Dans l’actualité le 27 avril
Au Parlement
La Loi sur la diffusion continue en ligne et le « contenu canadien »
Le projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne, soumettra les entreprises de diffusion en ligne comme Netflix et Spotify à des obligations semblables à celles qui sont imposées aux détenteurs de permis de radiodiffusion traditionnelle afin d’appuyer « la culture canadienne ». Il s’agit d’une réincarnation du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, qui a été déposé au dernier parlement mais est mort au Sénat lorsque les libéraux l’ont tué en déclenchant leurs élections prématurées et opportunistes.
Plusieurs organisations et individus engagés dans le domaine de la radiodiffusion, de la culture et du spectacle et traitant de ses lois et règlements connexes se sont opposés à la fois au contenu du projet de loi C-10 et à la façon cavalière avec laquelle les libéraux l’ont poussé à la hâte au parlement. Cela comprenait des amendements de dernière minute des libéraux sur lesquels aucun débat n’était possible lors de l’étude en comité article par article.
Selon le ministre du Patrimoine Canadien Pablo Rodriguez, les libéraux ont écouté les critiques et les préoccupations exprimées et y ont donné suite. En effet, la Loi sur la diffusion continue en ligne a retiré certains des aspects les plus controversés du projet de loi initial, mais de façon grotesque. Par exemple, le projet de loi C-10 avait éliminé le principe directeur vieux de plusieurs décennies, bien qu’inefficace, selon lequel « le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle ». La Loi sur la diffusion continue en ligne réintroduit ce principe, mais en l’amendant ainsi : « le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle, à l’exception des entreprises de radiodiffusion étrangères qui fournissent de la programmation aux Canadiens. » [notre souligné]
Une autre préoccupation concernait les artistes individuels et les Canadiens en général qui téléchargent des vidéos à partir de plateformes de diffusion continue en ligne et la possibilité qu’ils fassent l’objet de l’intervention du Conseil de la radiodiffusion et de la télécommunication canadiennes (CRTC) et de ses pouvoirs règlementaires. Le ministre Rodriguez a banalisé la question, prétendant que ce n’était qu’une question de savoir si les « vidéos de chats » seraient réglementées ou pas. La Loi sur la diffusion continue en ligne exclut spécifiquement ces utilisateurs, mais, dans un aliéna, le CRTC est autorisé à utiliser ses pouvoirs réglementaires pour créer des exceptions à leur exclusion.
On estime qu’actuellement les radiodiffuseurs licenciés (télévision et radio) ont contribué près de 3,4 milliards de dollars (2019) en revenus de diffusion et de contenu canadien . Le ministère du Patrimoine canadien prévoit que si les diffuseurs en continu en ligne sont obligés de contribuer à des taux similaires aux radiodiffuseurs traditionnels, leur contribution au contenu canadien pourrait totaliser près de 830 millions de dollars par année d’ici l’année 2023, bien que ce chiffre a été critiqué pour son manque de données concrètes.
Patrimoine Canada prévoit que le déclin de revenus des radiodiffuseurs commerciaux mènera à un déclin du contenu canadien télévisé de l’ordre de 34 % d’ici 2023, comparativement à 2018. Ce déclin serait la faute des grandes compagnies de diffusion continue en ligne. Un exemple est Netflix qui est présent dans 62 % des ménages canadiens et le fait que les gens « brisent leurs liens » plus en plus avec les opérateurs de télévision par câble.
Dans ce contexte, le projet de loi vise aussi vise aussi à augmenter la « découvrabilité » du « contenu canadien ». Il s’agit d’une autre question controversée en raison du fondement particulier qui est utilisé pour déterminer ce qui correspond à la définition et de l’impact qu’elle aura sur les artistes canadiens qui ne répondent pas aux critères. Cela est aussi perçu comme une forme de censure à une époque où les géants des plateformes des médias sociaux telles que Google déterminent ce qu’un individu voit ou ne voit pas dans ses recherches. Le CRTC a le pouvoir d’établir la définition de « contenu canadien » en vertu de ses pouvoirs réglementaires. Il aura aussi le pouvoir de surveiller ce que font les plateformes de diffusion continue en ligne pour promouvoir le contenu canadien.
Michaeal Geist démontre la nature arbitraire de ces règlements. Le titulaire de la Chaire de recherche en droit d’Internet et du commerce électronique écrit : « Le projet de loi prétend appuyer « les histoires canadiennes » mais le système actuel en est un où le contenu canadien certifié a peu à voir avec le Canada et n’atteint pas du tout ces objectifs. À titre d’exemple : la certification de ‘Gotta Love Trump’, un film qui comprend essentiellement des clips faits par des adeptes de Trump, dont ceux du photographe de Trump, d’un ancien participant à ‘The Apprentice ‘, de Roger Stone, de Candace Owens, et de plusieurs autres qui ont peu à voir avec un contenu canadien. »
Il poursuit : « Ce documentaire n’a tout simplement rien à voir avec le Canada ou une histoire canadienne. Or, on soutient que c’est ce genre de contenu que le projet de loi C-11 cherche à appuyer par le biais de paiements provenant de services Internet partout dans le monde. Avec ‘Gotta Love Trump ‘, nous sommes loin de productions telles que ‘All or Nothing : Toronto Maple Leafs ‘, d’Amazon, une série en cinq segments qui a suivi les Leafs pendant plusieurs mois pendant la saison 2020-2021. Le narrateur du film est Will Arnett (un Canadien) et les équipes de tournage sont canadiennes. Cependant, cette production ne se qualifie pas comme étant de contenu canadien, pas plus que ‘Jusqu’au déclin’ (un film québécois réalisé par Netflix) ou ‘Turning Red ‘(Disney+). »
Il conclut : « Si le ministre du Patrimoine canadien Pablo Rodriguez est sérieux lorsqu’il prétend vouloir appuyer des histoires canadiennes, le point de départ ne devrait pas être d’intégrer le projet de loi C-11 dans un cadre de politique culturelle qui n’atteint pas ces objectifs. Plutôt, le gouvernement devrait d’abord mettre en oeuvre une approche politique qui appuie les histoires canadiennes — pas des histoires au sujet de Donald Trump qui ont peu ou rien à voir avec le Canada — et ensuite discuter des mesures politiques potentielles qui aideront à financer un tel cadre. »
Michael Geist a publié un « quiz sur le contenu canadien » qui illustre bien comment le critère est arbitraire et irrationnel. Pour accéder au quiz, cliquez ici .
Le Renouveau, affiché le 27 avril 2022
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