreprises des travailleurs bien formés. Le ministre de l’Enseignement supérieur déclare dans le préambule de son rapport que « notre système sera très sensible aux besoins du marché du travail ». Mais ce sont les entreprises étrangères privées qui déterminent la direction de l’économie de l’Alberta et donc les besoins du marché du travail. Le fait que les Albertains n’aient aucune influence sur les décisions économiques et politiques qui affectent leur vie est un énorme problème et il doit être résolu le plus rapidement possible.
Le troisième objectif est de « soutenir l’innovation et la commercialisation ». Il s’agit d’un autre pilier de la vision néolibérale des EEP. C’est-à-dire que les EEP doivent principalement servir à développer de nouvelles idées et technologies aux frais de l’État, qui peuvent ensuite être transformées en entreprises commerciales cédées aux riches pour une bouchée de pain. L’Alberta en a d’innombrables exemples, surtout en ce qui concerne le pétrole. Par exemple, à l’Université de l’Alberta, dans les années 1920, le Dr Karl Clark a perfectionné un procédé utilisant de l’eau chaude et des réactifs pour séparer le bitume des sables bitumineux. Ce sont Syncrude, Sun Oil et d’autres monopoles privés de sables bitumineux qui ont gagné des milliards grâce à la découverte de Clark, financée par des fonds publics, alors que les résidents de l’Alberta n’ont pratiquement rien reçu.
Le quatrième objectif est de « renforcer l’internationalisation ». Cela signifie attirer des étudiants et des chercheurs prometteurs d’ailleurs pour participer à l’innovation, à la commercialisation et à la braderie susmentionnées. En 2014-2015, les étudiants internationaux représentaient 35,1 % des étudiants diplômés de l’Université de l’Alberta. Les étudiants internationaux sont également utilisés de manière honteuse comme une vache à lait, avec des frais d’inscription bien plus élevés que les frais des étudiants albertains, en plus de ne pas être plafonnés ou limités de quelque façon que ce soit. Par exemple, un étudiant résident de l’Alberta de premier cycle de l’Université de l’Alberta paie en moyenne 5 320 dollars par trimestre, tandis qu’un étudiant « étranger » de premier cycle paie 20 395 dollars, soit presque quatre fois plus. Il s’agit d’une importante manne de revenus lorsque les étudiants étrangers représentent près de 14 % des étudiants de premier cycle de l’Université de l’Alberta.
Le cinquième objectif est d’« améliorer la durabilité et l’accessibilité financière ». Plus précisément, cet objectif appelle les établissements d’enseignement postsecondaire à « accéder à des options de revenus plus diversifiées ». C’est une façon détournée de dire moins d’investissements de la part du gouvernement et plus d’investissements provenant des frais de scolarité et des dons privés. La contribution aux revenus des institutions provenant des frais de scolarité est déjà passée de 16 % en 1985 à 40 % en 2015. Les dons privés profitent principalement au donateur. Par exemple, Darryl Katz, ancien propriétaire milliardaire du Rexall Pharmacy Group, a financé en partie le Katz Group Centre for Pharmacy and Health de l’Université de l’Alberta, qui effectuera des recherches qui profiteront aux sociétés pharmaceutiques. « Améliorer la durabilité » signifie également qu’à terme, les universités devraient s’autofinancer avec un investissement gouvernemental nul. En d’autres termes, l’objectif à long terme est la privatisation de nos universités publiques pour qu’elles servent exclusivement les besoins des monopoles.
Le sixième et dernier objectif est de « renforcer la gouvernance du réseau ». C’est une référence à peine voilée à un contrôle plus étroit des universités par l’industrie privée. Les universitaires savent bien que la gouvernance « bicamérale » en place, où les conseils d’administration sont censés ne prendre que des décisions financières alors que les conseils de faculté sont censés prendre des décisions académiques, est brisée et irréparable. Dans les faits, toutes les décisions importantes concernant l’enseignement postsecondaire sont prises par les entreprises qui sont majoritaires aux conseils d’administration. Elles ont le pouvoir d’annuler toutes les décisions du corps enseignant avec lesquelles elles ne sont pas d’accord. Le rapport recommande que ce système défaillant soit remplacé par un autre conseil ou super-conseil nommé par le gouvernement au niveau de l’ensemble du réseau, chargé essentiellement d’administrer l’ensemble du secteur de l’enseignement supérieur, sans doute dominé comme d’habitude par des intérêts commerciaux privés.
La vision rétrograde des conservateurs en matière d’éducation postsecondaire est claire. Les universités, les collèges et les instituts techniques doivent être financés de manière à servir d’abord et avant tout les monopoles privés qui contrôlent l’économie et les décisions politiques en Alberta. Ce n’est pas ce que veulent les Albertains. Comme dans tous les autres secteurs de la société, la question à laquelle tout le monde est confronté est : « Qui décide ? » Le système de gouvernance actuel prive le corps professoral, les étudiants et le personnel de tout pouvoir de décision alors que c’est à eux que devrait revenir la prise de décision. Il est donc urgent de discuter de comment financer les établissements d’enseignement supérieur de manière durable, afin de répondre aux besoins d’une société moderne qui humanise l’environnement social et naturel tout en respectant les droits de toutes et tous.
En s’opposant aux réductions du financement, aux hausses de frais de scolarité et aux changements de gouvernance, le corps enseignant, les étudiants et le personnel assument déjà, de diverses manières, la responsabilité sociale de l’éducation postsecondaire. La défense de nos droits et des droits de toutes et tous devrait guider la résolution des problèmes auxquels les universités sont confrontées, de manière à améliorer véritablement la qualité de l’apprentissage et à répondre aux besoins de la société, et non à ceux d’intérêts privés étroits. En menant ce combat, la prise en charge de la prise de décision collective sur tous les sujets qui affectent nos vies devient une nouvelle normalité. En s’organisant pour exercer un contrôle sur les institutions postsecondaires et leurs missions académiques, nous construirons des académies et des sociétés qui serviront les intérêts continus des travailleurs et du peuple dans l’édification nationale, au pays et à l’étranger.
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