Numéro 811 septembre 2019
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Pour une refonte complète du régime de l’assurance-emploi
Les chômeurs et leurs organisations de défense doivent avoir un mot décisif à dire sur le régime
Les travailleurs et travailleuses sans emploi et leurs organisations de défense réclament depuis longtemps une refonte complète du régime de l’assurance-emploi (AE). Ils demandent un programme social d’indemnisation qui satisfait les revendications et les besoins de ceux et de celles qui se retrouvent au chômage malgré eux. Le régime actuel d’assurance-emploi proclame la responsabilité des individus de travailler sans offrir la garantie réciproque d’un travail disponible et du droit de la classe ouvrière à un moyen de subsistance.
Le système économique actuel n’est pas capable de fournir des emplois à tous. Le régime de l’assurance-emploi doit reconnaître cette réalité qui se manifeste depuis longtemps et indemniser les travailleurs qui sont privés d’emplois et leur garantir un niveau de vie canadien. Personne ne peut nier que la classe ouvrière du Canada reconnaît et assume sa responsabilité de travailler car les travailleurs sont les producteurs de toute la richesse sociale nécessaire au fonctionnement de l’économie et de la société. Il y a longtemps que l’économie et la société se seraient effondrées si les travailleurs n’assumaient pas leur responsabilité de travailler. Il est devenu évident qu’une juste refonte du régime de l’assurance-emploi requiert que les chômeurs et leurs organisations aient une voix décisive afin de donner une nouvelle direction socialement responsable au régime.
Les données sur l’accessibilité au régime montrent bien à quel point il est en crise. Voici certaines des réformes antisociales successives qui ont été imposées par le gouvernement fédéral, surtout dans les années 1980-1990 : plus d’heures de travail pour être éligible, moins de semaines de prestations, réduction du taux de la prestation par rapport au salaire, exclusion plus poussée des travailleurs accusés d’avoir quitté volontairement leur emploi, avec toutes les distorsions que cela comporte pour disqualifier des chômeurs qui ont besoin d’être appuyés.
Le pourcentage des chômeurs admissibles à l’assurance-emploi est passé d’environ 80 % dans les années 1960-1970 à environ 40 % dès le milieu des années 1990. [1] Dans ce contexte d’élimination massive de l’admissibilité des chômeurs à l’AE, on estime qu’environ 60 milliards de dollars déclarés en « surplus » dans la caisse de l’assurance-emploi ont été tout simplement enlevés de celle-ci et placés dans les revenus généraux du gouvernement pour être utilisés pour payer les riches !
Alors que le pourcentage de chômeurs admissibles au régime était de 42 % en 2017, le développement rapide du travail précaire dans tout le pays recouvre un sérieux problème alors que les travailleurs à temps partiel ou saisonniers font face à des difficultés de plus en plus grandes. Les personnes qui travaillent un nombre limité d’heures par semaine, ou qui sont engagées pour de plus courtes durées moyennes d’embauche (de 22 à 38 mois), connaissent un taux d’admissibilité à l’AE et des prestations qui sont très inférieurs à ce que connaissent les travailleurs à temps plein qui travaillent une moyenne de 59 mois à un même emploi.
Souvent, les travailleurs aux conditions précaires ne réussissent pas à accumuler le nombre d’heures requises pour être admissibles à l’assurance-emploi. Ils se font souvent accuser d’avoir quitté leur emploi de façon « volontaire », ce qui les rend inadmissibles aux prestations selon les critères en vigueur. Ils sont exclus sans égard à la raison véritable pour laquelle ils se retrouvent au chômage. Ces raisons comprennent des disputes au sujet des salaires, la disponibilité des heures de travail, la distance qui les sépare de l’endroit de travail où ils font peu d’heures, les mauvaises conditions de travail, les mauvais traitements de la part des employeurs, la maladie ou les problèmes familiaux.
Une révision socialement responsable du régime de l’assurance-emploi s’impose. Les organisations de défense des chômeurs ont mis de l’avant des revendications qui visent à accroître l’accessibilité au régime de même que la durée et le montant des prestations. Ces revendications doivent être considérées sérieusement et peuvent très bien servir de base au renouvellement du régime. Les travailleurs ont besoin et ont droit à un programme social qui les indemnise à un niveau de vie canadien lorsqu’ils sont privés d’emploi et d’un moyen de subsistance par un système économique socialisé dont ils dépendent mais qu’ils ne contrôlent pas.
Note
1. Un bref examen de l’offensive législative antisociale du gouvernement fédéral contre le régime de l’assurance-emploi.
Législation |
Date |
Réformes au programme |
Loi C-69 |
1976 |
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Loi C-27 |
1977 |
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Loi C-14 |
1979 |
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Loi C-156 |
1984 |
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Loi C-21 |
1990 |
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Loi C-113 |
1993 |
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Loi C-17 |
1994 |
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Loi C-12 |
1996 |
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(Graphique législatif tiré d’ici.)
Entrevues
France Simard, coordonnatrice du Mouvement Action Chômage Lac-Saint-Jean
Manifestation contre les changements du gouvernement Harper au régime de l’AE à Thetford Mines au Québec, le 27 octobre 2012
Le problème principal est toujours l’accessibilité. Avec toutes les réformes qu’il y a eu depuis les années 1990, de moins en de moins de personnes sont admissibles. Il faut que le régime d’assurance-emploi redevienne universel comme il l’était quand il a été créé en 1945 : un régime d’assurance-chômage universel pour tout le monde, avec tant d’heures de travail requises pour tout le monde pour être admissible.
Au fil des années, le gouvernement a créé des régions économiques où tout dépend du taux de chômage officiel pour définir qui est admissible, combien on a besoin d’heures de travail pour être admissible, avec un nombre d’heures différent selon les régions économiques. La situation a dérapé et elle dérape encore. À partir du moment où on règle ce problème, on peut regarder les autres problèmes. Nos revendications de base ont toujours été là, 350 heures pour être admissible à l’assurance-chômage, 35 semaines de prestations pour éviter le trou noir des travailleurs saisonniers. Un taux de prestations d’au moins 70 % basé sur les 12 meilleures semaines de travail. Il faut dépoussiérer le régime mais il ne faut pas que ce soit fait à huis clos. Il faut qu’ils parlent aux travailleurs et aux employeurs parce que ce sont les deux cotisants au régime. Il faut qu’ils parlent aux syndicats, aux organismes qui défendent les chômeurs. On doit adopter une loi qui crée un régime d’assurance-emploi juste et universel.
Le 15 septembre 2018, des manifestants à Tracadie, au Nouveau-Brunswick, exigent des changements au régime de l’AE pour éliminer le trou noir que vivent les travailleurs saisonniers.
Il faut dépoussiérer le régime mais il ne faut pas que ce soit fait à huis clos. Il faut qu’ils parlent aux travailleurs et aux employeurs parce que ce sont les deux cotisants au régime. Il faut qu’ils parlent aux syndicats, aux organismes qui défendent les chômeurs. On doit adopter une loi qui crée un régime d’assurance-emploi juste et universel.
Ce qui nous fait le plus mal dans la région, c’est le trou noir pour les travailleurs saisonniers. Parce que plus le taux de chômage officiel est bas, plus la situation des travailleurs saisonniers empire. Il y a des gens qui sont obligés de partir de la région pour aller travailler, pour aller chercher leurs heures pour être admissibles aux prestations d’assurance-emploi. Ils doivent payer pour se loger. Ils n’ont pas le choix. Ils vivent une grande insécurité. Ils ne savent pas s’ils vont retrouver un emploi avec les conditions et les besoins qu’ils ont. Aussi, il y a des gens qui travaillent 15-20 heures par semaine. Il y a de plus en plus d’emplois précaires. Tu ne peux pas arriver avec cela. Cela leur prend plus de temps pour accumuler des heures pour être admissibles à l’assurance-emploi.
Le manque d’accessibilité au régime d’assurance-emploi est le noeud du problème.
Line Sirois, coordonnatrice
d’Action Chômage Côte-Nord
Des manifestants aux bureaux de Service Canada de Forestville (gauche) et de Baie-Comeau, au Québec, demandent des mesures pour l’élimination du trou noir des travailleurs saisonniers, le 29 novembre 2018.
Le plus grand problème c’est le manque d’accès à l’assurance-emploi. Il se manifeste de plusieurs façons.
Par exemple, on voit de plus en plus de gens qui tombent malades, et ils n’ont droit qu’à 15 semaines de prestations de maladie de l’assurance-emploi. Il y a le problème du trou noir, cette période de temps où les chômeurs sont sans revenus, ayant épuisé leurs prestations et n’ayant pas recommencé à travailler. C’est un problème qui frappe les régions comme la nôtre où prédomine le travail saisonnier. Le gouvernement a accordé cinq semaines supplémentaires de prestations pour faire face au problème du trou noir, mais cela ne suffit pas à éviter cette période où les chômeurs sont sans revenus.
Sur la Côte-Nord, le calcul qui est fait pour recevoir de l’assurance-emploi, avec des taux de chômage faussés, c’est un très grand problème. Comme on offre de l’assurance-emploi selon le taux de chômage officiel, on va demander plus d’heures de travail et donner moins de semaines selon le taux de chômage officiel de la région économique de l’assurance-emploi. Le taux de chômage qui est déclaré n’est pas le taux de chômage réel de la région. La Côte-Nord est incorporée dans une région économique de l’assurance-emploi qui comprend plusieurs régions administratives. Sur la Haute Côte-Nord, par exemple, le taux de chômage réel est d’environ 20 %. Pourtant, dans la région économique dans laquelle on nous a inclus, on nous dit que le taux de chômage est d’environ 6,7 %. Si le taux de chômage reconnu pour la Haute Côte-Nord était 20 % comme il l’est dans la réalité, les gens se qualifieraient après 420 heures et ils auraient droit à 35 semaines de prestations. Présentement, avec le taux de chômage qui nous est attribué, les gens se qualifient après 665 heures pour 15 semaines de prestations. Cela n’a aucun sens.
On trafique les chiffres pour nous en donner le moins possible afin que nos gens quittent la région et aillent travailler ailleurs. C’est un geste délibéré pour nous faire quitter la région. Ils appellent cela la mobilité de la main-d’oeuvre. Ils veulent que les gens migrent vers où sont les emplois. Cela n’a aucun sens non plus que les gens qui tombent malades reçoivent uniquement 15 semaines d’assurance-emploi. Le prestation de maladie est limitée à 15 semaines partout au Canada.
Nous demandons que la prestation de maladie soit relevée à 25 semaines et à 50 semaines dans les cas de maladies plus graves comme le cancer.
Nous demandons que dans les régions comme la nôtre, où prédomine le travail saisonnier, les gens soient admissibles après 420 heures de travail, reçoivent 35 semaines de prestations, avec un taux de prestations de 60 % du salaire alors qu’il est présentement de 55 %.
L’assurance-emploi n’est pas adaptée à la réalité, que ce soient dans les régions ou en ville lorsque les gens travaillent dans des emplois précaires, à 15-20 heures semaine. Ils ne peuvent pas joindre les deux bouts avec cela, et cela prend beaucoup de temps pour obtenir les heures pour être admissibles à des prestations.
Il faut revoir l’assurance-emploi d’un bout à l’autre. C’est un système qui ne reflète pas la réalité et ne comble plus les besoins des travailleurs. L’assurance-emploi doit être une assurance pour les travailleurs quand il y a un manque d’emplois.
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