Dans l’actualité le 28 avril
Entrevues
Michel Pilon, Réseau des travailleuses et travailleurs migrants agricoles
Michel Pilon est le directeur général du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ)
Voilà plus de quinze ans qu’on travaille avec les travailleurs temporaires, mexicains, guatémaltèques et honduriens qui sont les grandes communautés qui viennent au Québec. De plus en plus on voit aussi des travailleurs malgaches qui sont dans les fermes. On s’occupe non seulement des travailleurs agricoles mais aussi des travailleurs de la transformation alimentaire. On parle de 27 000 travailleurs qui viennent à chaque année au Québec, dans le secteur agricole et de la transformation alimentaire.
En ce qui a trait à la question de la santé et de la sécurité au travail, nous travaillons beaucoup avec les travailleurs étrangers temporaires, et ce que je vois en matière de santé et de sécurité c’est qu’il n’y en a pas. Cela n’existe pas dans les fermes. Le RATTMAQ siège sur des comités de l’INSPQ, l’institut national de santé publique du Québec, et on se rend compte qu’il y a une sous-déclaration des accidents de travail dans les fermes. Les gros dossiers que le RATTMAQ a en ce moment devant les tribunaux sont des dossiers d’accidents de travail non déclarés, parce que ces travailleurs-là ne connaissent pas leurs droits et qu’ils ne parlent pas la langue. Lorsqu’ils se retrouvent devant le système de la CNESST qui est en français ou en anglais, ils font face à un mur. Si nos intervenants du RATTMAQ n’intervenaient pas dans le processus, cela deviendrait un sérieux problème.
Un des problèmes que nous avons, c’est celui des mutuelles dans l’agriculture. Ce sont des grands bureaux d’avocats. Si le travailleur conteste, il se retrouve face à de gros avocats patronaux, et souvent les travailleurs qui ont fait des réclamations font face à un employeur qui conteste la réclamation. Ces mutuelles là s’appellent des mutuelles de prévention mais en fait ce sont des mutuelles de gestion, elles ne font aucune prévention. Tout ce qu’elles sont capables de faire, c’est de minimiser les coûts des employeurs. Les travailleurs ne sont pas capables de se payer des avocats, c’est le RATTMAQ qui les représente.
Il y a aussi toute la question de la nouvelle loi qui a été adoptée, anciennement le projet de loi 59,
Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. Il va y avoir des comités de santé et sécurité au travail qu’on va retrouver chez les employeurs. Cela n’existait pas auparavant dans le domaine agricole. Le RATTMAQ est très soucieux présentement de savoir comment les travailleurs seront choisis dans les fermes. On craint que ce sont les employeurs qui vont choisir les travailleurs qui siégeront sur ces comités et qu’ils seront soumis aux employeurs. Le RATTMAQ s’active présentement pour que ces travailleurs soient formés par le Réseau, qu’ils soient accompagnés dans le cadre de leurs activités face aux comités de santé et sécurité qu’il y aura dans les fermes. Comme les travailleurs qui seront membres de ces comités seront en mesure de faire des réclamations à la CNESST au nom des travailleurs, alors ce qu’on souhaite c’est qu’il y aura plus de réclamations et plus de déclarations d’accidents de travail au sein des entreprises agricoles, ce qui n’existe pas aujourd’hui.
Le RATTMAQ est actif sur le terrain. Nous avons nos intervenants-terrain et le travailleur vient nous voir parce qu’il y a eu un cas d’accident de travail. On se rend compte que l’employeur n’a pas fait de réclamation. On fait une réclamation au nom du travailleur, on les accompagne dans tout le système. Dans le cas où la réclamation est contestée, nous nous retrouvons devant le Bureau de révision de la CNESST et par la suite nous plaidons devant le Tribunal administratif du travail.
Il faut se rappeler que ces travailleurs n’ont pas le droit de se syndiquer. On leur a enlevé le droit de se syndiquer en 2014, suite à une loi adoptée par le gouvernement du Parti libéral, bien que la Commission des droits de la personne leur avait reconnu le droit de se syndiquer. Le gouvernement du Québec, comme le gouvernement canadien, a signé la convention internationale du Bureau international du travail (BIT) sur le droit d’association en 2017 et il est en contravention de sa signature par l’interdiction qui est faite à ces travailleurs agricoles de se syndiquer. Le gouvernement du Québec doit modifier sa loi, reconnaître le droit de ces travailleurs pour qu’ils puissent enfin négocier collectivement leurs conditions de travail, ce qui comprend aussi la santé et la sécurité au travail.
Les prochaines années vont être encore plus importantes parce que le gouvernement vient de faire passer le plafond de travailleurs étrangers temporaires que les entreprises peuvent employer de 10 % à 20 % de leur main-d’oeuvre. Le nombre de travailleurs étrangers temporaires au Québec va doubler et ils auront de plus en plus besoin d’un organisme comme le nôtre qui va les défendre pour qu’ils puissent réclamer leurs droits ici au Québec.
Forum ouvrier, affiché le 28 avril 2022.
|
|