Dans l’actualité le 17 juin
Les résultats de l’élection du 2 juin en Ontario
Le faible taux de participation et l’état de la démocratie canadienne
Beaucoup de choses sont dites au sujet du faible taux de participation et de comment ce n’est « pas bon » pour la démocratie canadienne. Cela ne fait aucun doute ! C’est un facteur de plus qui mine la crédibilité et la légitimité de ce qu’on appelle les institutions démocratiques libérales lorsqu’un gouvernement est porté au pouvoir avec un si faible pourcentage de l’électorat et qu’il n’y a pas la perception d’un mandat accordé par cet électorat. Lorsqu’un gouvernement majoritaire est élu avec le soutien d’à peine 18 % de l’électorat, comme cela vient de se produire en Ontario, c’est en effet problématique.
Il y a un peu plus d’une décennie, après l’élection fédérale de 2008, lorsque le taux de participation avait chuté sous la barre des 60 %, l’Université de Toronto avait publié une mise en garde contre la possibilité d’un taux de participation aussi bas que 57 % à l’élection de 2011. L’article citait le directeur général des élections Jean-Pierre Kingsley, qui disait qu’il fallait « agir face au déclin du taux de participation, puisqu’il remet en cause la légitimité des résultats des élections au Canada et de sa démocratie ».
« Qu’arrivera-t-il si jamais nous atteignons le seuil de 50 %, avait demandé Jean-Pierre Kingsley. Nous devons vraiment comprendre pourquoi quelque chose d’aussi essentiel que la démocratie électorale s’étiole soudainement, dans l’espace d’une seule génération. »
Lorsqu’un journaliste a posé une question au premier ministre Ford sur l’impact du taux de participation sur son mandat suite à l’élection du 2 juin dernier, il a répondu : « Le peuple nous a donné un mandat clair avec 83 sièges et nous allons nous concentrer sur notre mandat. » Il a rejeté du revers de la main les demandes de réforme du mode de scrutin en faveur d’un système de représentation proportionnelle, affirmant que le scrutin majoritaire uninominal à un tour avait fonctionné « pendant plus de 100 ans » et qu’il « continuera de fonctionner ainsi ».
Plusieurs théories ont été défendues au cours des années pour expliquer le déclin du taux de participation depuis 1990. La raison qui revient le plus souvent est « l’apathie politique des jeunes ». Cette accusation revient constamment depuis l’élection fédérale de 2008, lorsque le taux de participation chez les jeunes de 18 à 24 ans n’a été que de 37 %. Or, cela n’explique rien puisque la génération à laquelle on se réfère est tout sauf apathique lorsqu’il s’agit de combattre l’offensive antisociale, les injustices, les dommages à l’environnement naturel, la discrimination raciale, l’inégalité et la guerre. La participation de ces jeunes à l’opposition aux sommets du G7 et du G20 à Toronto alors même qu’on les accusait d’être apathiques a clairement démenti cette théorie.
Une enquête sur les raisons pour lesquelles autant d’électeurs ont cessé de voter accusera plutôt le processus politique dominé par les partis cartellisés. Ces partis perpétuent un système de gouvernements de partis de cartel qui gouvernent par décrets et dont les ministres, conseillers, hauts fonctionnaires et d’autres passent aisément de leurs postes gouvernementaux à des postes supérieurs dans l’industrie privée et vice-versa. Les règles actuelles sur les conflits d’intérêts ont plutôt pour effet de faciliter ce que la plupart des gens perçoivent comme étant des conflits d’intérêts.
Il existe également de nombreuses preuves que les partis cartellisés visent l’obtention d’un nombre de voix très soigneusement calculé dans des circonscriptions précises, en se basant sur d’énormes bases de données qui indiquent qui est le plus susceptible de voter pour eux ou pour un candidat rival, ou quelles questions intéressent les électeurs pour en faire des slogans à la mode dans une campagne. En fait, parce que le microciblage est plus efficace lorsque le taux de participation est faible, lorsqu’il y a des « entités connues » et pas de facteurs imprévisibles, tout indique qu’aucun effort n’est épargné pour faire en sorte qu’il y ait précisément un faible taux de participation. Plus le taux de participation est élevé, moins le microciblage est efficace.
Il y a aussi suppression de l’électorat lorsqu’une campagne électorale n’est plus un événement public mais une relation individualisée avec des électeurs potentiels spécifiques contactés par le biais de Facebook et d’autres communications de ce genre. Cela mène à la suppression de la participation des citoyens aux affaires politiques, qui est délibérément encouragée par les lois électorales. La suppression de l’électorat prend la forme de lois qui minimisent les préoccupations et les interventions de tout le monde sauf les partis déjà en place et des « tiers » qui doivent s’inscrire auprès de l’État en tant que « commanditaires » afin qu’ils puissent « cibler » des électeurs par leur « message ». Pendant ce temps, les syndicats et d’autres organisations ne peuvent utiliser leurs ressources pour directement assister les candidats ou les partis qu’ils appuient. Les riches se servent néanmoins de leur contrôle sur les médias et de leur domination des partis siégeant à l’assemblée législative sortante pour dicter l’ordre du jour du prochain gouvernement et ce qu’ils appellent les enjeux électoraux qu’ils attribuent aux « électeurs ». Seuls les partis et les candidats du cartel sont autorisés à participer aux débats officiels et ont donc accès à ces auditoires collectifs. Tout le reste est supprimé ou réduit au silence.
Ce que tout cela met en lumière est que les élections sont loin d’être un mécanisme permettant aux gens de participer à la discussion et aux délibérations sur ce qui est requis pour ensuite exprimer une volonté politique claire et cohérente engendrant un gouvernement choisi par eux en fonction d’un mandat qu’eux-mêmes proposent. Elles sont devenues des exercices de suppression de l’électorat par divers moyens. C’est ce que reflète le taux de participation de 43,5 % à l’élection du 2 juin. Les gens rejettent cet état de choses où ils n’ont pas leur mot à dire sur quelque partie que ce soit du processus sauf déposer un bulletin de vote. Pour les cercles dirigeants, c’est très grave puisque, plus ils suppriment l’électorat par divers moyens, moins ils peuvent prétendre avoir un mandat ou une légitimité pour leurs stratagèmes pour payer les riches qui s’accompagnent de la criminalisation de la résistance à cet ordre du jour.
Ontario Political Forum, affiché le 17 juin 2022.
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