Dans l’actualité
Les Marches commémoratives du 14 février
Des marches partout au Canada pour obtenir justice pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées
Des marches et d’autres activités commémoratives ont eu lieu dans des villes et des localités partout au Canada et au Québec le 14 février, la 31e marche commémorative annuelle pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Le premier événement annuel a eu lieu en 1992 à Vancouver où un grand nombre de femmes ont été tuées ou ont disparu, en particulier dans le quartier Downtown Eastside.
Les plus grandes marches cette année ont eu lieu à Vancouver et à Montréal.
Vancouver
Des milliers de personnes ont marché dans les rues du centre-ville de Vancouver en hommage aux femmes, aux filles, aux personnes transgenres et bi-spirituelles autochtones qui ont été assassinées ou sont disparues, victimes de la violence du colonialisme, et pour exiger des mesures pour que cessent ces atrocités. Sur le thème « Leurs esprits vivent en nous », les participantes ont déposé des roses pour les personnes disparues et assassinées dans le Downtown Eastside, où le taux de violence faite aux femmes autochtones est toujours très élevé.
La marche, dirigée par des femmes, a commencé par des prières et des discours au coin des rues Main et Hastings, pour ensuite se diriger dans les rues du quartier, s’arrêtant aux endroits où certaines femmes ont été vues pour la dernière fois pour avoir une pensée pour elles.
Une des oratrices à l’événement de Vancouver était Sheridan Martin de la nation gitxsan dont la soeur est morte suite à sa disparition sur la Route des larmes dans le nord de la Colombie-Britannique en 2018. Elle a dit qu’elle marchait pour sa soeur, inspirée par la force de sa mère qui était une survivante des pensionnats.
Membre du comité organisateur, Wendy Nahanee a dit : « Malheureusement, le nombre de femmes et de filles, de personnes bi-spirituelles et transgenres autochtones disparues et assassinées continue d’augmenter, et nous sommes ici aujourd’hui pour leur rendre hommage à elles et à leurs familles, et nous espérons passer le message que l’assassinat et la disparition de ces personnes ne sont pas signalés, qu’il n’y a pas d’enquêtes et qu’aucune accusation n’est portée. » Une autre dirigeante communautaire a fait valoir que les médias doivent rendre des comptes pour leur façon déshumanisante de dépeindre les femmes, les filles, les personnes bispirituelles et transgenres autochtones, portant atteinte même au caractère sacré de la vie.
Montréal
En dépit d’un froid intense, près de 700 Montréalaises ont formé un contingent à la fois solennel, fier et déterminé. Les familles et amies des femmes assassinées et disparues étaient présentes, ainsi que des personnes ayant connu l’abus, pour dénoncer ces crimes et défendre le droit d’être des peuples autochtones. La vigile a été empreinte de lumière et de couleurs alors que les chandelles, les robes rouges et les rubans rouges étaient à l’honneur pour souligner l’occasion.
La commémoration et la marche de cette année ont été organisées par le Foyer pour femmes autochtones de Montréal et la Fédération des femmes du Québec.
Les participantes se sont rassemblées en début de soirée au Square Cabot, un lieu de rencontre pour les peuples autochtones depuis plusieurs décennies déjà. Elles ont écouté les voix de leurs frères et de leurs soeurs autochtones racontant leurs expériences, ainsi que les chants et les tambours des Buffalo Hat Singers, pour ensuite marcher en direction est sur la rue Ste-Catherine, s’arrêtant ici et là pour écouter ce que chacune avait à dire.
Une amie de Loretta Saunders, une femme autochtone vivant à Halifax, a livré aux participantes un témoignage bouleversant. Loretta était une étudiante à l’université et elle rédigeait une thèse de spécialisation sur les femmes autochtones disparues et assassinées au Canada lorsqu’elle est elle-même disparue en février 2014 et a été retrouvée assassinée près de deux semaines plus tard.
Une autre femme autochtone courageuse, originaire des Territoires du Nord-Ouest, a expliqué comment les femmes autochtones ont été victimisées et ciblées depuis des centaines d’années. Elle a raconté comment sa propre fille et une de ses amies, jeunes adolescentes toutes les deux, avaient été agressées par un homme blanc et, parce que sa fille s’était protégée et défendue, celle-ci avait été accusée elle-même d’agression et a dû faire des travaux compensatoires dans la communauté.
« Mais ce n’est pas quelque chose qui s’est passé seulement cette année, ou l’année dernière ou qui se passera l’an prochain, a-t-elle dit. C’est quelque chose qui perdure depuis des centaines d’années. Mais je ressens un changement qui s’opère, et votre présence ici aujourd’hui […] montre bien qu’il y a du changement dans l’air. Nous avons besoin de vous, nous ne pouvons y parvenir seules, nous ne pouvons, seules, protéger nos femmes. Il nous faut des Autochtones, des non-Autochtones, des aînés, des hommes, des garçons, la génération à venir. »
Nakuset, la directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, a parlé du projet Iskweu du foyer en appui aux femmes autochtones qui ne se sentent pas en sécurité ou écoutées lorsqu’elles parlent avec la police. Elle a parlé de la recherche en cours qui consiste à « aller dans les communautés et obtenir les vraies données ». Elle a raconté comment la chercheuse au foyer avait parlé d’une base de données de la GRC qui ne contenait le nom que de 46 femmes disparues ou assassinées au Québec. « Mais les chiffres sont de l’ordre de plus de 200 femmes et 100 hommes, a-t-elle dit. Nous devons donc faire notre travail, nous devons prendre l’initiative. Cette année, nous avons créé un numéro 1-800 afin que les gens ne soient pas obligés de parler à la police. Ils peuvent composer ce numéro pour dire qu’une personne est disparue ou que vous avez trouvé quelqu’un, et c’est nous qui faisons le suivi et en informons la police. »
Marlene Hale, une activiste et aînée du clan Likhsilyu de la nation wet’suwet’en, a aussi participé à la commémoration, jouant du tambour avec les autres tout au long de la vigile. Elle a été la dernière à prendre la parole. D’abord, elle a dit : « Saluons de tout coeur la nation wet’suwet’en ! » aux applaudissements soutenus de la foule.
« Aujourd’hui est une très, très longue journée partout au pays, de Montréal à Toronto, de Vancouver à Victoria. Je connais des gens de partout qui ont eu à surmonter la perte d’une femme autochtone disparue et assassinée. D’ici à Victoria, que ce soit sur les terres de la nation wet’suwet’en ou celles de Fairy Creek, nous condamnons les atrocités subies par les femmes qui ne cherchent qu’à sauver les forêts anciennes. » Elle a parlé de la disparition d’une de ses cousines.
« Peu importe où nous sommes, nous sommes toutes touchées par cette journée. En me rendant ici ce soir accompagnée de cette merveilleuse lune, je me disais qu’il y a des gens partout au pays qui admirent la même lune, ont les mêmes pensées que nous. Et je vous remercie d’avoir participé, sans oublier les organisatrices qui ont tout rendu possible, les chanteuses, les tambourineuses et vous-mêmes, qui participez, apportant tout avec vous, votre âme même, pour rendre hommage à nos soeurs quelque part. »
Terrace
(Le Renouveau, affiché le 17 février 2022. Photos : LR, F. Jaffer, T. Norman)
|
|