Dans l’actualité le 20 avril
L’urgent besoin de services publics centrés sur l’humain
Le plan d’action en santé du gouvernement du Québec pour payer les riches
Le 29 mars, le gouvernement du Québec a lancé son « plan d’action » intitulé « Humain et performant — Plan pour mettre en oeuvre les changements nécessaires en santé ». Le mot « humain » semble avoir été mis en tête du document de 90 pages pour mieux faire passer les mesures qui y sont proposées. Encore un mot qui, en bout de ligne, finit par vouloir dire exactement son contraire.
D’emblée, le rapport affirme que le temps n’est pas aux « bilans » mais à « l’action ». Le mot « bilan » vient de l’Italien « bilancio » qui veut dire « balance ». On s’en sert dans le sens d’un bilan financier, mais aussi dans le sens de faire le point sur une situation. De toute évidence, c’est la définition de bilan financier qui s’applique au gouvernement du Québec qui, comme tous les gouvernements des riches, évalue la santé dans le sens le plus étroit de trouver les moyens pour rediriger les fonds publics dans les poches de divers intérêts privés, que ce soit les firmes d’investissement ou les géants pharmaceutiques.
Les travailleurs et le peuple québécois, pour leur part, émergent des dernières années de pandémie avec leur propre bilan fondé sur leur expérience à tous les niveaux. Il en est ainsi pour les travailleurs, les résidents et les familles des résidences pour aînés et des CHSLD qui, ayant vécu les événements traumatisants du printemps 2020, ont conclu que la société doit défendre la dignité de nos aînés. C’est la même chose en ce qui concerne les travailleurs de la santé qui ont mené une lutte après l’autre pour obtenir de l’équipement de protection individuel et mis de l’avant des solutions clé spécifiques pour résoudre les problèmes urgents comme les pénuries de personnel, dans le but de défendre les droits des travailleurs de la santé en même temps que ceux de la population. Il en est ainsi également des travailleurs migrants qui, s’étant dévoués à dispenser les soins nécessaires dans un contexte des plus difficiles et dangereux, réclament maintenant un plein statut d’immigrant. Ce ne sont que quelques exemples.
Les travailleurs et le peuple québécois sortent de cette expérience plus convaincus que jamais de la nécessité d’organiser une société moderne dotée d’un système de santé centré sur l’humain qui considère que la santé est, par-dessus tout, un droit humain fondamental. Ils tirent de plus en plus la conclusion qu’ils doivent avoir leur mot à dire sur leurs propres conditions de travail et de vie, que la situation de destruction systématique du système doit être renversée pour que l’espace qu’occupent les intérêts privés étroits soit réclamé par ceux et celles qui sont essentiels à la société et à l’économie et que la société assume ses responsabilités envers ses membres.
Le plan d’action du Québec lance l’appel à continuer de plus belle et à accorder toujours plus de fonds publics à des intérêts privés sous forme de cliniques privées, tout en demandant la « collaboration » des travailleurs et de leurs syndicats pour qu’ils abandonnent leurs droits et leur lutte pour un système de santé centré sur l’humain.
Le gouvernement énonce une évidence dans le rapport lorsqu’il dit que « les CHSLD sont vétustes, les hôpitaux mal adaptés à la modernité ainsi que les installations ne sont pas en mesure de répondre efficacement aux normes de prévention et de contrôle des infections », mais ne soulève pas son propre rôle et celui des gouvernements précédents à pousser le système de santé au bord du gouffre. La conclusion qu’il tire, par contre, est que la pandémie a donné lieu à des « innovations » et des « apprentissages » sur lesquels on doit bâtir dans le même esprit de collaboration qui a permis à tout le monde de « passer à travers la pandémie ». (Notons qu’au moment de l’annonce du plan d’action, la pandémie entrait dans sa sixième vague.) En ce qui concerne la collaboration, le rapport invoque la nécessité de se libérer « du carcan administratif ou des rigidités des conventions collectives pour appliquer des solutions créatives au sein d’une organisation du travail plus humaine ». Ceci laisse entendre que le gouvernement poursuivra ses arrêtés ministériels, la suspension des conventions collectives et d’autres mesures pour imposer des conditions de travail inhumaines telles que le temps supplémentaire obligatoire (TSO), contre lequel la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) a déposé une plainte formelle aux Nations unies, plaidant que le TSO est une forme d’esclavage.
Parmi les « innovations », il y a le recours aux cliniques privées pour les interventions chirurgicales, lequel a pris de l’ampleur durant la pandémie sous prétexte qu’elles étaient nécessaires pour rattraper les chirurgies délestées en raison de la COVID-19. Cela est conforme à ce que le rapport appelle « l’expérience patient », qui se réfère à « l’expérience client », un terme de marketing qui traite des perceptions du « client » (patient) des services fournis de la même façon qu’un « client » évalue son « expérience » lors d’une visite dans un centre commercial. Dans le rapport, il est fait mention d’un groupe d’experts commandité par le gouvernement du Québec en 2014 et présidé par Wendy Thomson, une ancienne conseillère-en-chef du premier ministre britannique Tony Blair sur la réforme du système public, qui devait étudier l’implantation du « financement axé sur les patients ». Comme si ces experts venaient de découvrir la roue, le rapport affirme qu’ils ont tiré la conclusion que « les ressources devraient désormais être allouées en fonction du type et du volume de services fournis, à la différence du système traditionnel basé sur le financement par établissement ». Ce modèle du « paiement à la performance » a aussi été promu au niveau fédéral alors que, par exemple, les hôpitaux, les médecins et d’autres travailleurs de la santé ont des incitatifs financiers lorsqu’ils atteignent certaines cibles d’efficience.
Ces cliniques privées sont des formes de partenariats publics-privés par lesquels la propriété est privée — gérée dans certains cas par des firmes d’investissements — mais tout le reste est public : les médecins et le personnel ainsi que les fonds publics sont mis à la disposition de ces cliniques par le biais de contrats lucratifs avec des cliniques telles que DIX30 — qui a un des plus importants blocs opératoires privés au Canada — Rockland MD et Groupe Opmedic. Tandis que du point de vue d’un système de santé centré sur l’humain, les travailleurs de la santé eux-mêmes sont le rempart à la défense du système public, le rapport, lui, prétend que ce sont ces cliniques privés, financées par le public, qui vont « sauver le système ». Selon le rapport, pendant la pandémie, 29 ententes ont été conclues avec 15 cliniques privées pour un total de 85 000 opérations, et on affirme que ce qui est nécessaire aujourd’hui est de « faire une place intelligente » à davantage de ces cliniques médicales spécialisées.
Le plan d’action du Québec — Défendons la dignité des aînés
Tandis que les travailleurs et le peuple ont tiré leurs conclusions fondées sur leur propre expérience, surtout dans le contexte de la pandémie, il est d’emblée affirmé dans le rapport que ce n’est pas le temps de faire des bilans mais d’agir. À cet égard, le gouvernement ne s’arrête pas aux tragédies dans les CHSLD et les résidences pour aînés et ne fait pas le bilan des conclusions des divers rapports et enquêtes qui ont souligné, entre autres, que les résidences pour aînés étaient mal outillées pour traiter des problèmes propres aux aînés, et encore moins pour faire la prévention épidémiologique et résoudre les problèmes comme la pénurie de longue date du personnel aggravée par des conditions de travail médiévales imposées par décret ministériel dans divers établissements. D’autres enquêtes ont questionné la pertinence de la propriété privée de ces résidences et ont clairement fait part de la nécessité d’humaniser l’environnement social des aînés dans ces institutions.
Pour ce qui est de l’enquête en cours de la coroner Géhane Kamel, on prétend que son rapport sera rendu public au cours des prochains mois alors qu’en fait elle a déjà présenté un rapport préliminaire très élaboré qui fait aussi les observations ci-haut mentionnées. Le gouvernement tire plutôt ses propres conclusions du rapport de la Commissaire de la santé et du bien-être et retient une de ses recommandations qui soulève la nécessité d’une « efficience ou une gestion basée sur les résultats ». C’est donc sans surprises que, pour le gouvernement, le temps n’est pas de « faire le bilan » de ce qui est vraiment requis mais d’ « agir » en vertu d’un ordre du jour antisocial pour payer les riches dicté par l’oligarchie financière.
La réponse d’un syndicat : Nous ne sommes pas des partenaires !
Ayant été critiquée pour ne pas avoir participé à l’événement de relations publiques pour lancer le plan d’action, la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Julie Bouchard, a immédiatement publié sa réponse initiale. Ce qui suit sont des extraits de sa déclaration sur le refus de la FIQ de participer en tant que « partenaires » dans ce qu’elle a appelé un événement-spectacle :
« Ce n’est pas dans les conférences de presse du gouvernement que les professionnelles en soins que l’on représente veulent nous voir, c’est aux tables de consultation et de négociation ! Point à la ligne. Et quand en plus, on nous invite alors que l’on n’a même pas été consultées sur le fameux plan, c’est sous-estimer notre intelligence que de penser que nous allons aller nous faire instrumentaliser. Devons-nous aussi rappeler que ce gouvernement impose tous azimuts les conditions de travail horrible aux professionnelles en soins depuis deux ans ? Et ce serait nous le problème si le réseau coule ? L’histoire du réseau n’a pas commencé mardi. Elle est le résultat de décennies de coupures drastiques faites sous le couvert de l’innovation. La seule constante de ces années est la mobilisation de la FIQ pour refuser ces attaques contre nos services publics et annoncer son effondrement si ces années de néolibéralisme perduraient. Hélas, les quatre dernières années nous ont donné raison…
« L’histoire de cette annonce du ministre Dubé ne peut pas être celle de l’absence de la FIQ à la conférence de presse. La vraie histoire c’est que cette dernière n’a pas été consultée alors que ce sont les infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques qui sont les mieux placées pour connaître ce qu’il faut changer dans ce système qui déraille sans fin … Dans son plan, il n’y a pas de moyens pour éliminer une fois pour toutes le temps supplémentaire obligatoire ou pour adopter une loi sur les ratios.
« On en a soupé des attitudes paternalistes qui s’adressent à nous comme si nous n’avions pas les capacités de savoir ce qui est bon pour nous … Nous revendiquons le droit de dire non, particulièrement lorsque l’on veut faire de nous des figurantes alors que nous sommes des actrices incontournables de la reconstruction du réseau de la santé qui s’est effrité sous nos yeux. Notre seule et unique motivation est d’améliorer les conditions de travail de nos membres afin d’assurer des soins et des services de qualité, sécuritaires et accessibles à la population dans le réseau public de santé. »
Forum ouvrier, affiché le 20 avril 2022.
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