L’exemple de la lutte contre la loi 9 en Alberta,
la Loi sur le report de l’arbitrage salarial dans le secteur public
La Cour d’appel annule l’injonction contre la loi 9
Manifestation à Edmonton le 10 septembre 2019, suite au jugement de la Cour d’appel sur la loi 9
Le 6 septembre, la Cour d’appel de l’Alberta a annulé la décision du tribunal inférieur et l’injonction qui suspendait la loi 9, Loi sur le report de l’arbitrage salarial dans le secteur public. La loi 9 détruit les dispositions des conventions collectives dûment signées qui exigeaient que l’arbitrage d’une réouverture des clauses salariales soit conclu au plus tard le 30 juin dernier. La loi 9, qui peut maintenant être appliquée, a une incidence directe sur les salaires de plus de 180 000 travailleurs du secteur public de l’Alberta. En retardant l’arbitrage et le règlement des salaires, la loi a clairement pour but de donner au gouvernement Kenney le temps de mener une guerre de propagande afin de promulguer de nouvelles lois imposant unilatéralement des gels et/ou des réductions de salaires.
Le juge Eric Macklin, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, qui a accordé le 31 juillet dernier l’injonction contre la loi 9 maintenant annulée par la Cour d’appel, a statué que la loi en question n’était pas dans l’intérêt public. Il écrit : « Il est dans l’intérêt public à long terme de faire en sorte que le gouvernement ne puisse pas modifier unilatéralement ses obligations contractuelles au moyen d’une législation susceptible de porter atteinte aux droits garantis par la Charte. »
« En outre, il peut être difficile, voire impossible, de négocier en toute confiance les conditions détaillées d’une convention collective en sachant qu’à tout moment, après la conclusion d’un accord, les conditions pourraient être modifiées unilatéralement ou annulées par une loi », ajoute Macklin.
Dans une décision de 2 contre 1, la Cour d’appel a rejeté cet argument en ces termes : « La question sous-jacente est de savoir : a) si la loi 9 constitue une violation de la Charte et, dans l’affirmative, b) si elle est manifestement justifiée dans une société libre et démocratique. Comme le juge de première instance l’a expliqué, la question n’était pas de savoir si la loi 9 était dans ‘l’intérêt public à long terme’. »
Le jugement de la Cour réfère à la décision RJR-McDonald Inc c Canada (AG) selon laquelle les tribunaux ne devraient pas se mêler d’examiner si une loi est dans l’intérêt public. Dans cette affaire, la compagnie de tabac avait cherché en vain à renverser la loi limitant la publicité pour les cigarettes en tant que violation de sa liberté d’expression.
La décision de la Cour d’appel annulant l’injonction contre la loi 9 stipule notamment : « Lorsqu’une loi a pour objectif déclaré de promouvoir l’intérêt public, le tribunal des requêtes ne doit pas chercher à savoir si la loi a effectivement cet effet. Il faut supposer qu’elle l’a. Afin de remettre en question l’avantage présumé pour l’intérêt public qui découle de la poursuite de l’application de la loi, le requérant qui invoque l’intérêt public doit démontrer que la suspension de la loi apporterait elle-même un avantage au public. »
Le jugement de la Cour d’appel se termine par des propos durs réprimandant le juge Macklin du tribunal inférieur : « Aucune partie des trois volets du critère applicable ne donne au juge siégeant en chambre le mandat d’évaluer si une législation valablement adoptée est dans l’intérêt public. »
Selon le jugement, il est préférable de ne pas dire comment « la nature » de la loi 9 est au service de l’intérêt public, et plutôt de le prendre pour acquis, car le gouvernement a le droit de déclarer que c’est le cas.
Le jugement rejette ensuite la jurisprudence utilisée par le juge de première instance Macklin, qui avait cité une décision de la Cour suprême concluant qu’il était dans l’intérêt public que les conventions collectives soient maintenues. C’est faux, a déclaré la Cour d’appel. Le cas cité concerne des intérêts privés, des parties contractantes privées, et ne s’applique pas aux gouvernements qui signent des conventions collectives. De la même manière, les gouvernements ne devraient pas être tenus à leurs accords contractuels avec les travailleurs, selon la Cour d’appel :
« Bien que les lois canadiennes perturbent rarement les conventions collectives, le gouvernement a le droit de légiférer en matière de relations de travail, dans les limites de la Constitution. Au début, il appartient à la législature (pas aux tribunaux) de décider si les avantages d’énoncés politiques d’une loi comme la loi 9 l’emportent sur les inconvénients, et cette loi a droit à la présomption de validité constitutionnelle. Le test au procès consistera à déterminer s’il y a eu violation de l’alinéa 2d) de la Charte et, si c’est le cas, que c’est manifestement justifié dans une société libre et démocratique. »