Dans l’actualité le 17 juin
La démocratie des partis de cartel
Préparer le terrain pour déclarer une « victoire écrasante » du premier ministre Legault à l’élection d’octobre au Québec
On a vu que l’élection du 2 juin en Ontario a reporté au pouvoir le gouvernement conservateur majoritaire de Doug Ford, qui a remporté 83 sièges sur les 124, mais avec seulement 18 % des votes et un taux de participation de 43,5 %, le plus bas de l’histoire de la province. Pourtant, les grands médias et les experts ont clamé : « victoire écrasante ».
Lorsque les médias ont demandé à Doug Ford ce qu’il pensait du taux de participation historiquement bas, il a répondu que les Ontariens lui ont « donné un mandat clair en élisant 83 députés » et que « nous allons nous concentrer sur notre mandat » Lorsqu’on lui a demandé si le faible taux de participation indiquait une nécessité de changer le mode de scrutin pour un mode de représentation proportionnelle, il a répondu que le scrutin majoritaire uninominal à un tour a fonctionné « pendant plus de 100 ans » et qu’il « continuera de fonctionner ».
Aux niveaux fédéral et provincial, les partis du cartel s’accrochent au pouvoir pour servir les grands intérêts privés. Ils organisent des élections qui écartent le peuple de la discussion et du processus de décision sur des enjeux qu’ils identifient eux-mêmes comme étant les plus importants. Ce genre de manipulation a également commencé au Québec à l’approche de l’élection d’octobre.
À l’élection de 2018, le premier ministre élu François Legault, de la Coalition Avenir Québec (CAQ), s’est engagé à faire de cette élection la dernière à se tenir sous le vieux mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. En septembre 2019, son gouvernement a déposé le projet de loi 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin.
Le projet de loi prévoyait que 80 députés de circonscription continueraient d’être élus de façon traditionnelle, soit le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour, alors que des « députés de région » (45 au total) auraient été attribués en fonction du nombre de votes obtenus par leur parti dans une région administrative donnée. Le nombre total de sièges aurait été maintenu à 125.
En décembre 2021, par le biais d’un communiqué de presse de son cabinet, le premier ministre a annoncé qu’il laissera le projet de loi mourir au feuilleton. « On s’est rendu compte que ce n’est pas du tout une priorité pour la population, et ça semblait ésotérique de s’engager là-dedans alors qu’on en aura pour des années à ramasser les conséquences de la crise actuelle [liée à la COVID-19 — note de la rédaction] », indique-t-on dans le communiqué. « On aurait eu l’air déconnectés. » Le premier ministre a aussi déclaré que la réforme du mode de scrutin ne fera pas partie de la plateforme électorale de son parti à l’élection d’octobre 2022.
Pendant les deux années du sommet de la pandémie, pendant lesquelles le gouvernement Legault a gouverné systématiquement par arrêtés et décrets ministériels, les médias n’ont cessé de répéter que son gouvernement jouissait d’un appui et d’une popularité sans précédent parmi les Québécois. Les médias et les experts, dont des organismes de projection électorale, lui prédisent environ 100 sièges sur 125 alors que les élections sont dans quatre mois seulement.
Il est clair que l’engagement du premier ministre à tenir une réforme électorale était de l’opportunisme crasse. Pourquoi changerait-il même un tant soit peu le mode de scrutin alors qu’on prévoit qu’il donnera une « victoire écrasante » de la CAQ qui va faciliter sa gouvernance par décret ? Comme Doug Ford, il pense que s’il écrase les autres partis, cela montre que le système est « démocratique » et qu’il pourra prétendre qu’il a un mandat populaire. Est-ce que c’est cela qu’il voulait dire quand il a déclaré ne pas vouloir avoir « l’air déconnecté » ?
Dans le système politique actuel, la gouvernance par décret par l’exécutif gouvernemental et la porte tournante qui permet le passage continuel de l’exécutif à l’entreprise, et vice-versa, éliminent le rôle du Parlement, des assemblées législatives des provinces et de l’Assemblée nationale du Québec, le rôle des députés, la voix et le mot à dire des travailleurs, des jeunes, des femmes et des peuples autochtones.
Le vote est lui aussi attaqué car les partis du cartel font tout pour que seuls les électeurs qui votent pour eux se rendent aux urnes, avec des mécanismes comme le microciblage et d’autres. Le terrain est déjà préparé pour que, si le taux de participation à l’élection québécoise d’octobre est très bas[1], on dira que c’est parce que les Québécois sont satisfaits du gouvernement, qu’ils veulent juste reprendre leur vie postpandémie, que les jeunes ne s’intéressent plus à la politique, etc.
Pendant ce temps, les problèmes s’accumulent : les attaques des oligopoles privés sont menées avec impunité contre les travailleurs ; le gouvernement continue le démantèlement du système de santé entre autres par la privatisation accrue ; l’intégration plus poussée du Québec à l’empire américain et à sa machine de guerre ; la promotion d’une politique identitaire qui monte les gens les uns contre les autres au détriment de la construction d’un État qui bâtit l’unité de toutes et de tous dans un projet d’édification nationale qui est discuté et élaboré par le peuple dans ses collectifs.
Il va sans dire que si les Québécois parlent en leur propre nom, rejettent l’idée que Legault et les autres parlent en leur nom, ils verront l’intérêt à voter ou non d’une façon qui contribue à bâtir le mouvement pour les droits de toutes et de tous et pour un Québec nouveau.
Note
1. À l’élection québécoise de 2018, le taux de participation a été de 66,45 %, le deuxième plus bas résultat de l’histoire des 91 dernières années.
LML Quotidien, affiché le 17 juin 2022.
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