Numéro 3528 septembre 2021
|
Les résultats de la 44e élection générale
La baisse du taux de participation témoigne de la crise de légitimité du gouvernement
– Anna Di Carlo –
Élections Canada a publié les résultats validés de l’élection générale du 20 septembre. Les bulletins de vote par la poste ayant été comptés, le nombre de sièges s’établit comme suit : Parti libéral 159 ; Parti conservateur 119 ; Bloc Québécois 33 ; NPD 25 et Parti vert 2.
Les libéraux ont demandé un recomptage judiciaire dans la circonscription de Châteauguay-Lacolle au Québec, où le candidat du Bloc Québécois a battu le député libéral sortant par 286 voix.
En chiffres arrondis, sur les 27,4 millions d’électeurs inscrits sur la liste électorale définitive, 17 millions ont voté, soit 62,25 % des électeurs inscrits. C’est ce qu’on appelle le « vote populaire ». Le pourcentage fluctuera légèrement à la baisse une fois que le nombre de personnes qui se sont inscrites le jour de l’élection aura été ajouté. Cependant, quelle que soit la façon dont on le présente, il reste que plus de 10 millions d’électeurs inscrits ont choisi de ne pas voter du tout. L’organisme responsable des élections n’indique pas combien d’entre eux ont annulé leur bulletin, mais ceux qui n’ont pas voté constituent plus d’un tiers des électeurs admissibles.
Les libéraux vont maintenant former un autre gouvernement minoritaire avec seulement 5,5 millions des 17 millions de voix exprimées. Cela signifie qu’ils formeront leur gouvernement avec la plus faible part du vote populaire jamais obtenue, soit 32,6 %. C’est 20,3 % du vote admissible, ce qui, selon le chef du Parti libéral, qui devient le premier ministre du pays, constitue un « mandat clair ». Les libéraux ont donc dépassé leur record de faible participation, soit 33,1 % du vote populaire en 2019. Avant cela, les conservateurs sous Stephen Harper avaient formé un gouvernement minoritaire en 2006 avec ce qu’on avait alors appelé le « plus faible vote populaire » de tous les temps, avec 36,3 % des votes exprimés[1].
De plus, les libéraux formeront le gouvernement même si les conservateurs ont remporté le vote populaire, battant les libéraux par environ 160 000 voix. Leurs 119 sièges ont été remportés avec 33,7 % des votes exprimés, soit 20,9 % des électeurs inscrits. Les 25 sièges du NPD sont le résultat d’environ 3 millions de votes, soit 17,8 % des votes exprimés et 11,1 % des électeurs inscrits. Les verts ont remporté 2 sièges avec 397 565 voix exprimées, soit 2,3 % des bulletins de vote et 1,5 % des inscrits.
Selon le reportage de la Presse canadienne sur les résultats des élections, « le taux de participation au dernier scrutin s’est finalement situé dans la moyenne des récentes élections fédérales depuis 2000, malgré les défis sanitaires posés par la pandémie ». C’est fermer les yeux sur la grave crise de légitimité à laquelle sont confrontés les gouvernements de parti et les institutions démocratiques libérales qui maintiennent le pouvoir de l’oligarchie financière.
La réalité est que le taux de participation est en déclin depuis trente ans, depuis l’élection de novembre 1988 qui a porté Brian Mulroney au pouvoir. Le taux de participation à cette élection était de 75,3 %, les gens s’étant mobilisés pour s’opposer à la ratification de l’accord de libre-échange avec les États-Unis et à la TPS. Depuis, et surtout depuis que le Parti libéral de Jean Chrétien a renié ses promesses électorales, l’affirmation que la démocratie représentative fonctionne et permet aux gouvernements de partis d’obtenir le consentement des gouvernés n’est plus justifiée. Lors de l’élection de 1993, Jean Chrétien a déclaré à propos de la TPS : « Nous ne l’aimons pas et nous allons le faire disparaître. » Il avait aussi promis que son gouvernement ne ratifierait pas l’accord de libre-échange avec les États-Unis. Les conservateurs ont été réduits à trois sièges et Jean Chrétien a maintenu la TPS, ratifié l’accord de libre-échange, organisé des voyages d’affaires d’Équipe Canada dans le monde entier pour faire des monopoles canadiens les « numéros uns » dans le monde et entraîné le pays dans des scandales de corruption sans précédent depuis le scandale du Pacifique de 1873, tout juste après la Confédération[2]. Depuis, l’affirmation que la démocratie représentative functionne et donne aux gouvernements de parti le consentement des gouvernés est injustifiable.
Depuis l’élection de 1993, lorsque la popularité des partis politiques et du gouvernement de parti s’est mise à chuter rapidement, au lieu de renouveler le processus politique et d’éliminer le rôle du pouvoir et des privilèges exercés par des intérêts privés, les partis siégeant à la Chambre des communes ont formé un cartel qui conclut des ententes dans le dos du peuple pour se maintenir au pouvoir et garder le peuple sans pouvoir. Le faible pourcentage de votes admissibles que reçoivent les partis qui forment le gouvernement et le fait que les votes ne se traduisent pas par une représentation témoignent de la crise de légitimité dans laquelle est embourbé le système de démocratie représentative.
Il ne faut pas oublier que le tableau national ne tient pas compte non plus du pourcentage spécifique de certaines circonscriptions et de régions entières où le taux de participation est presque égal, voire inférieur, au nombre d’électeurs qui choisissent de ne pas voter. Comment les gouvernements peuvent-ils prétendre représenter le peuple dans ces endroits ? Par exemple, la circonscription d’Ajax en Ontario a enregistré un taux de participation de 53,5 % des électeurs admissibles ; Markham-Unionville, 51,4 % ; et Brampton Sud, 54,5 %. Au Nunavut, le taux de participation était de 34,11 % des électeurs admissibles ; dans les Territoires du Nord-Ouest, il était de 46,7 %.
Les institutions démocratiques ont besoin d’être renouvelées. Les tentatives de les présenter comme dynamiques et dignes d’être défendues ne convainquent plus personne.
Notes
1. Selon une étude réalisée par l’Université Simon Fraser, les dix parts du vote populaire les plus faibles obtenues par les gouvernements vont de 32,6 % à l’élection qui vient de se terminer à 39,0 % en 1957 et 39,5 % en 2015. Les pourcentages de votes historiquement bas reçus par le parti qui a formé le gouvernement par année d’élection fédérale sont : 2021 : 32,6 % ; 2019 : 33,1 % ; 2015 : 39.5 % ; 2008 : 37.6 % ; 2006 : 36.3 % ; 2004 : 36.7 % ; 1997 : 38.5 % ; 1979 : 35.9 % ; 1972 : 38.5 % ; 1962 : 37.3 % ; 1957 : 39.0 %.
2. En avril 1873, sir John A. Macdonald, qui était premier ministre, et des membres importants de son cabinet ont été accusés d’avoir accepté des pots-de-vin électoraux du magnat de la navigation sir Hugh Allan en échange du contrat de construction du chemin de fer du Canadien Pacifique (CPR). Dans le « scandale du Pacifique », il a été révélé que des pots-de-vin avaient été acceptés par 150 membres du gouvernement conservateur dans le but de permettre à des intérêts privés d’influencer l’appel d’offres pour le contrat du chemin de fer national.
Les médias n’ont pas assuré
une couverture « équitable » selon une plainte officielle
Les lois canadiennes sur les élections et la radiodiffusion ne respectent pas le droit des Canadiens à un vote éclairé. Entre autres, il y a le fait important que les partis enregistrés et les candidats ne sont pas traités de manière égale. Le concept de traitement « équitable » a été introduit pour remplacer le principe démocratique fondamental de l’égalité. La suggestion est que tous les partis et participants à une élection reçoivent un traitement « équitable », mais il n’y a pas de discussion sur les critères utilisés pour déterminer ce qui constitue l’équité.
Dans cette veine, le 20 septembre, une plainte a été déposée auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) faisant valoir que la couverture de l’élection de 2021 ne répond même pas à l’exigence de traitement équitable. La plainte a également été déposée auprès du commissaire d’Élections Canada.
La plainte a été déposée par Greg Vezina, le chef du parti « None-of-the-Above » (Aucune de ces réponses), un parti enregistré en Ontario. Il soutient qu’« aucun des radiodiffuseurs ou télédiffuseurs titulaires d’une licence » n’a respecté les conditions de leur licence, telles que décrites dans l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion. Cet article stipule, entre autres, que le radiodiffuseur public national canadien doit « dans la mesure du possible, offrir au public l’occasion de prendre connaissance d’opinions divergentes sur des sujets qui l’intéressent ».
La plainte reproche également que « pas un seul radiodiffuseur titulaire d’une licence » n’a respecté les lignes directrices électorales publiées par le CRTC le 17 août, qui stipulent que la programmation doit être effectuée « équitablement entre les différents partis politiques accrédités et les candidats ». Lorsque les petits partis ont fait l’objet d’une couverture, la plainte indique que « dans la plupart des cas, l’orientation éditoriale était très négative ou méprisante », non seulement à l’égard des partis, mais « plus important encore, à l’égard de leurs partisans, ainsi que des téléspectateurs, des auditeurs et des électeurs qui cherchent à en savoir plus sur les ondes publiques afin de prendre une décision éclairée… »
La plainte relève le caractère mensonger des publicités des médias qui prétendent fournir « toutes les informations électorales » dont les téléspectateurs ont besoin. Elle allègue que « pas un seul radiodiffuseur autorisé […] n’a même informé le public qu’il y avait 22 partis enregistrés avec des candidats officiellement désignés sur le bulletin de vote[…] à plus d’une occasion pendant toute la campagne. »
« Nous ne voyons aucune circonstance où une définition légitime de la couverture ‘équitable’ inclut la fourniture de centaines de minutes, voire d’heures de couverture aux grands partis, à leurs dirigeants et à leurs candidats, et de quelques minutes ou secondes, ou dans la plupart des cas pas une seule seconde, aux 16 autres partis pendant toute la campagne », indique la plainte.
En guise de description générale, la plainte indique que la couverture était « biaisée en faveur des principaux partis et trompait les téléspectateurs sur les faits concernant leurs options de vote réelles, des nouvelles quotidiennes sur les affaires publiques et à la couverture hautement partisane des panels politiques, à tous les aspects de la campagne, y compris les sondages biaisés et non scientifiques ».
La plainte reconnaît que si le CRTC n’exige pas que les débats incluent les candidats de tous les partis et les candidats indépendants, les médias ne sont pas dispensés de leur obligation de fournir une couverture équitable dans les nouvelles, les commentaires et les autres programmes. Les panels politiques, dit-elle, ne comprenaient que des personnes issues des partis représentés à la Chambre des communes. Le sondage, affirme-t-elle, ne comprenait également que les chefs de ces partis, « avec parfois l’ajout du chef du Bloc et du Parti populaire, mais sans aucun autre chef ou une option ‘aucun de ces chefs’ ».
La plainte fait valoir qu’en outre, la couverture inéquitable devrait être considérée comme une contribution en nature de la part de ceux que les chaînes de télévision ont favorisés. De telles contributions seraient illégales étant donné qu’elles proviennent d’une source interdite (entreprises incorporées).
Greg Vezina a déposé une plainte similaire à la suite des élections fédérales de 2019, citant notamment la rubrique régulière de la CBC intitulée Where the leaders are today (où sont les chefs aujourd’hui) qui n’informait pas sur tous les chefs de parti. L’auteur note dans sa plainte que cela a simplement entraîné un changement dans certains cas des titres de reportage, comme « où sont les chefs des principaux partis aujourd’hui ».
Il reste à voir quelle attention cette plainte recevra. Il est néanmoins certain que le fait que les élections au Canada ne respectent pas le droit des Canadiens et Canadiennes à un vote éclairé est un grave manquement de la démocratie qui mérite qu’on s’y attarde. Prendre cette plainte au sérieux serait un bon point de départ. La rejeter sous prétexte que la loi électorale permet un déficit démocratique aussi flagrant ne rétablira ni la crédibilité ni la légitimité des institutions démocratiques en crise.
Lettre à la rédaction
La capacité de planifier et de prédire est ce qui élève les êtres humains au-dessus de la simple survie
L’article intitulé « Le « pari de Justin Trudeau », paru dans Le Renouveau, est un très bon article qui va droit au coeur du problème et explique pourquoi les diverses factions de la classe dirigeante sont incapables de faire des prédictions exactes dans la situation politique et économique actuelle, que cette même classe dirigeante a précipitée.
La capacité d’agir de façon planifiée est ce qui a séparé les êtres humains du règne animal (qui, au mieux, ne la possède qu’à un niveau rudimentaire). Les grandes percées réalisées par les humains dans le développement de l’agriculture et de l’élevage sont toutes basées sur la capacité de prédire. Les grandes avancées de la science et de la technologie ont également servi cet objectif. Pourtant, à notre époque, c’est précisément ce pouvoir de prédiction qui a été si dédaigné par la classe dirigeante, ses experts et ses intellectuels qui se moquent de ce qu’ils appellent par dérision l’ingénierie sociale, la planification centrale, le socialisme, etc. et se prosternent aux pieds de « l’économie de marché » et de l’anarchie de la production. Toute tentative de planification globale de manière sérieuse, disent-ils, aboutira au désastre. Il faut plutôt laisser les forces du marché, les intérêts privés et les principes néolibéraux régner.
Alors à quelques exceptions près, ils ont réussi, dans l’ensemble du monde, à enraciner la pensée néolibérale. Il en résulte un chaos économique et politique et un profond sentiment d’anxiété et de malaise au sein de la population. Les gens s’inquiètent des changements climatiques et d’autres problèmes environnementaux imminents, de la sécurité d’emploi, du niveau de vie à la retraite, des soins de santé, etc. Ils ont le sentiment que l’avenir n’est pas du tout entre leurs mains.
La prévisibilité et les mécanismes et les systèmes qui permettent cette prévisibilité sont au centre des solutions. Comme le souligne l’article du Renouveau, l’élément clé est de pouvoir participer à la prise des décisions qui affectent nos vies et d’avoir le contrôle de notre avenir. Le pouvoir de prédiction est directement lié à ce contrôle.
La question de la prédiction et de ses implications est très importante dans les domaines de la politique et de l’économie. Et elle est très importante dans les domaines de la théorie et de l’idéologie. L’offensive idéologique néolibérale a été très importante pour la « victoire » du néolibéralisme dans le monde et a été l’un de ses points forts, et a imprégné l’économie, la politique, la culture, la philosophie, etc. Mais, paradoxalement, c’est aussi son point le plus faible, d’autant plus que ce monde néolibéral s’enfonce dans le chaos et le cauchemar et que son essence dépravée et antihumaine émerge. En ces temps d’incertitude et d’angoisse, les gens veulent plus de prévisibilité, de certitude et de planification dans leur vie et dans la société, et ont besoin de nouvelles formes qui les investissent du pouvoir.
L’article « Le pari de Justin Trudeau » est une excellente ouverture sur le thème de la « prévisibilité » et explique clairement pourquoi la classe dirigeante a tant de difficultés dans ce domaine.
Envoyez vos articles, photos, rapports, points de vue et commentaires à redactionpmlc@cpcml.ca.