Les travailleurs parlent de leurs préoccupations
Contre le recours aux lois spéciales pour criminaliser la lutte des travailleurs pour leurs revendications
– André Jacob, Syndicat des travailleurs et
travailleuses des postes, Région de Québec –
Je suis très préoccupé, en lien avec les gens qui travaillent pour les gouvernements, par les lois spéciales qui sont adoptées. Nous en avons eu une contre nous, les travailleurs des postes, en 2011, et une autre en 2018 l’automne dernier. Compte tenu que cela va devenir monnaie courante et que les droits des travailleurs vont être bafoués alors que notre employeur est le gouvernement, alors comment fait-on pour négocier ?
Avec les lois spéciales, on enlève au travailleur le droit de négocier pour améliorer ses conditions de travail. Le but des travailleurs quand ils se syndiquent c’est d’améliorer leurs conditions de travail. Se faire bafouer quand c’est le temps de négocier, cela encourage l’idée que se syndiquer ne donne rien, qu’on va endurer la situation jusqu’au moment où on en a assez et alors on va changer d’emploi. Pourtant les emplois syndiqués sont de bons emplois. Il faut se battre pour les garder.
Par rapport à la société dans son ensemble, les lois spéciales servent le dénigrement des syndicats, c’est du « union bashing », comme on dit, comme si les syndicats ont mérité de se faire bafouer comme ça. Cela sert à réduire le taux de syndicalisation, pour niveler les conditions vers le bas.
On sait que Travail Canada a émis plusieurs avis de non-conformité à Postes Canada, relatifs à ce que les comités locaux mixtes (comités paritaires de santé et sécurité – Note de LR) ont observé en ce qui concerne l’état des bâtiments, ou les méthodes de travail. Travail Canada s’est rendu compte que ces problèmes-là sont restés des mois au sein des comités sans être réglés.
Avec la loi spéciale, toutes les revendications en santé et sécurité sont remises à l’arbitre nommé en vertu de la loi spéciale. Cela enlève l’initiative des mains des travailleurs. En plus, cela désengage les gens qui sont déjà laissés pour compte sur les comités locaux mixtes. On a des revendications en santé et sécurité quand on veut renouveler les conventions collectives et on a des clauses dans notre convention collective qui touchent à la santé et à la sécurité. Avec la loi spéciale, on s’est fait couper l’herbe sous le pied, alors on fait comment, on passe par où pour que ces revendications soient abordées et satisfaites ? Ce sont les travailleurs qui ont observé ces situations, qui ont travaillé ce dossier, et maintenant on remet cela dans les mains d’une tierce personne, qui va prendre sa décision sur la base de qui va réussir à l’influencer. Parce que la justice est faite comme cela. On doit amener le juge à prendre notre angle, notre ligne de pensée, à adopter notre preuve plutôt que celle de l’autre. Ce n’est même plus une question de vérité.
Lors de notre dernière négociation, on a pris la peine de demander une conciliation dès le départ pour éviter de se retrouver dans cette situation et pourtant c’est bien ce qui est arrivé.
Quand je rencontre les gens du Parti libéral du Canada, je leur demande pourquoi vous avez voté pour la loi spéciale. Il y a des gens du Parti libéral qui m’ont dit qu’ils n’avaient pas toutes les informations, qu’ils ont fait ce qu’ils pouvaient avec le temps qu’ils avaient pour chercher de l’information. Il y a un député qui m’a dit qu’il vote en chambre avec les informations qu’il a, qu’il les prend dans les journaux et sur l’Internet. On s’entend que ce ne sont pas tous les journalistes qui font un travail de fond sur les sujets, qui font leur propre recherche sur le sujet. Souvent, les textes que les employeurs leur envoient sont simplement pris comme étant la vérité.
Nous luttons contre ces choses-là constamment. Parfois, nous pensons que nous avons des acquis mais, pour des raisons économiques, partisanes, ou politiques, le droit que nous avons, en vertu de notre pouvoir de négociation qui vient du fait d’être organisé syndicalement, peut être bafoué.
Nous allons faire face à d’autres lois spéciales, ou à des situations comme ABI où les travailleurs ont été en lockout pendant 18 mois et ont été reniés par le gouvernement du Québec. Ce gouvernement a permis à Alcoa de ne pas payer sa facture d’électricité et c’est le peuple qui va devoir payer ces centaines de millions de dollars.