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Le besoin urgent d’affirmer le droit au logement
Des fonds publics pour le logement social, non pas pour les investisseurs privés
Arnaud Duplessis-Lalonde est un organisateur communautaire pour le Comité logement Rosemont à Montréal
Forum ouvrier : Peux-tu nous expliquer brièvement la situation du logement à Rosemont et le travail du comité ?
Arnaud Duplessis-Lalonde : Nous sommes dans une situation de crise du logement qui perdure. Cela fait quelques années déjà qu’on le constate. D’une part les projets se livrent au compte-gouttes. Juste au Comité logement, nous avons environ 1000 ménages qui sont inscrits sur notre liste de requérants, des personnes qui sont en attente pour un nouveau projet de logement social qui serait à naître. Pour la plupart des ménages, le logement est inaccessible. Nous les encourageons à se trouver quelque chose en logement social parce que nous sommes certains qu’un logement social va rester dans les capacités de payer des ménages.
Nous constatons au Comité logement de Rosemont que nous avons des spéculateurs immobiliers qui ciblent des immeubles pour déloger des locataires, retaper les logements souvent cosmétiquement pour relouer ou revendre beaucoup plus cher. Nous avons une vingtaine de cas comme cela par année. Nous avons aussi de petits propriétaires qui reprennent des logements pour y habiter et loger leurs familles ou sous de faux prétextes. D’année en année cela augmente.
Les reprises continuent à pleuvoir.
Face à cela, nous revendiquons d’une part de protéger le parc de logements locatifs privés. Cela passe en partie par de meilleures lois, de meilleurs règlements. Et aussi il faut sortir des logements du marché privé. Cela prend des investissements du gouvernement du Québec pour du logement social. Cela se fait entre autres au moyen du programme AccèsLogis qui est le programme qui sert à réaliser du logement social avec une part de logement subventionné qui répond à la capacité de payer des ménages précaires.
Nous avons obtenu des gains, notamment avec la ville de Montréal, par une mobilisation en coordination avec les autres comités logement de la ville. La ville achète maintenant des terrains et les retire du marché privé. Elle a mis en place un règlement qui n’est pas parfait, qui est très incomplet, qui est quand même pour l’inclusion et la mixité sociale. Pour la ville mixité sociale veut dire l’exigence que le développement immobilier inclut 20 % de logements sociaux. En ce qui nous concerne, 20 % de logement social et le reste en développement privé ne répond pas aux besoins des ménages de Montréal pour du logement en bas du prix locatif ou à un loyer subventionné. Pour nous, le logement social est le vrai garant de l’accès à des logements abordables. Mais c’est un gain que nous avons obtenu par notre mobilisation.
FO : Le 3 février, le gouvernement du Québec a présenté son nouveau Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ). Quelles sont tes impressions du programme ?
ADL : Pendant qu’on presse le gouvernement d’investir massivement dans AccèsLogis, qui est un programme qui marcherait s’il était financé adéquatement, le gouvernement nous a effectivement annoncé qu’il veut instaurer un autre programme qui serait un programme d’habitation abordable. Cela va à l’encontre de la demande d’arrêter d’investir dans le soi-disant logement abordable ou le logement privé, parce que lorsque le gouvernement ou un promoteur immobilier parlent de logement abordable, ils parlent d’un logement dont le loyer est fixé en fonction de la capacité de payer des ménages, tant propriétaires que locataires, sans tenir compte du fait qu’il y a de grandes disparités de revenus entre les ménages propriétaires et les ménages locataires. Ce que le gouvernement appelle le logement abordable est un programme où le promoteur ou le propriétaire est financé pour offrir des logements un peu moins chers que ce qu’ils offraient sur le marché.
Selon le gouvernement, cela va accélérer la construction de logements et fera supposément une pression sur le marché pour baisser les loyers sinon inciter les propriétaires à offrir des loyers moins chers. Dans les faits, le loyer de ces logements va toujours être cher parce que les loyers sont fixés en fonction des loyers médians du marché – qui sont en pleine montée. Les promoteurs immobiliers et les spéculateurs immobiliers contribuent d’ailleurs à la crise actuelle en provoquant une surenchère au niveau des prix. Le marché est gonflé artificiellement et bien que les promoteurs et les investisseurs parlent toujours de la loi de l’offre et de la demande, l’offre ne s’adapte jamais à la demande en matière de logement qui est pour des logements qui sont réellement abordables.
Le gouvernement ne dit pas qu’il va abolir AccèsLogis qui pourrait marcher s’il était financé adéquatement. Il a annoncé plutôt le nouveau programme comme un programme de remplacement. Il va financer le marché privé pour la construction de logements plutôt que de financer des promoteurs de logement social à but non lucratif. On se retrouve dans une situation où le gouvernement finance ses amis pour réaliser de l’habitation et laisse de côté les ménages précaires.
Les analystes soulignent qu’il y a un déséquilibre dans le rapport de force entre les promoteurs privés qui ont déjà beaucoup plus de capitaux, de moyens et les promoteurs du logement social qui fonctionnent avec des budgets beaucoup plus restreints et qui ne sont pas capables de livrer aussi rapidement les unités d’habitation.
FO : Quelles sont vos demandes à la lumière de ce programme ?
ADL : Nous demandons que le gouvernement cesse son discours de logements soi-disant abordables qui ne le sont pas sauf pour les ménages qui peuvent déjà se payer une propriété de toute façon. Subventionner des propriétaires privés pour qu’ils louent des logements moins chers et offrent des logements moins chers à des personnes précaires, c’est financer le propriétaire. Cela n’aide pas la personne dans le long-terme. Cela ne finance pas un logement qui va rester une propriété collective pour le long terme. C’est le genre de programme dont le propriétaire pourrait probablement se retirer sans trop de pénalité. Nous ne connaissons pas tous les détails du programme mais ce sont des choses qui nous trottent à l’esprit. Nous demandons qu’il investisse dans le logement social, comme les coopératives d’habitation, et les organismes d’habitation à but non lucratif. Cela prend des investissements dans un programme de logement public qui relève de l’État et pour nous le meilleur programme qui permet de réaliser du logement social et répondre aux besoins des ménages les plus précaires.
Il faut investir dans le logement social, construire des habitations neuves dans le logement social et retirer des habitations du marché privé. Avec le logement social, il pourrait y avoir des OSBL (organismes sans but lucratif) acheteuses, du financement qui pourrait se faire pour des organismes à but non lucratif acheteurs ou des coops qui seraient prêtes à s’agrandir et voudraient acheter le bloc voisin. Il y a déjà des sociétés acheteuses à but non lucratif qui réussissent à retirer des logements du marché privé. Elles retapent le logement, le loyer va peut-être augmenter un peu pour qu’elles puissent rester dans leur budget mais il n’augmenterait jamais autant que si c’était un propriétaire privé qui achetait, retapait et relouait et augmenterait le loyer pour augmenter ses profits. C’est un combat sur plusieurs fronts que nous menons.
(Forum ouvrier, affiché le 17 février 2022)
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