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Soyons préparés pour la suite des choses
Le débat parlementaire a-t-il révélé
ou clarifié quelque chose?
La motion ratifiant l’invocation de la déclaration de l’état d’urgence lorsque le premier ministre a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février a fait l’objet de quatre sessions marathon à la Chambre des communes se terminant le 21 février, pour un total de plus de soixante heures de déclarations et de questions[1]. Les députés se sont fait un devoir d’occuper tout le temps qui leur était alloué, en plus de dix minutes supplémentaires de questions et de remarques.
Qu’est-ce que le débat parlementaire a révélé ou clarifié en ce sur l’urgence nationale, le décret d’urgence nationale, la nécessité de l’urgence nationale ou quoi que ce soit d’autre en lien avec ces sujets ? La Loi sur les mesures d’urgence définit l’« état d’urgence » comme étant « une situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale ».
La « crise nationale » est définie comme étant « une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ».
Lorsque le cabinet estime, sur la base de motifs raisonnables, qu’un « état d’urgence » existe et nécessite la prise de mesures temporaires spéciales pour faire face à l’urgence, il peut « le déclarer ».
Le débat a été ouvert par Justin Trudeau et son ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino. Le premier ministre a répété ce qu’il dit depuis plusieurs jours, tant à la Chambre qu’à l’extérieur : qu’il n’y avait pas d’autre choix que d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence et les pouvoirs réglementaires extraordinaires qui s’y rattachent. « Invoquer la Loi sur les mesures d’urgence n’est pas quelque chose qu’on fait à la légère. Ce n’est pas la première option, ni la deuxième ni même la troisième. C’est une solution de dernier recours », a-t-il dit à la Chambre, ajoutant qu’il était important que le parlement joue son rôle. Il n’a pas répondu quand on lui a demandé à répétition quelles étaient la « première, la deuxième ou la troisième option » que les libéraux avaient envisagée.
Le seul « argument » présenté par les libéraux, et ils l’ont fait sans arrêt tout au long du débat et aux médias, était que la décision du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence s’est imposée, pour citer le premier ministre, « lorsqu’il est devenu clair que les autorités locales et provinciales avaient besoin de plus d’outils pour rétablir l’ordre et assurer la sécurité des gens » et que ce n’était pas une décision que lui ou son gouvernement « prenait à la légère ». Il a dit que son gouvernement ne maintiendrait pas en place les pouvoirs élargis prévus dans la loi « une seule journée de plus que nécessaire ». « Même si les choses semblent se résorber à Ottawa, a-t-il ajouté, cet état d’urgence n’est pas terminé. »
Dans ses premières remarques au cours du débat, le ministre Mendicino a déclaré que le souhait des libéraux était « de tenir un débat de principe sur les raisons qui ont mené le gouvernement à invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, le principal motif étant la santé et la sécurité de tous les Canadiens ».
Le rôle du Nouveau Parti démocratique dans cette histoire a été de permettre au gouvernement d’aller de l’avant et de saisir encore plus de pouvoirs policiers. Le chef du parti, Jagmeet Singh, est intervenu dans le débat en disant que c’est avec réticence que le NPD appuyait l’invocation de la loi et il a réitéré cette position après le vote, sans à aucun moment offrir une explication concrète de ce à quoi la loi servira précisément, mis à part munir la police de « plus d’outils », comme le prétend Justin Trudeau.
« Comme de nombreux Canadiens, nous craignons que le gouvernement abuse des pouvoirs que lui confère la Loi sur les mesures d’urgence, a dit Jagmeet Singh à la Chambre des communes au début du débat. Je tiens donc à dire très clairement que nous retirerons notre appui si nous estimons que ces pouvoirs sont utilisés à mauvais escient. ». Les agences de nouvelles ont rapporté que tôt lundi, il « s’est à nouveau engagé à ce que son parti offre un ‘appui réticent’ à l’invocation de la Loi des mesures d’urgence », rappelant qu’il ne s’agissait pas d’un « chèque en blanc ».
Bien que la loi pour laquelle il a voté postule qu’elle ne peut pas être en vigueur plus de 30 jours à partir de la date où elle a été invoquée, en l’occurrence le 14 février, Jagmeet Singh a dit que les néodémocrates n’appuieraient pas aussi longtemps sa mise en oeuvre et a appelé le gouvernement à informer régulièrement les députés de la situation. Par excès de démagogie, le chef néodémocrate a ajouté : « Les néodémocrates sont prêts à déclencher un deuxième vote s’ils décident que les mesures en vertu de la loi ne sont plus nécessaires. »
Pendant tout le débat, ce sont les conservateurs et le Bloc Québécois qui ont rappelé ce que Tommy Douglas avait dit au sujet de la Loi sur les mesures de guerre pendant la crise du FLQ, que c’était de prendre « une masse pour ouvrir un arachide ». Aucun député, cependant, même ceux qui devraient bien connaître l’histoire, n’a rappelé les opérations occultes de la GRC menant à la crise d’Octobre, telles que poser des bombes et publier de faux communiqués.
Il est devenu clair durant le débat que même la question la plus simple répétée à maintes reprises – quels sont les pouvoirs de police contenus dans la Loi sur les mesures d’urgence qui ne peuvent être exercés sur la base du droit criminel et des pouvoirs policiers existants — n’a mérité que des réponses évasives.
Pendant la conférence de presse du 21 février tenue alors même que le débat se poursuivait, Justin Trudeau a néanmoins dit que la menace persistait et que des camionneurs avaient l’intention de recommencer des occupations. Selon le ministre de la Sécurité publique Marco Mendicino, qui accompagnait le premier ministre à la conférence de presse, un certain nombre de personnes associées à la protestation sont toujours en ville. « Nous devons être vigilants, et non seulement à Ottawa, mais dans nos ports d’entrée », a-t-il dit.
Encore plus significatif, Justin Trudeau a dit aux journalistes que la Loi sur les mesures d’urgence était importante parce qu’elle permettait une « réflexion » sur quelles autres mesures permanentes devaient être mises en place pour faire face à ce qu’on appelle officiellement des « menaces continues », – le contrôle et la protection des infrastructures essentielles ; le financement étranger de l’opposition au gouvernement ; et « l’extrémisme idéologiquement motivé ».
Un des thèmes les plus invoqués durant le débat était l’unité des Canadiens. Les députés sont revenus à la charge, s’accusant les uns les autres de diviser les gens selon qu’ils sont pro- ou anti-vaccin, pour ou contre les mandats vaccinaux. Les conservateurs ont accusé les libéraux de se servir des vaccins et des mandats vaccinaux pour créer la division dans les rangs de l’opposition durant les Élections fédérales de 2021.
Les conservateurs ont accusé les libéraux d’avoir diffamé sans justification le « convoi de la liberté » et tout le monde qui appuyait l’abolition des mandats vaccinaux. La cheffe par intérim du Parti conservateur, Candice Bergen, a reproché au premier ministre d’avoir traité les manifestants de « racistes » et de « misogynes ». Le premier ministre, a-t-elle dit, « a dit que leurs opinions étaient inacceptables et qu’ils étaient en marge de la société… Il a poursuivi ses insultes, les traitant, eux et tous ceux qui les soutenaient ou même leur parlaient, de partisans des nazis ». Un autre député conservateur a dit : « Malheureusement, comme nous l’avons pu le constater à la Chambre à maintes reprises, et pas plus tard qu’hier, son instinct est de diviser. »
Les libéraux accusent les conservateurs de soutenir qu’ils ont en qualifiés de racistes, de misogynes, d’extrémistes, etc. Le 16 février, Justin Trudeau a dit : « Les membres du Parti conservateur peuvent se tenir avec des gens qui brandissent des croix gammées, ils peuvent se tenir avec des gens qui brandissent le drapeau confédéré. » Ce qui a obligé le président de la Chambre de lui demander de ne pas utiliser un langage incendiaire, tandis que plusieurs députés conservateurs juifs ont exigé que le premier ministre présente des excuses, ce qu’il a refusé de faire.
Dans le tumulte des accusations et contre-accusations, rien n’a été clarifié au sujet de la Loi sur les mesures d’urgence ni au sujet de ce que signifie son invocation pour le corps politique canadien. Au contraire, le « débat » montre une fois de plus que les soi-disant institutions démocratiques dépendent d’un processus dont la fonction est essentiellement et précisément de diviser le peuple.
Les échanges ont corroboré plusieurs critiques exprimées. Un rapport de 2020 de l’Institut Samara pour la démocratie intitulé C’est mon parti : retour sur le dysfonctionnement parlementaire cite plusieurs anciens députés sur le sujet. « La réalité est qu’il n’y a pas vraiment de débat à la Chambre des communes, selon la franche opinion d’un parlementaire de longue date. ‘Nous passons beaucoup de temps à lire nos discours, nos points de débat et nos messages, et à les faire valoir’, mais personne ne veut se laisser persuader. Il a dit : ‘En fait, nous devrions pouvoir tenir des discussions et changer d’idée sur des questions’, ce qui n’est pas vraiment une déclaration très radicale. »
Le rapport cite un autre ancien député d’arrière-ban : « Si jamais vous avez le malheur de regarder un débat sur un projet de loi donné…vous voyez bien que c’est un discours en boîte suivi d’un autre discours en boîte, où l’orateur B ne fait aucun effort pour tenir compte du point de vue de l’orateur A. Ils ne font que lire un texte prérédigé ayant chacun une conclusion différente. »
(Le Renouveau, affiché le 23 février 2022)
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