Les agressions sexuelles et l’échec de la profession juridique
– Revue de livre –
Dans son livre intitulé Putting Trials on Trial : Sexual Assault and the Failure of the Legal Profession, Elaine Craig, professeure agrégée de droit à l’Université Dalhousie, conteste le discours dominant selon lequel, depuis que la loi a changé, les femmes ne sont plus soumises à des traitements humiliants et préjudiciables devant les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle.
Elaine Craig accuse les tribunaux de ne pas avoir respecté la loi. Le problème n’est pas la violation du principe de la présomption d’innocence, mais que cela ne sert pas la cause de la justice. Ses entrevues avec des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense, l’étude de transcriptions de procès et d’autres recherches révèlent une ignorance des dispositions écrites concernant l’agression sexuelle, et un défaut de faire respecter ces lois et de préparer adéquatement les femmes victimes (plaignantes) pour les épreuves auxquelles elles sont confrontées devant le tribunal ou de leur fournir les ressources nécessaires. [1]
On dit que le Code criminel a été modifié afin de protéger les femmes contre les stéréotypes discriminatoires ou les atteintes inutiles à leur vie privée et à leur dignité humaine. Élaine Craig arrive à la conclusion que, souvent, le procureur de la Couronne ne s’y oppose pas et que le juge ne fait rien pour empêcher l’introduction de preuves illégales, qui ne satisfont pas au critère exigé par la loi pour ne pas offenser la victime. Ils ont également permis des contre-interrogatoires qui étaient manifestement inutiles et n’apportaient rien au sujet du crime présumé.
Elaine Craig a constaté que les femmes ne connaissaient pas bien le processus judiciaire et que le procureur de la Couronne n’a pas fait grand-chose pour les préparer. Les résultats ne sont pas difficiles à imaginer. Les victimes font souvent face à une personne qui détenait le pouvoir ou l’autorité sur elles. Un accusé qui a de bons moyens financiers peut engager un avocat qui passe beaucoup de temps à le préparer pour son procès. Au procès, l’avocat de la défense est souvent autorisé à poursuivre des interrogatoires qui n’ont d’autre but que d’humilier le témoin et de dérouter le jury sur ce qui est pertinent. Parfois, l’expérience devant le tribunal est tellement mauvaise que la victime refuse de revenir. En Alberta, dans de telles causes, la réponse a été d’arrêter la victime. Dans un cas, où une femme autochtone avait été victime d’une agression terrible et ne voulait pas comparaître devant le tribunal et voir son agresseur, la police l’a non seulement arrêtée et jetée en prison, mais l’a obligée de se déplacer, menottée et chaînes aux pieds, entre le tribunal et la prison dans le même véhicule que son agresseur !
Elaine Craig a également découvert des cas où le raisonnement des juges reflétait une ignorance choquante de la façon dont la loi relative aux violences sexuelles est censé fonctionner. Elle souligne que dans de tels cas, les juges risquent de s’appuyer sur des stéréotypes profondément enracinés, ceux que les modifications de la loi étaient censées éliminer.
On voit apparaître une situation de juges nommés pour les récompenser d’une carrière au service de l’élite dirigeante. Cela pourrait être une spécialisation dans des domaines comme les fusions d’entreprises et l’évasion fiscale, qui ne donne aucune expérience ou formation quant aux lois régissant les agressions sexuelles. Ils n’expriment pas d’empathie pour les victimes. Leurs décisions reflètent non pas une loi et un processus au service de la justice, mais un point de vue raciste et misogyne, des préjugés et des stéréotypes, écrit-elle.
Également, de nombreux procureurs de la Couronne n’accordent pas l’attention qu’elles méritent aux affaires d’agression sexuelle, et le système judiciaire ne fournit pas les ressources nécessaires. Elaine Craig dresse un portrait de la police dont les enquêtes sont si manifestement lacunaires que l’indifférence totale semble être la seule explication. Cette situation est des plus fréquente et a engendré des violations scandaleuses de la justice, que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a révélé.
Les éléments contenus dans ce livre font ressortir que l’état de droit, selon toute conception moderne, doit servir la cause de la justice.[2] Lorsque le système judiciaire bafoue une telle règle de droit, omet d’assurer une représentation adéquate aux femmes qui dénoncent des agressions contre elles, permet leur humiliation et porte atteinte à la dignité humaine, on ne peut pas parler de justice.
Notes
1. Le mot « plaignant » est utilisé devant le tribunal au lieu de victime. Le sens juridique de plaignant vise à reconnaître qu’une enquête, des preuves, un procès et un verdict sont nécessaires avant qu’une personne accusée, le défendeur, puisse être reconnue coupable d’avoir commis un crime.
2. Un état de droit moderne au service de la justice ne peut se satisfaire de distinguer qui a tort et qui a raison, ou de déclarer qui est coupable ou non coupable de violation de la loi. Il doit en particulier s’interroger et analyser les conditions sociales à l’origine de telles violations et proposer des changements.