Dans l’actualité
Les défis auxquels nous faisons face en 2022
À la défense de la dignité et des droits de tous les travailleurs sans emploi
France Simard est la coordonnatrice du Mouvement Action Chômage au Lac-Saint-Jean, Québec.
Forum ouvrier : Peux-tu nous expliquer le problème des énormes délais auxquels les gens font face en ce moment pour recevoir leurs prestations d’assurance-emploi (AE) ?
France Simard : Nous avons soulevé le problème publiquement avant les Fêtes parce qu’on n’avait jamais vu une situation semblable depuis qu’on existe comme comité, soit 2001. On voyait des retards parfois de plus de six mois.
Ces retards sont dus aux vols de numéro d’assurance sociale chez Desjardins. Il y a eu beaucoup de demandes frauduleuses de prestations d’AE. Aussitôt qu’il y a des demandes frauduleuses, avec plusieurs demandes dans le même dossier avec le même nom et le même numéro d’assurance sociale, tout bloque. Il faut qu’ils vérifient — est-ce bien le bon prestataire, est-ce bien lui qui a fait une demande ? — et c’est très long. Tant que cela n’est pas vérifié, le prestataire ne reçoit rien. Le prestataire est doublement victime. Il est victime d’un vol d’identité par lequel son numéro d’assurance sociale se promène partout, et c’est lui qui est pénalisé parce qu’il attend des mois et des mois avant que son dossier débloque.
Il y a des délais dans le traitement des autres dossiers à cause de cela parce que les agents sont tellement concentrés sur les vols d’identité que les autres dossiers, par exemple les relevés d’emploi où c’est écrit « départ volontaire », ou « congédiement », et qu’ils doivent parler avec le prestataire, cela aussi est bloqué parce qu’ils n’ont pas assez de personnel.
On va voir si cela aura des résultats positifs. Je peux vous dire que pour le mois de janvier, au Lac-Saint-Jean, il y a eu 156 nouveaux dossiers d’ouverts et la plupart, je dirais même jusqu’à 90 %, ce sont des retards de prestations dus à des vols d’identité.
C’est catastrophique et c’est choquant parce que le prestataire est doublement victime. Je me dis que c’est impossible qu’il n’y ait pas de moyen de faire des choses pour régler les dossiers d’une façon qui ne punit pas le prestataire.
Nous avons l’impression de quêter pour les prestataires alors que l’AE est un droit qu’ils ont.
Lorsque le dossier de quelqu’un est bloqué, j’ai vu des cas où le prestataire est plusieurs mois sans aucun revenu. Les délais sont de plus en plus longs. Les agents nous disent qu’ils sont rendus à régler les dossiers du mois d’octobre. Quand on les appelle, ils nous disent que si les prestataires ne sont pas mal pris, n’ont pas d’enfants ou de créanciers qui les harcèlent, ils peuvent encore attendre.
Les chômeurs doivent déjà attendre un mois avant que leur premier chèque arrive. Les chômeurs le savent, ils réussissent à s’organiser. Mais maintenant que les délais sont de 3, 4, 5 et même six mois, ce n’est plus possible. Les chômeurs sont dans une situation désespérée où il n’y a plus rien à manger. Il y a beaucoup de gens qui ont des besoins ponctuels que jamais ils n’auraient eu dans des conditions normales. Mais maintenant ils ont besoin d’aide alimentaire. Nous devons maintenant nous occuper de dépannage alimentaire. On a un député local de l’Assemblée nationale qui a ouvert un fonds d’entraide, « Mon voisin je m’en occupe », et on a des organismes qui aident ces gens-là. Nous travaillons en alliance avec les organismes pour le dépannage alimentaire. On réfère aussi les prestataires au Service budgétaire, les organismes qui aident à gérer un budget, pour faire des arrangements de paiement dans certains cas et les aider à monter un budget pour se sortir de l’impasse.
Il y a du nouveau personnel d’engagé, mais ce n’est pas ce nouveau personnel qui peut s’occuper des dossiers de vols d’identité. Il faut que cela soit un agent d’intégrité qui est d’un niveau plus élevé. Il faut du temps pour que le personnel soit apte à travailler en intégrité pour pouvoir faire les enquêtes. Maintenant ils ont formé des agents pour qu’ils puissent intervenir plus vite. On va voir dans les prochaines semaines si cela va aider à débloquer les dossiers. Il faut comprendre que Service Canada fonctionne par paliers. Il y a le premier palier où les agents règlent des petits problèmes lorsque la personne fait sa demande d’assurance-emploi. À chaque nouvelle intervention, c’est un autre palier qui entre en jeu. Comme maintenant on fait face à des vols d’identité, c’est le service d’intégrité qui doit s’en occuper parce que ce sont des enquêtes plus formelles qui doivent être faites. L’existence de tous ces paliers-là fait en sorte que les dossiers accumulent des délais.
Et cette situation se produit à l’échelle du Québec.
Nous travaillons à faire débloquer les dossiers. Notre point de départ, c’est que le prestataire ne doit pas être puni. Selon nous, ce serait possible de débloquer les dossiers et faire l’enquête par la suite. Il faut mettre plus de personnes pour faire débloquer les dossiers.
FO : Qu’en est-il de la réforme de l’assurance-emploi que le gouvernement fédéral s’est engagé à faire.
FS : C’est l’autre grand défi de l’année. Nous avons vu pendant la pandémie que le régime d’assurance-emploi ne répond pas aux besoins. On sait que déjà seulement 40 % des chômeurs avaient le droit à l’assurance-emploi et avec la pandémie, ce qui a été démontré c’est le désastre de l’assurance-emploi, que le régime n’est pas accessible. Si l’assurance-emploi répondait aux besoins, ils n’auraient pas eu besoin de mettre autant de programmes d’urgence sur pied.
Le gouvernement parle d’une réforme en profondeur qui devrait venir au printemps. Nous avons nos revendications que nous faisons entendre partout où c’est possible[1]. Les travailleurs sans emploi ont le droit à un régime d’assurance-emploi juste et universel. Le gouvernement organise des tournées de tables rondes à l’échelle du Canada, mais c’est difficile de s’y faire entendre. Ce sont des tables rondes où ils invitent des personnes pour discuter de l’AE. Assez souvent, ils vont asseoir ensemble des regroupements, des syndicats et d’autres organisations mais je crois que j’ai été une des seules, provenant d’un organisme de base, à avoir été invitée à une table. Il y a peu d’organismes de base, tels que les organismes de défense des chômeurs, qui sont invités aux tables. Pourtant, nous sommes bien implantés au Québec, nous devrions être invités à participer à ces tables rondes. Chaque territoire, chaque région a des traits particuliers.
Il faut que notre voix et nos revendications soient prises en compte.
En guise de conclusion, je dirais que nous avons les deux pieds dans le présent par rapport aux délais, et les deux yeux tournés vers l’avenir pour obtenir la réforme.
Note
1. Les revendications du Mouvement Action Chômage Lac-Saint-Jean sont celles du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi dont il fait partie.
Ce sont :
– un seuil d’admissibilité unique de 350 heures ou de 13 semaines ;
– un taux de prestations d’au moins 70 % du salaire assurable, basé sur les 12 meilleures semaines de travail ;
– un plancher minimum de 35 semaines de prestations ;
– l’abolition des exclusions totales de l’AE pour les travailleurs qui perdent leur emploi par départ volontaire ou qui sont congédiés ;
– l’accès aux prestations régulières d’AE, en cas de perte d’emploi, sans égard aux prestations maternité/parentales/paternité reçues.
(Forum ouvrier, affiché le 19 février 2022)
|
|