Dans l’actualité le 28 avril
28 avril, Journée de commémoration
Entrevues
Sean Staddon, travailleur minier
Sean Staddon est électricien souterrain et délégué syndical de la section locale 6500 du Syndicat des Métallos à la mine Totten de Vale à Sudbury.
Cette année marque le 30e anniversaire de la catastrophe de la mine Westray[1]. Dans mon industrie, le système judiciaire n’a pas pris de mesures concrètes pour les personnes blessées ou tuées au travail au cours des 30 années qui ont suivi cette catastrophe. Nous ne voyons pas la loi Westray être appliquée lorsqu’un travailleur est tué au travail. Nous ne voyons pas les employeurs être jugés responsables ou faire face à des accusations criminelles. Ils négocient une sorte de plaidoyer, versent une petite allocation de survivant et c’est tout. Personne ne fait face à des accusations criminelles et n’est envoyé en prison pour négligence, même si la loi prévoit qu’ils peuvent être tenus criminellement responsables. C’est pourquoi les métallos sont entrés en action lors de la catastrophe de Westray. C’est par pure négligence, il y a 30 ans, que les propriétaires de la mine Westray n’ont pas pris au sérieux les préoccupations des travailleurs en matière de santé et de sécurité. C’est pourquoi la mine a explosé. Quelqu’un aurait dû aller en prison pour cela.
Un autre problème majeur est le fait que le programme de la CSPAAT [Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail] en Ontario est brisé. La CSPAAT collabore avec les employeurs pour s’assurer que les travailleurs n’obtiennent pas une indemnisation adéquate lorsqu’ils se blessent au travail. Au cours des trois ou quatre dernières décennies, nous avons vu un affaiblissement des droits des travailleurs et une diminution des indemnisations appropriées lorsque les gens se blessent au travail, à cause de cette collusion entre les employeurs et la CSPAAT. Cela s’applique à presque tous les secteurs de l’économie en Ontario, et plus particulièrement dans l’industrie lourde, où les travailleurs sont susceptibles d’être blessés au travail.
Par exemple, disons qu’un travailleur est blessé dans un accident lié à un équipement où il se casse la jambe ou souffre d’une déchirure musculaire à l’épaule. L’employeur ira jusqu’à expliquer à la CSPAAT que ce travailleur joue au hockey à l’extérieur, de sorte que son épaule était probablement déjà usée. Il dira qu’il ne peut pas indemniser entièrement cette blessure qui, selon le travailleur, s’est produite au travail, parce que dans sa vie extérieure, il use énormément son épaule. Ainsi, au lieu que ce travailleur reçoive une indemnisation complète, l’employeur considérera qu’il s’agit d’un accident non professionnel. Il incombera donc aux contribuables de payer pour cette personne, alors que la responsabilité incombe carrément à l’employeur qui n’a pas mis en place les procédures de santé et de sécurité appropriées sur le lieu de travail. La CSPAAT est entièrement financée par les employeurs. Lorsqu’ils ne couvrent pas le traitement, celui-ci doit être payé par le programme provincial de soins de santé, qui est financé par la population de l’Ontario. Il devrait être de la responsabilité de l’employeur de prendre soin de ce travailleur.
Il y a aussi des gens qui tombent malades à cause de maladies professionnelles, à cause de produits chimiques utilisés qui les rendent malades. C’est très difficile à prouver et la CSPAAT fait tout ce qu’elle peut pour déclarer que l’employeur n’est pas responsable du cancer du poumon que les travailleurs contractent au travail. La maladie professionnelle est une des choses les plus difficiles à prouver à la CSPAAT comme ayant été contractée au travail. Dans le secteur minier, nous parlons de cancers et de MPOC (maladie pulmonaire obstructive chronique).
Dans notre secteur d’activité, nous faisons constamment appel des décisions de la CSPAAT, nous défendons les travailleurs et nous faisons tout ce travail. En fait, dans notre secteur, si un travailleur se blesse, l’industrie va jusqu’à payer le travailleur pour qu’il vienne à l’endroit de travail, elle envoie un taxi chez lui, lui fait faire un travail insignifiant toute la journée, le renvoie chez lui et lui paie son plein salaire de sorte qu’aucun rapport n’est fait à la CSPAAT. Les employeurs ne veulent pas avoir à rapporter des accidents qui entraînent des pertes de temps de travail, car les primes de leur régime d’assurance pourraient augmenter.
Je m’inquiète beaucoup pour le secteur des travailleurs à la demande, pour les travailleurs non syndiqués et sans papiers qui se blessent au travail, parce qu’ils sont tout simplement oubliés. Ils ne savent même pas qu’ils ont le droit de faire appel des décisions de la CSPAAT. En fait, ils ne remplissent même pas de rapports d’accident du travail, car ils sont généralement licenciés par leur employeur s’ils se blessent. J’ai entendu des histoires de travailleurs de ces secteurs qui disaient qu’ils voulaient déposer un rapport d’accident du travail et que l’employeur menaçait de les licencier, alors ils ont travaillé malgré leur blessure.
Les deux enjeux, à savoir la non-application de la loi Westray et le fait que les travailleurs n’obtiennent pas l’indemnisation à laquelle ils ont droit lorsqu’ils sont blessés ou malades au travail, me montrent clairement que les employeurs et les représentants du gouvernement sont de connivence contre les travailleurs lorsqu’il s’agit des droits des personnes handicapées, des travailleurs accidentés et des décès au travail. Et cela se passe à grande échelle.
À l’approche du 28 avril, les travailleurs doivent réaffirmer leur engagement à lutter pour la vie. Nous devons inciter les jeunes travailleurs à s’organiser, à porter l’insigne de délégué syndical, à s’impliquer dans les comités de santé et de sécurité, à défendre leurs frères et soeurs. Le travail de première ligne est très important.
Note
1. Le 9 mai 1992, les vingt-six mineurs qui travaillaient dans la mine de charbon Westray, en Nouvelle-Écosse, ont été tués lorsque du méthane s’est enflammé, provoquant une explosion. Les travailleurs, les représentants syndicaux et les inspecteurs du gouvernement avaient tous soulevé de graves problèmes de sécurité avant la tragédie, mais la compagnie avait refusé d’y donner suite. Pendant 10 ans, les travailleurs de tout le pays ont déployé des efforts considérables pour que la Chambre des communes adopte une loi en vertu de laquelle les employeurs seraient tenus criminellement responsables lorsqu’ils causent des blessures et des décès au travail. Communément appelé la loi Westray, l’ancien projet de loi C-45, Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations), a été adopté par la Chambre des communes en 2003 et est entré en vigueur en 2004. Il modifiait le Code criminel en ajoutant l’article 217.1, qui se lit comme suit : « Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. » La loi a également ajouté les articles 22.1 et 22.2 au Code criminel, imposant une responsabilité criminelle aux organisations et à leurs représentants pour négligence et autres infractions.
Forum ouvrier, affiché le 28 avril 2022.
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