
Numéro 1418 septembre 2019
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Un état de droit en contradiction avec
les exigences des conditions modernes
Le conflit entre ce qui est déclaré légal et ce que les conditions exigent est un gros problème
— K.C. Adams —
La légalité de la loi 9 antiouvrière du gouvernement Kenney en Alberta va être contestée en cour, et, chose importante, à l’extérieur des tribunaux également. En renversant l’injonction qui permettait l’arbitrage salarial dans le secteur public, les deux juges de la Cour d’appel adoptent des arguments dépassés qui sont en contradiction avec une interprétation moderne du but de la loi, qui est de servir la cause de la justice. En essence, le raisonnement des deux juges est qu’on doit permettre au cheval d’aller courir dans tous les sens parce que, tôt ou tard, il va se présenter une occasion de dire que la porte de l’enclos devrait être fermée. Et les dommages causés aux travailleurs et aux services qu’ils dispensent, qu’en fait-on ? Les torts auront été faits depuis longtemps quand la contestation judicaire aura finalement eu gain de cause, si jamais cela se produit.
Les lois du travail considèrent les travailleurs comme un « groupe d’intérêt spécial » qui peut se défendre contre de puissants intérêts grâce à son droit à la négociation collective. La Charte accorde à ce « groupe d’intérêt spécial » le droit de s’organiser collectivement selon des limites dites raisonnables qui sont fixées par ceux qui exercent le contrôle politique. Mais les travailleurs ne sont pas un groupe d’intérêt spécial. Ils sont les producteurs de la richesse dont dépendent le peuple et la société. La classe ouvrière accepte le devoir de travailler et de produire et de ce devoir découlent des droits.
Cela pose problème parce que la législation ouvrière, les tribunaux et les gouvernements ne reconnaissent pas la dignité, la place d’honneur et les droits des travailleurs en tant que producteurs de toute la richesse sociale. Ce refus engendre un conflit entre l’autorité et les conditions modernes. C’est un gros problème posé et à résoudre pour le peuple et pour la société.
Qui décide ce qui est dans l’intérêt public et national ? Qui décide quels droits doivent être soutenus et garantis comme une question de principe ? En ce moment, les gouvernements exercent leur contrôle et gouvernent au nom des oligarques mondiaux, comme on le voit avec la loi 9 en Alberta ou la criminalisation des travailleurs des postes par Trudeau en 2018, ou l’inaction face au besoin de rendre les chemins de fer sécuritaires et tant d’autres décisions. L’intérêt public et national et les droits des travailleurs sont définis comme étant ce qui sert les puissants intérêts privés de l’oligarchie financière. C’est ce conflit entre l’autorité et les conditions modernes que les travailleurs doivent aborder et résoudre.
Les travailleurs et leurs collectifs n’acceptent pas que les gouvernements ont le mandat de déclarer que tout ce qu’ils font sert l’intérêt public et national ou que leurs droits peuvent être donnés ou enlevés par des lois et un état de droit qui ne servent pas la cause de la justice. Les travailleurs n’acceptent pas que les gouvernements déclarent avoir le mandat de détruire les services publics, de donner les fonds publics aux riches, de faire la guerre et de mener d’autres assauts antisociaux au nom d’un intérêt public et national qu’ils définissent eux-mêmes.
C’est la raison pour laquelle le PMLC les appelle à prendre la parole pendant cette élection. Ils doivent dire que ceux qui demandent de recevoir un tel mandat ne parlent pas en leur nom.
L’exemple de la lutte contre la loi 9 en Alberta,
la Loi sur le report de l’arbitrage salarial dans le secteur public
La Cour d’appel annule l’injonction contre la loi 9
Manifestation à Edmonton le 10 septembre 2019, suite au jugement de la Cour d’appel sur la loi 9
Le 6 septembre, la Cour d’appel de l’Alberta a annulé la décision du tribunal inférieur et l’injonction qui suspendait la loi 9, Loi sur le report de l’arbitrage salarial dans le secteur public. La loi 9 détruit les dispositions des conventions collectives dûment signées qui exigeaient que l’arbitrage d’une réouverture des clauses salariales soit conclu au plus tard le 30 juin dernier. La loi 9, qui peut maintenant être appliquée, a une incidence directe sur les salaires de plus de 180 000 travailleurs du secteur public de l’Alberta. En retardant l’arbitrage et le règlement des salaires, la loi a clairement pour but de donner au gouvernement Kenney le temps de mener une guerre de propagande afin de promulguer de nouvelles lois imposant unilatéralement des gels et/ou des réductions de salaires.
Le juge Eric Macklin, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, qui a accordé le 31 juillet dernier l’injonction contre la loi 9 maintenant annulée par la Cour d’appel, a statué que la loi en question n’était pas dans l’intérêt public. Il écrit : « Il est dans l’intérêt public à long terme de faire en sorte que le gouvernement ne puisse pas modifier unilatéralement ses obligations contractuelles au moyen d’une législation susceptible de porter atteinte aux droits garantis par la Charte. »
« En outre, il peut être difficile, voire impossible, de négocier en toute confiance les conditions détaillées d’une convention collective en sachant qu’à tout moment, après la conclusion d’un accord, les conditions pourraient être modifiées unilatéralement ou annulées par une loi », ajoute Macklin.
Dans une décision de 2 contre 1, la Cour d’appel a rejeté cet argument en ces termes : « La question sous-jacente est de savoir : a) si la loi 9 constitue une violation de la Charte et, dans l’affirmative, b) si elle est manifestement justifiée dans une société libre et démocratique. Comme le juge de première instance l’a expliqué, la question n’était pas de savoir si la loi 9 était dans ‘l’intérêt public à long terme’. »
Le jugement de la Cour réfère à la décision RJR-McDonald Inc c Canada (AG) selon laquelle les tribunaux ne devraient pas se mêler d’examiner si une loi est dans l’intérêt public. Dans cette affaire, la compagnie de tabac avait cherché en vain à renverser la loi limitant la publicité pour les cigarettes en tant que violation de sa liberté d’expression.
La décision de la Cour d’appel annulant l’injonction contre la loi 9 stipule notamment : « Lorsqu’une loi a pour objectif déclaré de promouvoir l’intérêt public, le tribunal des requêtes ne doit pas chercher à savoir si la loi a effectivement cet effet. Il faut supposer qu’elle l’a. Afin de remettre en question l’avantage présumé pour l’intérêt public qui découle de la poursuite de l’application de la loi, le requérant qui invoque l’intérêt public doit démontrer que la suspension de la loi apporterait elle-même un avantage au public. »
Le jugement de la Cour d’appel se termine par des propos durs réprimandant le juge Macklin du tribunal inférieur : « Aucune partie des trois volets du critère applicable ne donne au juge siégeant en chambre le mandat d’évaluer si une législation valablement adoptée est dans l’intérêt public. »
Selon le jugement, il est préférable de ne pas dire comment « la nature » de la loi 9 est au service de l’intérêt public, et plutôt de le prendre pour acquis, car le gouvernement a le droit de déclarer que c’est le cas.
Le jugement rejette ensuite la jurisprudence utilisée par le juge de première instance Macklin, qui avait cité une décision de la Cour suprême concluant qu’il était dans l’intérêt public que les conventions collectives soient maintenues. C’est faux, a déclaré la Cour d’appel. Le cas cité concerne des intérêts privés, des parties contractantes privées, et ne s’applique pas aux gouvernements qui signent des conventions collectives. De la même manière, les gouvernements ne devraient pas être tenus à leurs accords contractuels avec les travailleurs, selon la Cour d’appel :
« Bien que les lois canadiennes perturbent rarement les conventions collectives, le gouvernement a le droit de légiférer en matière de relations de travail, dans les limites de la Constitution. Au début, il appartient à la législature (pas aux tribunaux) de décider si les avantages d’énoncés politiques d’une loi comme la loi 9 l’emportent sur les inconvénients, et cette loi a droit à la présomption de validité constitutionnelle. Le test au procès consistera à déterminer s’il y a eu violation de l’alinéa 2d) de la Charte et, si c’est le cas, que c’est manifestement justifié dans une société libre et démocratique. »
Les syndicats réagissent au rétablissement de la loi 9
Ce que le gouvernement Kenney en Alberta est en train de faire concerne tous les travailleurs et les travailleuses du pays, car il montre comment les législatures et les tribunaux imposent des limites au nom de la prospérité, de l’intérêt national, de l’emploi, de la responsabilité fiscale et d’autres nobles prétentions. La lutte contre la loi 9 de l’Alberta en est un exemple.
Dans une décision deux contre un rendue le 6 septembre, la Cour d’appel de l’Alberta a annulé l’injonction qui avait suspendu l’application de la loi 9 du gouvernement Kenney, Loi sur le report de l’arbitrage salarial dans le secteur public. La loi 9 donne au gouvernement le droit de révoquer et de modifier certaines dispositions des conventions collectives visant 180 000 travailleurs du secteur public. Ce faisant, le gouvernement a discrédité la règle de droit et s’est discrédité lui-même en se donnant un vernis légal pour priver les travailleurs de dispositions déjà négociées et acceptées sur la réouverture des salaires et les arbitrages prévus. Les travailleurs, eux, n’ont pas le droit légal de modifier unilatéralement la convention collective.
La levée de l’injonction signifie que le gouvernement de l’Alberta peut imposer de nouveau la suspension des droits de négociation collective de 180 000 travailleurs du secteur public. Les syndicats du secteur public ont réagi de façon militante en soulignant qu’ils défendraient avec vigueur les droits des travailleurs.
« Nous sommes frustrés par la décision. L’AUPE (le Syndicat des employés provinciaux de l’Alberta) consultera notre conseiller juridique et nos membres examineront nos options, y compris l’appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada, a déclaré Guy Smith, président de l’AUPE, qui a ajouté que la légalité de la loi 9 serait contestée devant les tribunaux. La dissidence écrite du juge Paperny renforce notre argument selon lequel la cour avait parfaitement raison d’émettre en premier lieu l’injonction demandée par l’AUPE. »
« Ce que cette décision montre, c’est que les membres de l’AUPE et d’autres Albertains qui travaillent fort ne peuvent pas s’appuyer sur les tribunaux pour exiger des comptes de ce gouvernement. C’est notre combat et les membres de l’AUPE savent qu’ils sont ceux qui ont le pouvoir de lutter contre l’ordre du jour antiouvrier de ce gouvernement. », a-t-il dit.
« Le Syndicat des infirmières unies de l’Alberta n’acceptera jamais que les gouvernements aient le droit de simplement résilier des contrats légaux, a déclaré la présidente Heather Smith. Comme d’autres syndicats, nous allons poursuivre les recours judiciaires devant les tribunaux, mais nous reconnaissons également que nous ne pouvons pas compter sur les tribunaux pour faire ce qui est juste lorsqu’un gouvernement est déterminé à bafouer les droits fondamentaux des citoyens. »
« Alors que la décision d’aujourd’hui est décevante, cela ne change rien à notre intention de continuer de contester cette loi inconstitutionnelle devant les tribunaux et cela ne va pas nous dissuader de plaidoyer vigoureusement en faveur de la défense de nos droits fondamentaux », a-t-elle ajouté.
Le président du SCFP-Alberta, Rory Gill, a dit : « Les travailleurs de l’Alberta doivent savoir que la décision d’aujourd’hui est un léger revers juridique et que chaque syndicat du secteur public est déterminé à défendre leurs intérêts. » Il a ajouté : « Un accord est un accord. Ce sont des choses élémentaires qu’un écolier comprend. »
(Sources : Global News et CBC. Photos: LR, AUPE)
Qui définit ce qui constitue l’intérêt public?
— Peggy Morton —
La décision de la Cour d’appel souligne très clairement que le gouvernement a le droit de déclarer ce qui est dans l’intérêt public ou non. Peut-être est-ce le cas, mais une fois que c’est fait pour priver la société d’un but qui défend les droits individuels et collectifs et que cela représente clairement de la destruction nationale, la cause de la justice doit prévaloir. Les membres de la société doivent imposer leurs propres limites à ce que les gouvernements peuvent ou ne peuvent pas faire. C’est ce qui ressort de la façon dont les gouvernements utilisent cet argument de l’intérêt public pour attaquer les droits des travailleurs et se livrer à la destruction nationale. L’intérêt public et national est défini par ceux qui ont le pouvoir et le contrôle du gouvernement et qui servent des intérêts privés mondiaux étroits. Cela ne correspond pas aux conditions concrètes, aux besoins et aux droits des travailleurs.
Le gouvernement Kenny en Alberta affirme que l’élection lui a donné le mandat de renier certaines dispositions des conventions collectives en vigueur avec des travailleurs du secteur public. Cela exprime le contrôle dont dispose le gouvernement pour définir l’intérêt public et imposer sa définition aux travailleurs. La véritable intention est de s’attaquer aux salaires, aux avantages sociaux et aux conditions de travail de la classe ouvrière et de bafouer ses droits.
Cette décision de la cour et les arguments au sujet de l’intérêt public et de l’intérêt national placent carrément la question du contrôle politique à l’ordre du jour des travailleurs de l’Alberta et du Canada. La question se résume à qui contrôle et qui décide. En ce qui concerne la loi 9 antiouvrière et l’élection fédérale en cours, les travailleurs répondent à l’appel du PMLC de s’exprimer avec force et défendre leurs intérêts communs sur ces questions importantes. Cela correspond à l’appel du PMLC : Ensemble, donnons-nous du pouvoir maintenant !
Peggy Morton est la candidate du PMLC dans Edmonton-Centre.
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